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YOZONE
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Cosmologie de monstres (Une)
Shaun Hamill
Le Livre de Poche, n°36652, traduit de l’anglais (États-Unis), fantastique, 508 pages, octobre 2022, 8,90 €

Lors de sa sortie en grand format dans la collection Albin Michel Imaginaire, cette « Cosmologie de monstres » avait fait l’objet sur le Yozone d’une première chronique par François Schnebelen. L’ouvrage à l’époque avait été plutôt fraîchement accueilli par les amateurs, tout particulièrement parce qu’il était promu sous une étiquette lovecraftienne qui ne correspondait pas à son contenu. La réédition en poche apparaissait donc comme une occasion de revenir sur ce roman en faisant abstraction de ce phénomène marketing. Hélas, on ne dira pas mieux.



La famille Turner, quelque part en Amérique, dans les années soixante-dix. Margaret, la mère, a interrompu ses études et voudrait les reprendre. Eunice et Sidney, ses deux filles, seront bientôt rejointes par Noah, qui naîtra en 1983. Chez Harry, le père, qui subvient aux besoins de toute la famille, naît bientôt une étrange obsession : construire une attraction du style maison des horreurs. Pourquoi cette obsession, nul ne le sait. Peut-être parce que c’est grâce à une attraction de ce type qu’il a réussi à faire connaissance avec Margaret. Ou peut-être parce qu’il est en train de rejoindre sa propre mère sur le terrain glissant et quelque peu héréditaire de la schizophrénie. En tout cas, il s’y tient, quitte à obérer plus encore les maigres finances du ménage. Il parvient même à entraîner dans l’aventure quelques-uns de ses voisins. Margaret, qui a les deux pieds sur terre, finit par y voir l’occasion de dégager quelques bénéfices et de renflouer la famille. Une grande partie de l’histoire des Turner, sur plusieurs décennies, tournera autour de cette maison des horreurs, comme un point de pivot, un rappel, un symbole.

L’idée de mêler le folklore des attractions d’horreur à des évènements réellement fantastiques a déjà été abondamment exploitée, que ce soit en littérature ou dans le domaine cinématographique. Ray Bradbury l’a fait plusieurs fois avec talent, Stephen King y est parvenu, avec une certaine finesse, dans « Joyland ». Mais le plus souvent, hélas, c’est l’aspect « camelote » qui domine, et malgré son ambition cette « Cosmologie de monstres » peine à échapper à la règle. La faute à bien des maladresses qui soulignent de manière cruelle la différence entre l’auteur et les écrivains mis en exergue en début de volume, Ray Bradbury et H.P. Lovecraft. Un Lovecraft qui sera régulièrement cité (ici une lecture superficielle du « Molosse », là une représentation de Chtulhu, plus loin la mention d’Innsmouth, les titres des parties du roman tirées de son univers…), mais on ne trouvera pas vraiment d’indicible lovecraftien au programme, malgré une fin basculant vers le sinistre et l’horrifique.

« Sa peau pendait sur son visage et s’accumulait autour de sa taille comme une bougie à moitié fondue ; la pâleur qui avait remplacé son teint rougeaud lui donnait l’air plus fongique qu’humain.  »

À travers l’histoire de la rencontre entre Harry et Margaret, puis à travers les années d’enfance, d’adolescence et d’adulte de leurs enfants, l’auteur glisse quelques éléments à la lisière du fantastique, au départ de manière suffisamment fine et ambiguë pour rester crédible. Ici une vision, là des absences, plus loin des cauchemars. La chronique familiale s’agrémente donc d’aspects inquiétants, et l’on pressent que des évènements inexplicables sont à venir. Hélas, lorsque le fantastique vient faire pleinement irruption – même si l’on se demande un moment s’il ne s’agit pas d’un simple fantasme de l’enfant – il le fait de manière si peu subtile, si grotesque, qu’il devient absolument impossible d’y croire. Un monstre terrifiant façon Halloween qui ne fait absolument pas peur à Noah, se révèle gentil, l’emmène dans les airs, lui apprend à voler. Tout à coup, on se croirait chez Disney. Bien entendu, l’enfant n’a pas peur une seule seconde, et il trouve tout cela absolument normal. Et au fil des années, devenu adolescent, il ne se posera toujours jamais la moindre question.

