Interview Sergi Lopez
Le Labyrinthe de Pan
25 octobre
Enthousiasmé par le nouveau film de Guillermo Del Toro, un conte de fée métaphorique se déroulant au lendemain de la guerre d’Espagne, nous avons répondu présent à l’invitation de Michel Burstein qui nous proposait, au lendemain de l’avant-première parisienne du « Labyrinthe de Pan », de rencontrer Sergi Lopez, terrifiant capitaine de l’armée franquiste, pour une interview dans les locaux de Bossa-Nova. Fidèle à sa bonhomie naturelle, l’acteur catalan nous a reçu comme s’il était chez lui pour 20 minutes d’entretien particulièrement sympathique.
Etant donné, l’impossibilité de reproduire par écrit l’accent charmeur et les expressions de Sergi Lopez, nous vous proposons non seulement de lire la retranscription, forcément retravaillée, de l’interview et/ou de visionner les enregistrements vidéo de ses réponses.
Après « Harry, un ami qui vous veut du bien », vous vous glissez avec « Le Labyrinthe de Pan » dans la peau de Vidal, un autre genre de salopard, beaucoup moins sympathique, qui commande une garnison des forces franquistes. Pouvez-vous nous expliquer comment vous en êtes arrivé là ?
Réponse en vidéo
C’est vrai qu’Harry avait aussi tendance à trouver des solutions extrêmes aux problèmes (sourires). Il n’avait pas de barrière morale et tuait un peu les gens. Vidal c’est différent. Il ne sourit même pas. Il est le symbole du franquisme, l’incarnation du Mal. L’ogre d’un conte de fée étrange, sombre, malsain même, né dans l’imagination de Guillermo Del Toro. C’est un énorme cadeau d’avoir pu interpréter un tel personnage. Jouer les méchants c’est toujours plus amusant, et celui-là est quand même particulièrement exécrable, une véritable ordure. Mais, je dois avouer que ce n’est pas tant pour le rôle que j’ai accepté de tourner dans ce film. J’aurai même été d’accord pour jouer la gamine mais mon physique, trop gros, trop poilu, ne correspondait pas au rôle (rires). Il faut comprendre que Guillermo Del Toro, c’est une bombe. Il m’a contacté pour me proposer un rôle et a débarqué chez moi, à Barcelone, pour me rencontrer. On est parti manger et pendant plus de 2h il m’a raconté le film tel qu’il est maintenant. Tu vois, le mec. Il vient pour te présenter un projet et te raconte les enchaînements des scènes, et te cite les dialogues avec une précision qui fait peur. Je lui ai demandé s’il avait un script et il m’a répondu que non. Il n’avait pas encore écrit une ligne mais il avait tout dans la tête et dès qu’il a eu terminé son récit, il m’a demandé : « Alors, tu le fais ce film ? ». Heu..... j’étais tellement bluffé que j’ai répondu « oui, je fais le film » (rires).
Ca serait bien que je joue un militaire franquiste dans un truc avec des fées
Et tu connaissais déjà son travail ?
Pas tout. J’avais vu « L’échine du Diable », « Hellboy » après et « Mimic » très longtemps avant. Mais, je me suis surtout rendu compte de l’immense privilège que j’avais de pouvoir rencontrer et travailler avec des types comme lui. Des gens qui sont à des kilomètres de ma façon de voir le cinéma et la vie, mais qui possèdent un univers et sont capables d’en partager la vision avec toi. Del Toro est quelqu’un de très contagieux. Il possède beaucoup de charisme, il raconte très bien. La première fois que tu le vois, tu te dis qu’il est sympa, gros, qu’il a de l’humour, et quand tu le connais mieux, tu comprends qu’il est super cultivé. Il te parle de peinture, de cinéma, de BD, de littérature, de trucs sur l’Espagne, comme la guerre civile de mon pays qu’il connaît mieux que moi. C’est un mec vraiment fascinant et pour moi c’est un rêve de me retrouver dans un film que je n’aurai jamais imaginé. Tu vois, par exemple, jamais je n’aurai osé me dire « Tiens, ça serait bien que je joue un militaire franquiste dans un truc avec des fées » (rires).
Justement, comment travaille-t-on un rôle pareil ?
Réponse en vidéo
Hum.... Moi, à vrai dire, ma tactique c’est de travailler le moins possible. Je suis très fainéant (sourires). Non, en fait ma conception du travail est liée au sacrifice et je préfère lier mon travail au plaisir. J’essaie de me protéger, d’être disponible pour jouer, m’amuser et c’est vrai qu’avec Del Toro tout devient facile. Parce que lui, il bosse ! C’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher, il te nourrit avec son imagination, ses idées.
