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Crépuscule des Urmes (Le), tome 1 : Le Dernier Fragment
Arnaud Druelle
Gulf Stream, roman (France), fantastique, 340 pages, mai 2022, 17,50€

1866, au Pays de Galles. Jane grandit dans un petit village à la campagne. Jeune fille intelligente et indépendante, elle n’a pas oublié la mort mystérieuse de ses parents et la disparition de son petit frère dix ans plus tôt.
Lorsqu’un clan tzigane vient s’installer dans les alentours, la tension monte dans le village : on n’aime pas trop les étrangers.
Mais lorsqu’une délégation de notables s’en va expulser les nomades, fusils et torches en main, le monde bascule : les ombres attaquent les hommes, faisant de nombreux morts. Les survivants fuient dans les ténèbres qui se sont abattues en plein jour sur le pays.
Jane ne le sait pas, mais tout cela est lié au drame qui l’a frappée. Chez les tziganes, Ma’Peshan, la femme sage, a senti le vent tourner, sait que les Urmes vont reprendre leur combat, et elle a conseillé son petit-fils Azko d’après les visions qu’elle a eues : il est lié à Jane, et de son petit-frère dépend l’avenir du monde.



Après le très remarqué « L’Enfant-Pan », Arnaud Druelle signe avec « Le Crépuscule des Urmes » un diptyque fantastique qui ravira les jeunes lecteurs passionné d’aventures riches en émotions.

Après une introduction terrifiante, voyant le combat de deux êtres mystérieux et ambivalents pour s’emparer d’un bébé, sous les yeux de la jeune Jane, nous faisons un bond de dix ans en avant.
La vie à Aberhaÿ, pour Jane Kraunfeld, n’est pas simple. Son amie Louise est un peu trop naïve, et les garçons commencent à leur tourner autour. Jane les évite, et si ses cheveux roux sont attirants, elle reste une étrangère, fille de Juifs émigrés en Galles. Son oncle et sa tante, qui l’ont recueillie, sont tout de même mieux vus que les Tziganes. D’autant plus que l’oncle est l’un de leurs détracteurs les plus virulents, les accusant du crime perpétré dix ans auparavant.
Il faut aussi composé avec Marcus, le fils du maire, un garçon imbu de lui-même, qui n’hésitera pas à forcer un peu la main des filles pour obtenir ce qu’il veut.
Rien que de très ordinaire, pourrait-on dire, dans un roman pour ados, et tout cela très bien présenté dans le contexte historique : racisme, antisémitisme latent, patriarcat et violence masculine envers les jeunes filles.

Chez les tziganes, la culture est différente, et le jeune Azko, fils du chef, a été élevé avec d’autres valeurs. Il va prendre la défense de Jane, peu impressionné par Marcus et son statut. Ce premier contact entre les deux jeunes gens scellera leur destin, aperçu dans les visions de Ma’Peshan.

De cette agression découlent beaucoup de choses, qui vont cristalliser les peurs des villageois et leur xénophobie envers les Fils du Vent, poussant le clan à plier bagage. Las, les éléments fantastiques se déclenchent conjointement, conduisant à un massacre et à la fuite de Jane, Louise, Azko et Marcus loin du village en proie aux ombres. Guidés par les prédictions de la shaman, ils partent à la recherche du petit frère de Jane, destiné à sauver le monde. Oui, rien que cela.

Arnaud Druelle compose le noyau de son histoire sur des bases classiques mais très solides. Le quatuor de jeunes « héros » est complémentaire et pas trop cliché. Il gagne beaucoup de l’indépendance de Jane, qui ne tombe pas bêtement amoureuse d’Azko, ou du moins s’en défend, tandis que le jeune tzigane est davantage frappé par la foudre mais n’ose pas avouer ses sentiments. Il faudra une autre rencontre, plus tard, avec une bande de jeunes voyous, pour que Louise se révèle un peu plus mature, plus maîtresse de ses choix et de son corps. La meilleure surprise est Marcus, qui apparaît très vite comme perdu, jouant au dur pour complaire à son père qui le bat. S’affranchir de son bourreau lui permet de penser par lui-même et de chercher très vite (trop ?) à se faire pardonner, abandonnant son rôle de leader de petites frappes au village pour se racheter aux yeux de ses anciennes victimes. Parfois avec maladresse, mais avec sincérité.

