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Bâtard de Kosigan (Le), interlude 1 : Les Secrets du Premier Coffre
Fabien Cerutti
Mnémos, recueil, (France), fantasy, 350 pages, juin 2020, 23€

Les origines mythiques d’Atlantide, un amour impossible, une mission vitale, une saison de joute, un voyage au bout du monde (et retour), et un marivaudage !



Ce premier coffre, que les lecteurs assidus du « Bâtard de Kosigan » auront bien sûr reconnu comme l’un de ceux sauvés avant l’effondrement fatidique du château. Elisabeth Hardy, l’héroïne de la partie début XXe du récit en quatre tomes de Fabien Cerutti, nous livre ici ces six joyaux, dans leur gangue de mystère.
Pour l’auteur, c’est l’occasion, comme annoncé, de faire une petite pause maintenant son premier cycle achevé (et quel cycle !), et de nous faire découvrir d’autres aspects de ce passé déformé par l’Histoire et l’Eglise.
Les habitués de l’anthologie des Imaginales en auront déjà découvert trois : “Le Crépuscule et l’aube” dans « Fées et Automates » (2016), “Le Livre des Merveilles du Monde” dans « Destinations » (2017) et “Légendes du premier monde” dans « Créatures » (2018).
La première nous raconte une mission de la dernière chance : apporter à un artisan un cœur, une graine, pour espérer faire renaître une race entière. Mais il en faudra davantage que la vaillance de son porteur, de sa résistance aux arts noirs à ses trousses : il faudra aussi faire avec les pires défauts des hommes. Car l’artisan, pour son œuvre, a contracté quelques dettes, et c’est le même soir qu’une brute vient se charger du recouvrement. L’auteur jongle avec le chaos et nos espoirs d’une fin heureuse, d’une réussite des fées, et fait faire quelques sauts périlleux à nos tripes avec maestria.
Le second, légèrement retouché pour l’occasion, conte le périple de Jehan de Mandeville, missionné par la comtesse elfique de Champagne pour aller trouver les êtres féériques de Cathay, les elfes de jade. Le voyage est une expédition similaire à celle de Marco Polo, avec de longues haltes d’autant qu’il faut parfaire la couverture de marchand explorateur ou s’accommoder des conflits locaux, quand ce n’est pas y participer. Jehan nous la livre sous forme de mémoire, écrit dans les moments de calme mais avec un souffle épique propre à satisfaire ses futurs lecteurs ! C’est un voyage merveilleux dans la lignée littéraire de ces grands récits, paysages extraordinaires, créatures inconnues, peuples accueillants ou au contraire féroces... Il a le mérite de respecter ce temps long des expéditions de la Renaissance, et d’offrir aux lecteurs une réponse définitive quant à l’avenir des créatures magiques.
Enfin, le troisième nous plonge dans des temps mythologiques, remontant à Atlantis, où l’on crée des créatures hybrides pour les faire combattre dans des arènes. Un divertissement impérial qui gagne en popularité, et verra naître les principales races féériques qui essaimeront, à la suite des événements narrés ici, sur tout le Continent. Sur fond de culture de la violence et de respect des créatures, l’auteur nous conte une histoire d’amour entre deux êtres pas à leur place dans ce monde ni cette époque. Un récit fondateur très appréciable.

Voyons maintenant les inédits :
Dans “Ineffabilis amor”, un futur pape tombe amoureux d’une faune. Il l’ignore, car il est encore novice, mais leur première rencontre n’est pas due au hasard, et va guider toute sa carrière. Las, chez les peuples caprins d’Italie, on suit une prophétie, et elle peut apporter la paix comme la destruction. Des années durant, le jeune et brillant Lotario étudie les faunes, entreprend de les convertir à la foi du Christ plutôt que les éradiquer. Le plan fait merveille auprès de sa hiérarchie. Mais la belle Rize-Line et ses compagnons jouent la comédie, à sa barbe. Comment dit-on déjà ? ah oui : « ça va mal finir... » Et on le sait. C’est le genre de texte qu’on grignote nerveusement, attendant le point de bascule, frissonnant de voir le château de cartes monter de plus en plus haut, car plus dure sera la chute. On se prend même à croire que non, finalement, les choses vont bien tourner... eh non ! Et c’est beau, une vraie histoire d’amour, à sens unique, et assortie d’autres sentiments, sincères, que la jalousie et la trahison vont réduire en cendres. Ah, que les hommes sont entiers et fragiles...