Pas grand monde ne se pose de questions : telle est l’une des faiblesses chroniques du roman. Sans doute Shaun Hamill considère-t-il la suspension d’incrédulité comme l’affaire de ses personnages ou des lecteurs, mais pas la sienne. Il a tort. Dans un roman qui se veut surtout réaliste et psychologique, nulle mention ou presque des effets de la disparition subite de l’une des sœurs de Noah, enlevée ou assassinée, sur sa mère. Tout semble se passer comme s’il ne s’était rien passé. D’un bout à l’autre du roman, la psychologie des personnages est ainsi incomplète, défaillante : si les dialogues façon soap opera ou séries pour adolescents abondent, si clichés et répliques téléphonées tombent de façon métronomique au fil des pages – sans, hélas, jamais réussir à faire passer l’émotion – des pans entiers de ce que sont les personnages, des réactions qu’ils ont ou devraient avoir, des questions qu’ils devraient se poser, de l’effet des évènements sur leur existence sont entièrement occultés, oubliés, ignorés, donnant l’impression que le récit n’a jamais été terminé, été complété. Ce caractère incomplet des protagonistes, leur absence trop fréquente de réaction, leur psychologie qui manque de profondeur et sonne rarement juste grèvent de manière chronique la crédibilité de l’ensemble. Ainsi, par exemple, la transformation de la relation qu’a l’enfant avec le monstre quand il devient adolescent ne vient pas briser une suspension d’incrédulité depuis longtemps envolée, mais suscite bien plutôt une moue consternée, à moins que ce ne soit une hilarité franche. Et que l’on ne s’étonne pas non plus de voir un personnage qui vient de se faire crever un œil entamer dans les instants qui suivent de fougueuses étreintes avec sa partenaire. Faire l’amour avec un œil fraîchement crevé, rien de que de très normal. Sans doute Shaun Hamill a-t-il pensé que tout lecteur, toute lectrice en ferait autant.

« Avant qu’il puisse répondre, les surfaces du fauteuil éclatèrent et des membres noirs charnus surgirent en déchirant le tissu. »

Le roman peine donc à convaincre. Si la psychologie des personnages est insuffisamment étayée, si bien des dialogues ne sont pas crédibles, l’écriture, dont la simplicité peut être un bon argument commercial, se révèle elle aussi bien trop basique pour emporter le lecteur. Un défaut chronique qui tourne à l’échec patent dans ce qui devait être un des points culminants du roman : la découverte par le narrateur de la cité sans nom. Hélas, cette cité est si platement décrite, l’absence de style à tel point flagrante, le manque de puissance d’évocation si évident que ce chapitre laisse avant tout le sentiment d’une rencontre inaboutie, d’une occasion manquée. Un chapitre à l’image d’un roman qui laisse tout entier une impression en mi-teinte.

On ne voudrait pas donner l’impression de faire une chronique à charge contre ce premier roman, ambitieux mais inabouti, aussi n’en dirons-nous pas beaucoup plus. Même si l’auteur se donne beaucoup de mal pour faire de ce livre une chronique familiale teintée de fantastique, « Une Cosmologie de monstres », avec sa fin faussement « happy end » et réellement horrifique, n’est, au final, ni plus ni moins qu’un de ces gros romans d’horreur comme on en publiait en quantité dans les années quatre-vingts, vaste production d’auteurs cherchant à surfer sur les succès de Stephen King en reprenant, hélas sans talent, les principaux ingrédients de la recette : grand nombre de pages, personnages de tous les jours, beaucoup de réalisme, une pointe de fantastique et d’horrifique. Autant de romans purement commerciaux qui ont depuis longtemps disparu des mémoires, ce qui devrait être rapidement le cas pour celui-ci.

Nous n’avions pas suffisamment prêté attention à l’argument publicitaire. Nous avons eu tort. Nous aurions lu le texte laudatif de Stephen King, nous aurions passé notre chemin. Nous l’avons déjà écrit ici et  : King encense ses imitateurs et chaque année (sans doute contre monnaie sonnante et trébuchante, comme s’il en avait besoin) se fend de compliments pour une foule d’ouvrages qu’il n’a manifestement pas lus. Depuis à présent des décennies, on peut vérifier l’adage voulant qu’un récit loué par King soit immuablement un roman très moyen. « Une Cosmologie de monstres » ne déroge pas à la règle. Si « Une Cosmologie de monstres » se positionne au-dessus d’autres récits d’horreur modernes, comme « Le Dieu caché » de J.F. Dubeau, il reste néanmoins insatisfaisant.

Notons pour finir, concernant cette édition au format de poche, une mention singulière en quatrième de couverture : « Traduit de pays de l’anglais ». Comprenne qui pourra.


Hilaire Alrune
15 décembre 2022


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