Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Entretien avec Orlando Sá
Auteur de « Pessoa » chez Geek Attitude Games
26 avril 2022

Le nom d’Orlando Sá vient de sonner durablement aux oreilles des ludistes francophones avec son jeu « Pessoa » aux éditions belges Geek attitude Games. Le voyage qu’il nous offre dans les méandres de l’esprit du poète lusitanien Fernando Pessoa est une expédition ludique exigeante et jubilatoire que nous avons appréciée à sa juste valeur.
Aujourd’hui, Orlando Sá s’est prêté au jeu des questions/réponse afin de nous emmener dans ses propres chemins créatifs.



JPEG - 58.9 ko

« Pessoa » est votre 5ème jeu de société, le seul traduit en français à ce jour. Mais quel a été votre parcours pour y parvenir ? Quelle a été la bascule qui vous a fait passer de joueur à créateur ?

Depuis le moment où j’ai découvert les jeux de société modernes en 2012 et commencé à les pratiquer, j’ai tout de suite pensé à en concevoir. J’ai débuté en créant des variantes pour des jeux existants, quelques modes solo et, en 2016, j’ai publié un jeu en Print’n play (on imprime, on découpe et on joue, NDLR) intitulé « Adamastor ». Cela m’a servi à terminer enfin un projet complet et à mieux comprendre le processus de création. À partir de là, j’ai continué à concevoir des jeux et, heureusement, j’ai pu publier la plupart de mes créations.

Après avoir invité les joueurs à la navigation, la construction du front de mer de Porto, la pose d’azulejos et la course au papier toilette, vous les emmenez dans l’esprit multiple du poète Fernando Pessoa. Mais d’où vous est venue cette idée ?

Après avoir terminé « Rossio » (2020), l’éditeur Pythagoras m’a demandé si je voulais créer un jeu sur Fernando Pessoa. Ils savaient que j’étais un grand fan du poète. Je dois avouer que je n’étais pas sûr d’être capable d’inventer un jeu sur un personnage aussi énorme. Je savais que je ne pouvais pas faire un jeu simple sur un personnage aussi complexe. J’ai tout de suite pensé que les mécanismes du jeu devaient montrer au monde à quel point l’esprit de Pessoa était réellement alambiqué et subtil.

JPEG - 92.9 ko

Les mécaniques du jeu retranscrivent parfaitement les éléments de la vie de Pessoa. Quels types de recherches avez-vous eu besoin de faire pour parvenir à cette adéquation avec les mécaniques ? Avez-vous (re)lu tout Pessoa, Soares, Reis… ?

Étant un grand fan de Pessoa, au cours de ma vie j’avais déjà lu beaucoup de ses écrits. Mon hétéronyme préféré a toujours été Caeiro, le naturaliste. Je me suis toujours senti en paix en le lisant. De la même manière que mon cœur s’est toujours emballé lorsque je lisais le futuriste Campos. Et comme je ne suis pas grand amateur des émotions extrêmes, j’ai trouvé refuge dans la poésie de Caeiro.
Au final, mes recherches ont plus porté sur des faits historiques que sur le style de l’écriture, que je connais très bien. J’ai aussi passé beaucoup de temps à effectuer des recherches sur l’obsession de Pessoa pour l’astrologie. C’était quelque chose dont je n’étais pas complètement conscient et je sentais que je devais l’intégrer dans le jeu.

Les 12 tours de jeu sont très tendus. On a la sensation de ne pas avoir le temps de mettre sa stratégie en œuvre. Vouliez-vous faire transparaître une tension que l’on retrouve dans la vie de Pessoa et son côté mentalement chaotique ?

En tant que game designer, je tiens à ce que les joueurs ne puissent pas faire tout ce qu’ils veulent dans le jeu. L’expérience avec le jeu et contre le jeu est primordiale. Je veux que les joueurs améliorent leurs stratégies au fur et à mesure de leurs parties. Comme pour un livre, un jeu ne doit pas tout vous dévoiler sur les premiers chapitres. C’est pourquoi une partie se termine à un point où vous avez réalisé quelque chose, mais vous auriez encore de nombreuses chose à faire. Nous avons beaucoup testé ce qui serait le point final optimal afin de rendre le jeu aussi tendu que possible. Cette tension oblige les joueurs à faire des choix. Et les choix sont les épices d’un jeu de société.

Pensez-vous que l’édition de jeux mettant en avant des auteurs littéraires peut aider à transformer le jeu de société en produit culturel ?

Personnellement, je vois déjà les jeux de société comme des produits culturels. Mais il est vrai que les jeux qui se concentrent sur des personnages célébrés par nos cultures pourraient amener les joueurs à en apprendre plus sur ces personnages. Je sais que plusieurs personnes ont acheté des livres de Fernando Pessoa après avoir joué à Pessoa. Cela me rend incroyablement heureux.

JPEG - 62.4 ko

« Pessoa » est une co-édition avec Pythagoras, votre éditeur portugais, et Geek Attitude Games (GAG). Comment l’éditeur belge est-il arrivé dans l’aventure ?

En fait, j’habite à Bruxelles et Pythagoras m’a demandé si je pouvais montrer « Pessoa » à Geek Attitude Games qui était très intéressé par le jeu. Nous avons immédiatement établi une très bonne collaboration. Tellement bonne que nous travaillons maintenant ensemble sur d’autres projets.

Comment s’est déroulé le travail éditorial avec l’équipe de GAG ? Beaucoup de modifications ont-elles été nécessaires entre votre prototype et le jeu final ?

