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Terra Ignota, livre Quatrième : L’alphabet des créateurs
Ada Palmer
Le Bélial’, roman traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 540 pages, février 2022, 24,90€

Sur la Terre de 2454, la guerre a débuté entre les Ruches, deux camps s’affrontent : les Protecteurs des Ruches et les Recréateurs qui soutiennent JEDD Maçon aux nombreux titres. Lors de la première frappe, Mycroft Canner a disparu. Il est pleuré depuis, notamment par le nouvel Anonyme qui prend la suite des chroniques. Un mystérieux camp s’est rendu maître des véhicules volants et s’en sert comme armes pour empêcher quiconque de se déplacer par la voie des cieux. Un autre coup met à mal la cohésion de l’humanité, le réseau des communications est coupé, chacun se retrouve isolé dans son coin, dans l’incapacité de savoir ce qui se passe dans les villes voisines et bien sûr dans le reste du monde. Il faudra aux habitants apprendre à échanger des informations d’une autre manière, réapprendre les anciennes techniques, la débrouillardise revient sur le devant de la scène. Mais tout cela est limité et la vision de la situation se révèle partielle, frustrante, alors que l’heure est grave.



« Perhaps the stars » est le dernier tome de la tétralogie « Terra Ignota » de l’Américaine Ada Palmer. Il s’avère si imposant que Le Bélial’ le publie en deux volets : le présent « L’alphabet des créateurs » et « Peut-être les étoiles » prévu en octobre 2022, les deux dépassant allègrement les 500 pages.
Au début, il faut un temps d’adaptation pour se remettre dans le contexte, apprivoiser à nouveau la société imaginée par Ada Palmer et nourrie par de multiples sources, ainsi que la langue utilisée. De plus, cette fois-ci, les principaux personnages ne sont pas déclinés suivant leur ruche,mais suivant le camp qu’ils soutiennent ou dont ils sont censés être proches. Bien sûr, comme le prouvera le récit, les frontières sont fluctuantes, il n’y a pas le noir d’un côté et le blanc de l’autre, rien n’est simple, d’autant que beaucoup se proclament neutres dans le conflit. Les opinions dans une même ruche peuvent être divisées, des camps apparemment antagonistes peuvent avoir le même but. Dans cette nouvelle ère où communiquer est devenu très compliqué, les informations à disposition ne sont pas toujours claires, les malentendus très difficiles à lever. Romanova, la capitale mondiale se trouvant en Sardaigne, est bien esseulée. Il s’agit d’une ville peuplée d’adversaires retranchés dans des quartiers distincts, le siège d’un pouvoir en berne. Certains comme l’Anonyme et le Censeur tentent de peser sur le cours des événements, mais la coupure du réseau les musèle. La lenteur du palliatif pour contourner le problème bride leurs tentatives. Leurs efforts s’avèrent aussi méritoires que dérisoires.

Quel est ce mystérieux camp ayant instauré le black-out ? Beaucoup voient là l’action des Utopistes, mais l’Anonyme ne veut pas y croire. Une autre révélation vient encore jeter de l’huile sur le feu. Et que devient JEDD Maçon dans tout ça ? Celui que beaucoup assimilent à un Dieu par son étrangeté, sa difficulté à communiquer avec autrui. Seul le regretté Mycroft Canner était à même de le comprendre. Un Dieu, un mystérieux camp qui fait songer à des aliens, Achille, héros ressuscité comme chef de guerre, des êtres améliorés, des personnifications du siècle des lumières... Ada Palmer fait feu de tout bois, plongeant les lecteurs dans un monde futur différent mais avec des accents connus. Un futur construit sur le passé, réinventé par certains comme les Utopistes, imaginant l’avenir des humains. Le titre « Peut-être les étoiles » veut tout dire.
Ces derniers sont dévoués à la science, ils consacrent tous leurs efforts à la faire progresser. Chacune de leurs interventions dans ce conflit met à mal leur Grand Projet et s’apparente à un sacrifice, car cela retarde sa mise en œuvre. La tension monte sans cesse dans ce volume, au fur et à mesure que la situation globale se révèle.
Avec le début de la guerre, finis les communications instantanées, les déplacements rapides à travers toute la planète, c’est un retour brutal bien des siècles en arrière. Les voyages sont risqués, ils représentent une aventure en soi, un saut dans l’inconnu.
La politique se trouve au premier plan, le jeu du pouvoir, les alliances tiennent une place de choix ici. « L’alphabet des créateurs » demande à plus d’une reprise de poser le livre et de réfléchir à ce qui vient d’être lu pour comprendre tout ce que cela implique. Il faut l’accepter, prendre son temps pour bien l’assimiler, le plaisir n’en sera que plus grand.
La fin, en réalité le milieu de « Perhaps the Stars », est palpitante avec combat naval et enjeux colossaux. Qui tient les manettes, qui veut le chaos, la fin d’un rêve, comme si l’humanité était vouée à rester définitivement bloquée dans son berceau ? Les ténèbres ne sont pas loin...

Chaque tome de « Terra Ignota » apporte son lot d’émotions et de surprises. « L’alphabet des créateurs », la première parte de « Perhaps the Stars », laisse à penser que ce cycle s’achèvera en apothéose. Ada Palmer apporte un souffle nouveau, une SF autre pleine de créativité sur tous les plans. Le passé s’invite dans son futur avec des personnages décalés, reflets de jours disparus, comme le latin, la langue des Maçons... Le lecteur en prend plein la vue, il risque d’être déboussolé à plus d’une reprise, mais la science-fiction n’est-elle pas aussi la littérature du vertige, celle dans laquelle le lecteur aime tant s’abandonner ? Ici, il est servi et bien servi.
« L’Alphabet des créateurs » regorge d’inventivité, expose un conflit mondial assez obscur, mais dont les enjeux n’en sont pas moins énormes.
La SF d’Ada Palmer se révèle généreuse, exigeante mais ô combien stimulante.


Titre : L’alphabet des créateurs (Perhaps the Stars, 2021)
Série : Terra Ignota, livre Quatrième
Auteur : Ada Palmer
Couverture : Amir Zand
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Michelle Charrier
Éditeur : Le Bélial’
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 540
Format (en cm) : 14 x 20,5
Dépôt légal : février 2022
ISBN : 9782843449949
Prix : 24,90 €


Ada Palmer sur la Yozone :
- Terra Ignota, livre Premier : Trop semblable à l’éclair
- Terra Ignota, livre Deuxième : Sept redditions
- Terra Ignota, livre Troisième : La volonté de se battre

Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
13 mars 2022


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