Dans la forêt, Magnuus, un gubbin, sorte de gnome, élève un enfant depuis dix ans. L’heure est venue de partir pour accomplir un destin qu’il lui révèle au compte-gouttes : il est la réincarnation de l’Enfant-Pan, et en traversant vers le Monde Oublié, il pourra ramener l’équilibre du monde. Bon, on comprend tout de suite que ce jeune Egon est le frère disparu de Jane, et que Magnuus, l’être mystérieux de l’intro, ne lui a pas tout dit, et cache une partie de la vérité.
Dans cette ligne narrative, on découvre la partie « magique » de l’univers des Urmes, avec des termes parfois différents de ceux employés par la vieille Ma’Peshan. C’est très bien fait, et cela permet de confronter deux appréhensions de cet aspect, par ceux qui le vivent et par le peuple humain chargé de le réguler.
On apprécie les nombreux ponts avec les mythes classiques, avec un personnage nommé Puck, qui vient s’ajouter au conte de Pan de James Barrie. Si je n’ai pas (encore) lu « L’Enfant Pan », on note dès la 4e de couverture que l’histoire se passe en 1881 et met en scène un Egon : on se fera donc un peu moins de souci pour le garçon dans ce diptyque. Contrairement à d’autres à l’issue de la violente bataille finale, il aura forcément survécu, y compris au second tome qui sort ces jours-ci.

Je ne vous dévoile pas toutes les péripéties, juste quelques points que j’ai fortement appréciés. Magnuus et Egon, pour se fondre parmi les hommes, ont des « mantelmorphes », des manteaux magiques qui changent leur apparence, qui rappelle le vêtement similaire de Marco dans « Le Château ambulant » d’Hayao Miyazaki. A la ville où ils espèrent trouver de l’aide, nos ados tombent sur des forces de l’ordre peu aimables, voire franchement détestables, mais aussi une bande d’orphelins organisée en bande par un dénommé « Prince ». D’origines diverses, dont un Noir, ils font bien entendu penser aux enfants perdus de « Peter Pan ».

En tant que lecteur adulte, je n’ai bien sûr pas le même regard qu’un ado sur « Le Crépuscule des Urmes » : j’y vois une trame très classique mais fort bien employée, embellie d’éléments tantôt originaux (c’est agréable de lire un récit avec une vision positive des tsiganes, et un monde magique davantage inspiré des mythes anglo-saxons que de l’univers de Tolkien), tantôt contrainte par des passages obligés amenés de manière un petit peu forcée, beaucoup de choses dites plutôt que montrées, comme si les lecteurs de 13 ans et + avaient besoin qu’on leur enfonce le nez dans les évidences, et parfois quelques petites facilités, déconcertantes après la sommes d’informations initiales qu’on aura ingurgités.
On rit à la première rencontre entre Egon et Jane, quand ils ignorent mutuellement qui ils sont, quand tout le hurle aux lecteurs. Mais on s’interroge sur l’histoire du père de Rhyan et l’intérêt de rajouter une couche de fantastique alors que les règles dans ce domaine avaient l’air à peu près établies.

Ces quelques réserves admises, « Le Dernier Fragment » s’avère un bon roman mêlant Histoire et fantastique, abordant avec justesse les questions de la différence, du racisme, de la peur de l’Autre. Il met en lumière la part sombre des hommes à vouloir imposer leur domination à plus faible qu’eux, parfois même pour de bonnes raisons (l’oncle Aaron, ou même Azko qui hérite du rôle initial du « beau sauveur »), et leur difficulté à envisager une autre configuration du monde et de son ordre « naturel ». Ses personnages nuancés et ambivalents donnent de la richesse à une trame classique, tout comme sa mythologie celtique et tzigane. L’auteur déploie également un vocabulaire varié et soutenu, saupoudré de termes romanis, qui ajoute une sonorité exotique tout aussi magique qu’immersive.
Le tout servi par une très belle couverture, avec une passe dorée du plus bel effet.

Suite et fin avec « La Prophétie du Livre Noir », qui paraît donc actuellement.


Titre : Le dernier fragment
Série : Le Crépuscule des Urmes, tome 1/2
Auteur : Arnaud Druelle
Couverture : Passye
Éditeur : Gulf Stream
Collection : 13+
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 340
Format (en cm) :
Dépôt légal : mai 2022
ISBN : 9782354889968
Prix : 17,50 €


Quasi pas de coquilles, mais page 289, il manque clairement la 2e ligne du dernier paragraphe.


Nicolas Soffray
16 novembre 2022


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