GAG a eu un rôle très important dans le développement du jeu. Ensemble, nous avons peaufiné les mécaniques et le gameplay. GAG a également effectué un énorme travail sur le livret de règles, en le rendant plus compréhensible et plus clair. L’iconographie du jeu a aussi eu droit à des améliorations de luxe. Ils ont upgradé le jeu à bien des égards. C’était fabuleux de travailler avec eux et de vivre tout le développement qualitatif de mon jeu.

Avez-vous travaillé en collaboration avec l’illustratrice Marina Costa ?

Oui. J’avais demandé à Pythagoras de travailler avec Marina parce que j’adore son style artistique. Je pense que c’est une grande artiste et j’espère que d’autres éditeurs découvriront son travail.

Quels sont les jeux qui vous inspirent ? Appréciez-vous plutôt des mécaniques, des auteurs, des univers ?

En dépit d’être un omnivore ludique, j’ai une préférence pour les jeux de stratégie moyennement lourds. Des jeux comme « Praga Caput Regni », « Brass Birmingham », « Troyes », « Maracaïbo » et « Projet Gaïa » font partie de mes favoris de tous les temps.
J’ai une préférence particulière pour le travail de Vladimir Suchý (« Underwater Cities », « Praga Caput Regni », « Messina 1347 ») et d’Alexander Pfister (« Maracaïbo », « Port Royal », « Cloudage », « Boonlake »). J’admire également le génie de Vlaada Chvátil (« Mage Knight », « Through The Ages », « Code Names »). Je le vois comme ma plus grande référence car mon objectif est de concevoir des jeux de société de tous types et de toutes complexités.

Quelles sont vos influences venant d’autres media, cinéma, livres, BD, peinture… ?

J’aime l’art en général de par ma formation artistique et mon métier d’architecte, mais je ne pense pas avoir de références artistiques particulières qui influencent mon travail de design. Les influences proviennent plus des acteurs de mes centres d’intérêt : des écrivains, des peintres, des musiciens. Je me demande toujours comment je peux capturer sous forme de jeux de société tous ces intérêts.

JPEG - 106 ko

Quelles sont vos techniques de travail ? Avez-vous des routines ?

Je suis plutôt une personne du matin et la plupart de mes idées apparaissent en début de journée. Mais ensuite je dois attendre de quitter le travail en fin de journée pour les mettre en pratique.
Je n’ai pas de routine particulière. Quand une idée surgit, je la dessine sur mon cahier, je note les idées et je les laisse mûrir dans ma tête pendant plusieurs semaines. Ensuite, la manière d’avancer change d’un jeu à l’autre. Je n’aime pas ressentir la pression lors de la conception de jeu, donc je fais toujours savoir à mes éditeurs que je prendrai le temps nécessaire pour rendre le jeu le meilleur possible. Certains jeux avancent vite, d’autres avancent lentement. C’est ce que j’aime dans le processus : le fait que j’en découvre un peu plus sur la façon de créer des jeux à chaque nouveau projet.

Comment concevez-vous vos prototypes ?

Je crée d’abord des prototypes virtuels sur Tabletopia où je les teste seul afin de détecter d’éventuelles grosses erreurs et d’être sûr qu’ils soient jouables. Ce n’est qu’après cela que je les amène à la table pour jouer avec d’autres joueurs.

Quels conseils pourriez-vous donner à un apprenti créateur de jeux ?

Le meilleur conseil que je puisse donner est : jouez à autant de jeux que possible. Et lorsque vous jouez, ne vous concentrez pas sur la victoire, concentrez-vous sur l’essai de différentes stratégies afin de voir comment le jeu se comporte. Faites des choses stupides en jouant pour voir comment le jeu réagit. Vous en apprendrez beaucoup plus ainsi qu’en lisant des livres théoriques. Ensuite, commencez à créer des variantes de jeux que vous aimez mais où vous pensez que les choses pourraient être changées. C’est un bon moyen de tester des idées car vous construisez votre conception sur quelque chose de solide. Ensuite, commencez à concevoir des jeux auxquels vous aimeriez jouer. Puis il faut les tester, les refaire, les tester et les refaire encore. Ne créez pas quelque chose parce que vous pensez que cela vous rendra riche (alerte spoiler - ce ne sera pas le cas !). Créez quelque chose qui vous passionne. La passion est le meilleur carburant de la créativité et c’est ce qui fera avancer votre projet.

Avez-vous des publications à venir et des projets en cours de travail ?

J’ai plusieurs projets en cours en même temps. L’année prochaine, MeBo Games (éditeur de « Porto ») publiera « Neotopia », un jeu familial co-conçu avec André Santos ; Pythagoras Games publiera « Celtae », un jeu avec le même genre de complexité que « Pessoa » ; et un éditeur que je ne peux pas révéler pour le moment publiera un nouvelle édition de mon premier jeu : « Adamastor ».
J’ai aussi un projet secret avec Geek Attitude Games, un jeu expert thématique. Ce sera le jeu le plus lourd sur lequel j’ai travaillé jusqu’à présent et je suis très, très heureux de ce qu’il peut devenir.

Merci beaucoup Orlando pour vos réponses. Nous avons hâte de découvrir vos prochains jeux.


À lire sur la Yozone :
- « Pessoa », la chronique


Illustrations © Marina Costa & Geek attitude Games & droits réservés éditeurs


Michael Espinosa
Christelle Espinosa
26 avril 2022



JPEG - 48.2 ko



JPEG - 12.1 ko



JPEG - 14.8 ko



JPEG - 21 ko



JPEG - 21.5 ko



JPEG - 37.7 ko



JPEG - 16.6 ko



JPEG - 22.6 ko



JPEG - 22.2 ko



JPEG - 14.8 ko



JPEG - 19.8 ko



JPEG - 17.9 ko



JPEG - 31.3 ko



JPEG - 20.9 ko



JPEG - 15.9 ko



JPEG - 5.7 ko



Chargement...
WebAnalytics