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Nous sommes là
MIchael Marshall
Bragelonne, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), fantastique, 545 pages, janvier 2022, 8,90 €


« Je sais d’expérience que l’angoisse est une force extrêmement puissante, et que ceux qui la subissent semblent sous l’effet d’une possession démoniaque.  »

Plusieurs personnages, plusieurs trames narratives. Les principales sont celles mettant en scène deux couples, d’une part David et Dawn, un jeune écrivain bientôt publié et son amie enceinte, d’autre part John et Christina. Dans la foule, David est confronté par deux fois à un homme qu’il ne connaît pas mais qui semble le connaître. Catherine, la meilleure amie de Christina, a l’impression d’être suivie jusque devant chez elle : John se propose de l’aider à tirer cela au clair. Deux évènements en apparence anodins qui vont modifier à jamais l’existence de ces deux couples.

« L’angoisse module le monde environnant en une crise intangible et insoluble, transformant le moindre doute en rat prompt à se dévorer la queue.  »

Mais ces deux couples ne sont pas, loin s’en faut, les seuls protagonistes de cette histoire. Il y a Talia, une amie de David, qui vit dans une caravane et écrit un roman de fantasy digne d’estime. Il y a une vieille folle qui n’a jamais pu accepter la mort de son ami et, des décennies plus tard, continue à l’apercevoir fugacement ici et là. Il y a George, une connaissance de Talia, qui, par deux fois, a pris dans son véhicule un autostoppeur qui a disparu avant que l’auto n’arrive à destination. Il y a le père Jeffers, qui en sait sans doute bien plus qu’il ne veut en dire. Il y a bien d’autres personnages et, surtout, des individus qui semblent osciller à la limite du visible et de l’invisible, des individus capables d’échapper à toute filature, à toute forme de contrôle, et dont seuls certains protagonistes du roman semblent capables – par moments – de remarquer l’existence.

Un narrateur omniscient, plusieurs narrateurs à la première personne du singulier, dont certains appartiennent à la confrérie de ces être semi-invisibles au sujet desquels on ne sait rien. La méthode retenue par l’auteur est d’avancer très lentement, le plus lentement possible, sans doute pour créer l’angoisse. Disons-le tout de go : au bout de cent-cinquante pages, il ne s’est strictement rien passé. Il en reste encore quatre cents ; et, au final, il ne se passera pas grand-chose. Et si cette sensation de malaise ou d’horreur diffuse que l’auteur cherche visiblement à produire, et qui pointe si souvent son nez, ne fait que frémir sans jamais croître ni vraiment s’installer, c’est en raison de deux défauts bien trop évidents. D’une part l’auteur tire à la ligne, lourdement, constamment. Ce roman de cinq cent cinquante pages pourrait être facilement allégé d’un tiers, sinon même d’une moitié. D’autre part, les chapitres et situations deviennent à tel point répétitifs que ce qui a pu fonctionner le temps d’une ou deux scènes finit par perdre l’essentiel de son intérêt.

« Les enfants naissent sans toutes ces règles artificielles, puis le monde passe les vingt premières années de chacun à détruire toute la magie. Il s’affaire à dessiner une ligne autour de chaque individu afin de le séparer du reste du l’univers. »

Il y avait pourtant, sur le thème de ces individus qui oscillent entre visible et invisible, qui sont dotés de si peu de présence que nul ne les remarque jamais, matière à des développements intéressants. Une thématique déjà explorée par bien des auteurs, comme Bentley Little dans « L’Ignoré » (Pocket 2001, réédition 2003) ou Claire North dans « La Soudaine apparition de Hope Arden » (Bragelonne, 2017). Mais si, à travers ce « Nous sommes là  », Michael Marshall parvient à offrir quelques chapitres tendus et convaincants, l’ensemble est noyé dans une sorte de flottement narratif, une indécision au sujet de la nature de ces êtres furtifs, avec cette belle idée de l’existence d’amis imaginaires que l’auteur finit par abandonner au profit d’une explication bien plus classique, comme s’il n’était pas parvenu à développer pleinement son sujet initial.

On ne voudrait pas dire du mal d’un Michael Marshall qui, à la fin des années quatre-vingt-dix et sous le nom de Michael Marshall Smith, avait séduit un vaste lectorat avec « Avance rapide » et « Frères de chair », deux romans de science-fiction brefs, denses, riches et tendus. « Nous sommes là  » est hélas à rapprocher d’une toute autre catégorie : celle de ces gros romans de fantastique ou d’horreur qui ont fleuri dans les années quatre-vingt-dix, un domaine dans lequel bien des tâcherons, avec des pavés interminables et des intrigues ténues, ont essayé de suivre le filon Stephen King sans y parvenir. Nous ignorons si c’est ce qu’a essayé de faire à son tour Michael Marshall ou s’il a cru, ou voulu, tracer une voie plus personnelle. Quoiqu’il en soit, le résultat peine à convaincre et n’est certainement pas à la hauteur de ce que l’on pouvait espérer d’un écrivain de la trempe de Michael Marshall Smith.


Titre : Nous sommes là (We are here, 2013)
Auteur : Michael Marshall
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Benjamin Kuntzer
Couverture : Jean-Charles Pasguer / Karine Vegas / Arkangel Images
Éditeur : Bragelonne (édition originale : Bragelonne, 2015)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 545
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : janvier 2022
ISBN : 9791028113148
Prix : 8,90 €



Michael Marshall alias Michael Marshall Smith alias Michael Rutger sur la Yozone :

- « La Vie ô combien ordinaire d’Hannah Green »
- « Les Morts solitaires »
- « Les Domestiques »

Sous le pseudonyme de Michael Rutger :

- « L’Anomalie »


Hilaire Alrune
5 février 2022


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