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Caste des ténèbres (La)
Ludovic Lancien
Hugo et Cie, collection Hugo Thrillers, thriller, 453 pages, avril 2022, 19,95€


« Le légiste préparait ses outils avec l’aide de son assistant. Couteau à cartilage ou à cerveau, burin, maillet à double tête, écarteur ou scie d’amputation, la liste avait de quoi donner des sueurs froides. »

Les lecteurs de Ludovic Lancien retrouveront dans ce roman le commandant Blascoe, dit Le Bélier, héros des « Oubliés de Dieu », et l’inspecteur Lucas Dorinel, personnage du premier roman de l’auteur, « Le Singe d’Harlow  ». Un Lucas Dorinel qui après deux année d’exercice en Bretagne fait un retour mouvementé à la Police Judiciaire parisienne : à peine arrivé, le voilà devant un cadavre aux rotules défoncées à coups de masse et replié au fond d’une malle. Puis il se retrouve confronté à l’assassin de retour sur les lieux du crime, un assassin masqué et défiguré qui semble être d’origine indienne. Mais aussi à un gandin fréquentant les milieux vampiriques, et à de doux dingues amateurs de crocs amovibles se faisant implanter d’inquiétantes prothèses dentaires et appartenant aux « strigoi vii », la communauté folklorique et ésotérique des « vampires vivants ». De doux dingues ? Sans doute, mais aussi quelques authentiques tarés.

« C’est à ce moment-là que les groupuscules nazis ont sérieusement commencé à se greffer sur la scène métal satanique. L’occultisme hitlérien trouvait un nouvel allié en mesure d’attirer une foule toujours plus nombreuse. »

En rapportant les mises en scène sanglantes des protagonistes l’auteur cède à la tentation commerciale de la surenchère façon Chattam ou Thilliez, mais ces évocations sont desservies par l’utilisation ici et là (dont on ignore si elle est volontaire ou non) de termes familiers par le narrateur omniscient, défaut qui en atténue considérablement la portée. Commercial également l’aspect ésotérique (les liens avec l’Ahnenerbe nazie, l’église satanique d’Anton Szandor LaVey, le mysticisme et le système runique de Guido von List, le National Socialist Black Metal) d’un genre qui n’en finit pas de recycler et de ressasser de telles thématiques, mais peut-être fallait-il, car ce troisième roman de Ludovic Lancien est aussi son premier opus à être publié directement en grand format, flatter le lectorat habituel et s’assurer un large public. Pour autant, Ludovic Lancien, dont nous avions souligné qu’il n’avait pas cédé à la facilité dans « Les Oubliés de Dieu  », met en scène ses protagonistes à sa manière, c’est-à-dire, pour la plupart d’entre eux, tout du moins dans la première partie du roman, plus comme des victimes d’eux-mêmes que comme de véritables criminels, des paumés ayant découvert à travers l’usage du sang animal un folklore morbide leur permettant d’exister, des individus tentés par les marges et trouvant auprès de leurs semblables une confrérie répondant à leur besoin d’appartenance à un groupe, à une entité collective quelle qu’elle puisse être. Si les investigateurs sont horrifiés par ce à quoi ils sont confrontés, le lecteur, éprouvera de surcroît un mélange de malaise de pitié face à ces psychologies déviantes, à des individus égarés dans un folklore malsain, des esprits moins compréhensibles, peut-être, que ceux d’authentiques assassins.

« Une foire aux monstres. Ces pervers éprouvent un plaisir pervers à la simple vue du sang. Et nous nous trouvons chez leur photographe officielle, elle-même corrompue par le mal.  »

Mais, à mesure que l’intrigue avance – ce qu’elle fait à grands pas et sans temps mort – on découvre que sont venus se tapir dans les marges de ce folklore d’authentiques criminels, et pas des moindres. Proxénète, tueur en série, psychopathes de haut niveau ont trouvé dans les délires mystiques des nazis, la lutte contre le réchauffement climatique ou les modèles de société emmenant l’humanité droit dans l’impasse, exutoire et prétexte à la libération de leur sadisme et de leur violence personnelle. Une abbaye abandonnée, un squelette de fœtus crucifié au centre d’un symbole particulièrement sinistre, une tête de bouc, des cadavres jetés en pâture à des animaux domestiques conduiront les investigateurs au long d’un jeu de piste constitué d’étapes macabres jusqu’à revenir à l’un de leurs éléments de départ. Ils seront alors persuadés de ne pouvoir trouver la clef de ces multiples énigmes que sur un autre continent, l’Inde, et n’auront d’autre choix que d’en savoir plus.

«  Les ronin sont de véritables animaux. Leurs rêves sont peuplés de monstres abominables que même votre esprit serait incapable d’imaginer. »

« La Caste des ténèbres  » est donc, in fine, l’occasion de découvrir nombre d’abus et de malversations couramment pratiqués en Inde, et, à travers l’histoire de l’enclave française de Pondichéry, d’aborder le thème très vertueux, mais déjà un peu cliché, du décolonialisme. Mais, mieux que cela, cette « Caste des ténèbres » a surtout pour mérite de souligner les problèmes fondamentaux de la société indienne et de rappeler ce que des générations de globe-trotters et d’hommes politiques ont délibérément choisi d’ignorer, à savoir que l’Inde, par sa violence chronique, par ses massacres répétés, par son système de castes fondamentalement discriminant, a longtemps été le théâtre d’un génocide lent, chronique, un génocide qui n’a rien à envier à ceux qui ont été perpétrés par les pires régimes fascistes du globe.

Si « La Caste des ténèbres » apporte une grande attention aux éléments historiques, et parvient à agréger bien des éléments en apparence disparates en un tout cohérent, on reste néanmoins réservé quant à l’ensemble. La faute à une écriture trop lisse qui semble se calquer sur la simplicité maximale, façon Chattam ou Werber, la faute à une facilité dans la surenchère qui se fait au détriment des personnages qui par contraste perdent beaucoup de leur épaisseur, la faute également à de grosses ficelles du genre (le proxénète qui s’exprime comme un professeur d’université et se met en cellule à faire cours comme ferait un historien, les criminels qui avant de se faire tuer ou de se suicider donnent toutes les explications nécessaires à travers de longues tirades.) Thriller fortement teinté d’écarlate, « La Caste des ténèbres » apparaît comme un roman moins personnel que « Les Oubliés de Dieu ». Un récit efficace mais calibré et formaté commercialement, et peut-être trop au standard d’un produit pour marquer en tant que roman.


Titre : La Caste des ténèbres
Auteur : Ludovic Lancien
Couverture : R. Pepin / Getty Images / Marco Bottigelli / Getty Images
Éditeur : [Hugo et Cie>http://www.hugoetcie.fr/]
Collection : Hugo Thrillers
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 453
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : avril 2022
ISBN : 9782755693874
Prix : 19,95 €



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Hilaire Alrune
17 juin 2022


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