Pour le rôle de Vidal j’ai suivi un cours d’équitation avec des chevaux, un cours de discipline militaire avec des militaires par rapport à l’époque, un cours de diction pour gommer mon accent catalan et parler comme un castillan. Je lui avais d’ailleurs demandé, quand il m’avait présenté mon personnage comme un super méchant historique, un franquiste comme on n’en a encore jamais vu dans le cinéma espagnol, pourquoi il ne prenait pas un acteur de Salamanque ou de Madrid. Il m’avait dit de ne pas m’inquiéter, qu’il me trouverait quelqu’un pour arranger ça. Je n’étais pas vraiment certain d’y arriver, mais il m’a convaincu et il avait raison. Ca c’est passé en gros comme il disait. J’ai beaucoup travaillé avec un prof qui me corrigeait sur l’intonation, sur la fin des phrases, la prononciation des consonnes, des voyelles, et, à l’arrivée, il parait que tout le monde dit que Guillermo Del Toro est finalement parvenu à supprimer l’accent de merde de Sergi Lopez (rires). Tout ça, tu vois, c’est obtenu malgré toi. Tu n’as même pas le temps d’y penser et tu te retrouves avec une autre voix, une autre façon de parler, avec un uniforme, avec des accessoires, avec un scénario bien écrit, de bons dialogues et tout un monde autour de toi qui joue. Tu sais, on dit qu’on ne reconnaît pas un roi à ce qu’il fait mais à ce que fait le monde autour et bien quand le monde autour n’attend qu’un regard pour avoir peur ... putain.... tu ne te sens pas seul et tout devient plus facile.
Est-ce que c’était important pour toi, personnellement ou en tant que catalan, de t’investir dans ce film qui parle d’une période très sombre de ton pays ?
Il y a quand même un truc surréaliste en Espagne : La démocratie MonarchiqueRéponse en vidéo
Je n’ai pas fait ce film pour ces raisons politiques et en même temps tous les films que j’ai fait, je les ai fait pour des raisons politiques. Pour moi, la politique ce n’est pas seulement les politiciens, les élections ou le maire de Poitiers, la politique c’est tout. La politique c’est le monde où on vit. On s’inscrit et je crois qu’il faut prendre position sur les choses. Alors forcément je n’ai pas fait « Le Labyrinthe de Pan » parce que ça parlait du franquisme mais parce qu’en tant que catalan, ça me parlait. Vous savez, je vis dans un drôle de pays qu’on appelle Espagne. Un pays qui est passé du franquisme à la démocratie en douceur sans que les partisans de Franco se sentent obligés de partir en en Thaïlande ou au Brésil à la retraite. Ils sont restés et comme c’est la démocratie, ils ont fondé un parti. Un parti qui, il y a seulement 4 ans, gouvernait l’Espagne depuis 8 ans. Ils sont là, ils sont au parlement. Les même mecs qui avant la mort de Franco participaient activement au fonctionnement du parti et écrivaient des articles contre la démocratie sont devenus nos plus fervents démocrates. C’est hallucinant. Il y a quand même un truc surréaliste en Espagne : la démocratie monarchique. On a un Roi, qui n’a pas été élu mais désigné par Franco. On a beau nous dire que le Roi est sympa, qu’il n’est pas dangereux. C’est quand même le chef des armées, le chef d’un état constitué de différentes régions qui essaient de se faire reconnaître. Franchement, c’est quoi cette démocratieque l’on nous présente comme une entité indivisible. Ce pays où il reste d’énormes relents de l’idéologie franquiste et où le Pays Basque, la Catalogne ne sont pas reconnus.
Elle est pourtant en train de changer la Catalogne...
La Catalogne, elle est train de changer depuis des siècles (sourires). On est en train d’essayer de dire mais nous on sent un autre truc, on voudrait bien exister. Et forcément on se retrouve confrontés à l’incompréhension.
Quand j’ai rencontré Guillermo il m’a dit « le cinéma, s’il n’y pas de monstres, des poupées ou des effets spéciaux ça m’ennuie ».
Est-ce que votre participation au film de Guillermo Del Toro a changé votre regard sur le cinéma de genre ?