Fille-de-Joute” est, c’est annoncé d’entrée, un hommage au film « Chevalier » (« a knight’s tale ») de Brian Helgeland avec Heath Ledger. Et cela commence à l’identique. Le jeune chevalier Pierre Cordwain de Kosigan, mercenaire dans les guerres d’Italie, se retrouve coincé derrière les lignes avec deux troupiers. Ils tombent sur le cadavre d’un vieux jouteur, décident de repeindre ses armes et se faire passer pour amateurs de tournoi pour arpenter la campagne sans se faire arrêter. Et le jeune Pierre est pas trop manche, d’après Kerth Killarden, l’un des deux soldats qui rapporte ce récit. Vient l’idée de se faire quelques florins en jetant dans la boue des nobliaux. Mais les voilà confronté à plus forte partie, et contraint de participer à un petit stratagème en plein tournoi de Florence. Et leur barde, un dénommé Dante, a tendance à se tirer avec la caisse... Le glissement se fait naturellement entre la comédie de chevalerie et la matière purement kosiganienne, avec plans à double fond et troubles jeux. Qui mène la danse ? Est-ce alors que le jeune Pierre Cordwain a appris qu’il fallait toujours avoir un, deux, trois coups d’avance ? Ou maîtrisait-il déjà un peu ce jeu ?

Enfin, “Les jeux de la Cour et du Hasard” est une pièce en prose (mais qui n’hésite pas à parfois versifier sans en avoir l’air), à l’italienne, sans indication systématique des locuteurs, ce qui rend la lecture très légère. On n’achoppe que rarement, à ne pas trop savoir qui parle, les rares fois où l’abondance de présents sur la scène laisse planer un maigre doute. Bref, à la cour d’Edward III, la baronne Rowina est en disgrâce à cause de son défunt et traître d’époux. Elle a missionné Kosigan pour lui sauver la mise, dans l’idéal hâter un remariage à son avantage, comme avec le vieux duc de Lancaster, avant que Sa Majesté mette fin à son hospitalité. Las ! la fille du roi, une petite peste qui ne veut pas épouser un jeune benêt prince des Flandres, a jeté son dévolu sur le duc, pour faire enrager son père ! Et le vieux duc de se rêver gendre du roi son cadet. On rit aux manigances des uns et des autres aux ressorts de comédie italienne qui siéent à merveille à la politique de cour. On parle fort pour couvrir l’argument d’en face, on serre une main avant que l’autre change d’avis... Et les clients de Kosigan de s’impatienter alors que tout part à vau-l’eau. Mais bien malin, il jette dans la patte de la princesse dévergondée son charmant écuyer, Edric, avec mission de retarder les choses le temps d’un flagrant délit. Il finit grimpé au baldaquin pour protéger sa vertu ! Mais la fille et sa suivante sont sorcières, et donnent à boire un philtre au jeune homme, qui doit lutter pour ne pas révéler le plan de son maître, au risque que tout échoue ! Et comme toute bonne pièce de théâtre, tout finit pour le mieux, la morale est sauve !
Si on a pu voir tout le talent pour une forme très diserte avec les mémoires de Jehan de Mandeville, Fabien Cerutti montre qu’il maîtrise tout autant le récit réduit à ses seuls dialogues, l’essentiel. De fait, ce Premier Coffre recèle six joyaux, très différents en taille, mais brillant de mille feux littéraires et épiques.

Deux éditions s’offrent à vous. Le grand format, chez Mnémos, a fait l’objet d’une édition particulièrement soignée et somptueuse : dos toilé, couverture épaisse et marquée au fer à dorer (encore mieux que la trilogie de Nabil Ouali). De la bouche de l’auteur aux Imaginales 2022, à n’en pas douter une valeur sûre, prenez-en un pour vous et onze de plus pour la spéculation, que vous mettrez de même dans un coffre, dans quelques années vous doublerez, triplerez votre mise !
Le poche n’est certes pas enduit de métaux précieux, mais la somptueuse couverture d’Alain Brion rattrape intégralement la différence. Si vous ne voulez pas dépareiller votre collection...

Terminons par redire que certes, tout cela fait interlude avant un nouveau cycle, mais c’est bien entendu aussi une très belle porte d’entrée dans l’univers de Kosigan et les talents de raconteur de Fabien Cerutti. Idéal pour offrir et faire découvrir que l’Histoire du monde n’est peut-être pas exactement celle que l’on croit...


Titre : Les secrets du premier coffre
Série : Le Bâtard de Kosigan, interlude 1
Auteur : Fabien Cerutti
Couverture : Laure Wilmot
Éditeur : Mnémos
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 350
Format (en cm) : 23 x 16 x 3,5, hardcover + dorure
Dépôt légal : juin 2020
ISBN : 9782354087845
Prix : 23 €
- Réédition poche
Couverture : Alain Brion
Éditeur : Gallimard
Collection : FolioSF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 696
Pages : 444
Format (en cm) : 18 x 11 x 2
Dépôt légal : janvier 2022
ISBN : 9782072951565
Prix : 8,40 €


Le Bâtard de Kosigan :
L’ombre du pouvoir
le fou prend le roi
le Marteau des sorcières
le Testament d’Involution


Nicolas Soffray
29 juillet 2022


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