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Terra Ignota, livre Cinquième : Peut-être les étoiles
Ada Palmer
Le Bélial’, roman traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 570 pages, octobre 2022, 24,90€

« Peut-être les étoiles » est la suite directe de « L’alphabet des créateurs », les deux formant le dernier tome « Perhaps the Stars » du cycle « Terra Ignota ». La guerre se poursuit avec ce qui pourrait sembler deux camps distincts : les Recréateurs et les Protecteurs des Ruches, le premier derrière J.E.D.D. Maçon souhaitant changer le système et les autres désirant le conserver. Mais cette vision du commun des mortels s’avère trop simpliste, une seconde guerre plus sournoise, cachée, se joue entre deux Ruches, dont les ambitions diffèrent sur certains points. La paix est-elle possible ? J.E.D.D. Maçon, celui qui arbore tant de noms et qui est si difficile à comprendre, peut-il fédérer autour de lui, alors qu’il est prisonnier ?



Disons-le d’emblée, il faut avoir lu tous les tomes de la série pour comprendre quelque chose. « Terra Ignota » est un cycle au long cours (environ 2800 pages en version française) qui relève d’un projet tentaculaire. Ada Palmer a mis près de 10 ans à l’écrire, sachant dès le départ qu’il serait ardu, difficile à mener à bien, ainsi qu’à partager avec le public tant il est exigeant. L’écriture est très travaillée et nous sommes très loin d’un page turner. Ici, il faut accepter de prendre le temps pour une bonne compréhension : les personnages abondent, leurs noms se ressemblent parfois, la façon de s’exprimer de certains apparaît précieuse, les propos elliptiques demandent à être interprétés pour révéler leur teneur. C’est ainsi que sans Mycroft Canner, ses interlocuteurs peinent à traduire les propos de J.E.D.D. Maçon mêlant les langues et recélant de multiples idées en quelques mots. Tout tourne autour de J.E.D.D. Maçon, peut-être le véritable enjeu de cette guerre, tant sa nature indispose. Qui est-il vraiment ? Ou plutôt qu’est-il vraiment ? Un Dieu Vivant, un Alien... comme beaucoup le nomment ? À un moment, le voile se déchire...

« Terra Ignota » débute en 2454 pour s’achever en 2456. Alors que les distances sur Terre n’existaient plus avec un système de voitures autonomes et des communications instantanées, la guerre a tout chamboulé et montré la fragilité du système. Les distances existent à nouveau, communiquer et se déplacer tient de l’exploit. Tout est plus long à faire, plus incertain. Une Ruche a justement choisi d’insister dessus, car elle voit dans la course aux étoiles menée par les Utopistes une folie trop consommatrice de moyens. Pour elle, un seul projet doit primer : l’immortalité. Par de multiples manipulations, elle cherche à influencer le sort de la guerre pour faire accepter en douce ses visées. Difficile ne pas faire un parallèle avec le Cosmisme russe pour qui l’humanité doit parfaire la création de Dieu en devenant immortelle. Notre planète est constituée des cendres de nos ancêtres qui pourront alors être ressuscités. Problème : la Terre est bien trop petite pour accueillir tout le monde, alors l’autre destin de l’homme est de conquérir les étoiles. Les Utopistes partagent justement cette vision.
Les influences de la sorte, du moins ce que le lecteur peut y discerner, s’avèrent nombreuses. Le siècle des Lumières, bien sûr. La Franc-maçonnerie avec l’empire maçonnique, chaque Empereur étant dépositaire d’un serment secret. De plus, quand J.E.D.D. Maçon parvient à partager son expérience, comment ne pas penser au Grand Architecte De L’Univers ? « L’Iliade » est aussi omniprésente. Si Achille est revenu d’entre les morts jouer son rôle, d’autres incarnent les différents acteurs de cette tragédie, ce que comprend à sa grande horreur Mycroft, le rédacteur d’une partie de l’histoire. À ce titre, ils sont plusieurs à la raconter et le ton s’en ressent, ainsi que la forme, ce qui est assez déstabilisant.
Ada Palmer n’a jamais transigé, elle s’est fixé un cap qu’elle a tenu bon jusqu’au bout. Il suffit de lire le dernier chapitre “Sept pacifications, non, davantage, dont l’une pour moi” couvrant 80 pages et qui expose, souvent lors de tribunes, les différentes résolutions prises sur le passé et pour l’avenir. De plus, bien des personnages y apparaissent pour la première fois, ajoutant une dose de confusion. Après le souffle des combats, la politique prend le dessus, bien moins trépidante, mais si riche en enseignements. L’auteure n’aura jamais versé dans la facilité, toujours tournée vers l’exigence. Le lecteur arrivé jusqu’ici l’a bien compris, conscient de tenir un cycle monumental qui se mérite.
Bien des personnages resteront dans les mémoires, certains n’auront pas atteint le terme du conflit, victimes des événements. Mais tous ont permis d’ériger cet imposant édifice, cette société future originale vouée au changement du fait d’un déséquilibre croissant : concentration du nombre d’habitants dans une Ruche, des propriétés foncières dans une autre ou encore divergence sur la vision de l’avenir.
La traduction de cette somme tenait de la gageure que Michelle Charrier a brillamment relevée. Elle partage son expérience, ainsi que ses difficultés, notamment pour traduire They, devenant les troublants on/ons en français. Une belle idée évitant l’écueil des genres.
Les remerciements couvrent dix pages qui ne sont pas sans enseignements quant au récit.

« Peut-être les étoiles » achève « Terra Ignota » , un cycle tentaculaire, marquant tant au niveau de la forme que du fond. Profondément original, il fait preuve d’exigence, ne versant jamais dans la facilité et demandant aux lecteurs une participation active. La science-fiction est une littérature d’idées, entre autres tournée vers le devenir de l’humanité, ce qu’Ada Palmer a parfaitement compris.
Il fallait une bonne dose de folie pour oser s’y lancer, mais aussi pour le traduire, tant il est vaste et difficile, mais le résultat est à la hauteur de l’ambition du projet : rien moins que magnifique !


Titre : Peut-être les étoiles (Perhaps the Stars, 2021)
Série : Terra Ignota, livre Cinquième
Auteur : Ada Palmer
Couverture : Amir Zand
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Michelle Charrier
Éditeur : Le Bélial’
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 570
Format (en cm) : 14 x 20,5
Dépôt légal : octobre 2022
ISBN : 9782381630618
Prix : 24,90 €


Ada Palmer sur la Yozone :
- Terra Ignota, livre Premier : Trop semblable à l’éclair
- Terra Ignota, livre Deuxième : Sept redditions
- Terra Ignota, livre Troisième : La volonté de se battre
- Terra Ignota, livre Quatrième : L’alphabet des créateurs

Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
17 novembre 2022


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