Réponse en vidéo
En fait, je ne suis pas assez cultivé pour le dire. De la même façon que j’ai du mal à parler du cinéma français, du cinéma espagnol ou du cinéma catalan, même s’il n’y en pas beaucoup, je me sens pas capable de parler du cinéma de genre. Je ne connais pas assez le sujet pour m’exprimer. Par exemple, quand j’ai rencontré Guillermo il m’a dit « le cinéma, s’il n’y pas de monstres, des poupées ou des effets spéciaux ça m’ennuie ». Et je lui ai répondu que moi c’était l’inverse. Que les poupées, les monstres, les effets spéciaux, ça ne me disait rien. Que ce qui compte pour moi, ce sont les émotions, les acteurs, les personnages. Et donc, du coup, je me retrouve à faire un film fantastique qui est à priori un genre qui est loin de mon univers, un film qui n’a rien à voir avec ce que j’ai pu faire avant, que ce soit dans le style ou dans la façon de travailler. En même temps, ça me confirme dans l’idée que je me fous des genres. Que ce ne sont que des étiquettes et que la seule chose importante, c’est le film. Et quand le film est dirigé par un cinéaste passionné, capable de nous faire partager son imaginaire, ses visions fantastiques, la cruauté de leurs territoires obscurs, tout en restant ludique, généreux, qu’il s’appelle Guillermo Del Toro, qu’il est mexicain, qu’il n’a pas de complexe et qu’il se permet de parler de la guerre civile espagnole et de mettre des fées et des faunes et d’aller jusqu’ au bout de ses idées. Putain... c’est super, c’est courageux et quand tu vois le résultat tu dis qu’il a raison.
Tu n’as donc pas d’avis sur la qualité du cinéma de genre espagnol, qui depuis quelques années est un formidable vivier, contrairement au cinéma français où quand de jeunes cinéastes de talents veulent se lancer dans un film fantastique ou d’horreur, ils sont obligés de s’expatrier ?
Non, je n’ai pas d’idée sur le sujet. En fait, j’ai une vision du cinéma très globale. Un idée d’ailleurs plus qu’une vision. Je crois que le cinéma c’est quand même quelque chose d’incroyable, d’énorme, de magique.... Les histoires. On raconte des histoires et même si on sait tous que c’est faux, que ce sont des acteurs, un texte écrit, que c’est filmé avec une caméra. Et pourtant quand ça marche, on est dedans, on y croit. C’est quand même un truc d’une puissance énorme, que cela a un pouvoir énorme, que ça bouge, que ça brasse beaucoup d’argent, Ca coûte beaucoup, ça peut rapporter aussi beaucoup et du coup, il y beaucoup de cinéastes qui veulent raconter des histoires. Et pour moi, le talent de raconter des histoires, de les jouer, même si c’est plus simple, c’est inexplicable. Et je suis persuadé qu’il y a plein de jeunes partout capables de faire des films fantastiques, bizarres, étranges, ici, en Espagne, aux Etats-Unis, au Mexique. Après le truc c’est l’industrie. Une pièce de théâtre par exemple, tu peux l’écrire, tu sors dans la rue, tu te mets sur une caisse et tu balances ton texte et puis il y a des gens qui s’arrêtent. Un film, il te faut quand même du matériel, de la technique coûteuse,une équipe.... C’est beaucoup et très cher. Un film c’est beaucoup plus compliqué. Je pense que tout existe, tous les exemples. Certains ont du partir. Moi par exemple, on me dit que j’ai du partir de l’Espagne pour faire du cinéma en France et j’ai des copains qui ont du partir de l’Espagne pour faire du cinéma en France parce qu’il y a plus de cinéma. Certains n’ont pas réussi, d’autres ont réussi. Et dans mon cas personnel, ça a très bien marché pour moi et je me suis retrouvé à faire du cinéma par accident. Je n’ai jamais cherché à faire du cinéma, mais on m’a embauché pour faire un premier film, puis un second, puis il y en a eu un qui est allé à Cannes et ça a explosé. Comme quoi il n’y pas de règle. On ne sait pas. Peut-être que certains vont partir et qu’ils vont parvenir à faire quelque chose ailleurs ou peut-être que ce sera quand ils vont se dire bon c’est fini j’arrête, qu’ils vont revenir et qu’ils vont trouver quelque chose qui va se faire tout seul. Tu ne sais jamais.
C’est un peu comme dans la vie. On essaie de se dire que la vie c’est comme ça, qu’il faut faire des études, travailler et voilà. Mais en fait, c’est pas vrai parce que la vie change, nous on change, on évolue, on prend des chemins. Et ce qui est intéressant c’est d’avoir toujours la liberté, le choix. Tu as toujours le choix de dire Non. Ca non, ça oui.
Il n’y a donc pas un film, un moment de cinéma qui t’a donné envie de devenir acteur ?
Non. Il y a plein de films qui m’ont marqué. A commencer par Fellini. Mais aucun de m’a mis dans la tête de devenir acteur.
Dans ses films espagnols, par exemple, Guillermo Del Toro semble influencé par Bunuel. Est-ce que c’est quelque chose à laquelle vous avez pensé quand il vous a raconté le scénario ?
Non, pas quand il m’a raconté le scénario. C’est après. Quand j’ai vu le film fini et j’ai dit un truc comme ça a propos de certains aspects grotesques vachement poussés... ou des trucs de Fellini poussé sur le plan histrionique, où c’est faux mais en même temps tu es dedans, tu en veux encore.
Est-ce que ce film a changé ton regard sur les contes de fées, les monstres dont tu n’étais pas fan avant cette expérience ?
Je ne sais pas. En même temps, je suis sûr qu’il y a plein de films de monstres de poupées et de princesses que je n’ai pas vu et que si je les voyais je me dirais que c’est vachement bien. Mais, je ne connais pas ces univers qu’ils soient cinématographiques ou littéraires. J’ai encore plein de chose à apprendre et c’est aussi pour ça que j’étais si impressionné quand Del Toro m’a parlé de tout ça en sentant qu’il y a une cohérence et que c’est pas un mec qui se dit qu’il a fait simplement un film avec des poupées mais qu’il y a une véritable réflexion nourrie par une culture pointue dans ce domaine.
Vidal, c’est un rôle sur mesure ? Guillermo Del Toro savait déjà que c’est toi qu’il voulait ?
Oui, il était assez obsédé par cette idée. Il m’avait déjà proposé un rôle sur « L’échine du Diable ». Et on ne s’est pas vu. On n’est pas arrivés à se rencontrer. Alors quand il m’a contacté pour « Le Labyrinthe de Pan », je me suis rappelé qu’il m’avait déjà fait une proposition. Et quand il est venu, il disait, j’ai un rôle à te proposer qui serait super pour toi. J’ai vu tes films, il a tout vu, mes films, tes films, il a tout vu (rires) et tu vas être très bien dans le film, c’est un rôle pour toi, c’est un méchant... puis c’est un type ambitieux, convaincant, il n’hésite pas, il y va. Il ne te laisse pas le choix (sourires).
Et tes projets à venir ?
Actuellement, je suis en tournage dans un film d’Emmanuel Poirier. Un réalisateur avec lequel j’ai commencé, c’est le 9ème film que l’on fait ensemble. Ce n’est donc pas du tout la même chose, c’est même à l’opposé. Il ne sait pas comment le plan va se dérouler. Il ne sait pas ce que les acteurs vont faire précisément. Il n’aime pas que tout soit préparé, il aime bien décadrer les choses, provoquer l’accident. C’est un tournage qui se passe dans le calme, Le film s’appelle « La maison ». Et après, je suis en train de préparer une pièce de théâtre que j’ai joué en Catalogne. Que j’ai joué tout seul, écrit avec un copain, et on est en train de préparer la version française parce que je vais venir la jouer à Paris au mois de février au théâtre du « Rond Point ». C’est un retour aux sources. Au début, je m’étais lancé dans le théâtre amateur pace que j’étais nul à l’école. Ca a été une révélation. C’est ça qui a fait qu’un jour je suis rentré trop tard chez moi. Mon père il était .... Heu.... D’une façon très expressive, sévère disons - ça courait dans tous les sens - je revenais d’une répétition et je lui ai dit « Calme-toi Papa, aujourd’hui je viens de décider que je voulais faire du théâtre ». Et le fait de le dire, je me suis dit, putain ! Je vais essayer. Donc j’ai fait du théâtre. Je me suis arrêté pendant 4 ans et ça me manquait beaucoup et cela donne un spectacle dans lequel je me reconnais beaucoup, qui est très existentiel pour moi... (sourires) C’est une comédie, c’est pour rire. Un peu étrange, un peu excentrique
Merci à Michel Burstein et à toute l’équipe de Bossa-Nova
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La CritiqueInterview Sergi LopezLe Teaser
La Bande AnnonceExtrait 1 : Orphélia rencontre une étrange fée
Extrait 2 : Ophélia et le livre magique
Extrait 3 : Le capitaine Vidal sur les traces des rebelles
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Le Labyrinthe de Pan
Propos recueillis par
Bruno Paul
31 octobre 2006
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