Genre : Film de guerre historique
Durée : 2h05
Avec Sami Bouajila (Abdelkader), Roschdy Zem (Messaoud) , Samy Naceri (Yassir), Jamel Debbouze (Saïd), Bernard Blancan (Martinez), Mathieu Simonet (Leroux), Aurélie Eltvedt (Irène)...
Festival de Cannes 2006 : prix collectif d’interprétation masculine aux cinq premiers rôles
1944. L’armée française enrôle des africains pour combattre en France. Qu’ils viennent du Sénégal, du Cameroun, d’Algérie ou du Maroc, ces hommes, appelés “les indigènes”, espèrent libérer le pays colonisateur et inscrire leur nom dans l’histoire. Mais 60 ans plus tard, ces soldats ont été effacés de la mémoire collective...
Film sur la Seconde Guerre Mondiale, « Indigènes » n’encense pas la guerre. Bien au contraire, il la dénonce. Les scènes guerrières ne cachent ni la violence ni la peur et révèlent l’humanité de chacun. Engagés pour différentes raisons (payer un mariage, lutter contre le nazisme ou sortir de la misère), les protagonistes ont tous foi en ce qu’ils font et pensent, non sans naïveté, avoir leur place dans l’Histoire...
« Indigènes » dénonce le racisme et la ségrégation. De nombreuses scènes montrent l’injustice dont sont victimes ces soldats.
Du film, on gardera en mémoire la scène des tomates, du courrier censuré ou du ballet. Forts et pertinents, ces moments sont autant de blessures pour ces soldats victimes de leurs origines et des préjugés. Certains que grâce à eux les choses et le regard des autres vont changer, ils se heurtent à une réalité sans concession. Mais ils ne baissent pas pour autant les bras et continuent de croire en ce qu’ils font. L’apothéose est la scène du village des Vosges. Sublime séquence dans laquelle les masques tombent, les hommes luttent jusqu’au dernier moment sans abandonner. Violente et réaliste, cette scène doit faire pâlir de jalousie Steven Spielberg dans « Il faut sauver le soldat Ryan ».
Envoyés aux avants postes lors des batailles sanglantes, ces hommes ont été de la chair à canon. Honte aux officiers d’alors qui ne croyaient pas en la valeur de ces hommes. Ils n’avaient pas mérité le dédain et le mépris d’un Etat qui s’est servi d’eux. Jacques Chirac a récemment ouvert les yeux en voyant « Indigènes » et a demandé à son gouvernement de réparer l’injustice des pensions... Si « Indigènes » a au moins réussi à réhabiliter ces soldats, il a fait beaucoup. Si le film permet le versement des pensions, ce sera une réelle victoire. Quel film a le pouvoir de faire changer à ce point les choses ? Les petits enfants de ces soldats peuvent être fiers, dommage qu’il ait fallu attendre plus de 60 ans pour que les choses bougent et que le cinéma s’intéresse à eux.
Le film, en plus du message fort qu’il véhicule, possède de grandes qualités artistiques. Les décors et les costumes sont fidèles, la réalisation sait autant faire passer l’horreur des scènes de bataille que la douleur muette des regards échangés. Quant à l’interprétation, le prix à Cannes est fortement mérité. Si la présence de Jamel Debbouze fait rire les plus sceptiques, il faut qu’ils pensent moins à la crédibilité qu’à la raison de sa présence dans le film. S’il n’y avait pas apporté sa contribution, le film n’aurait jamais vu le jour. Et je tiens à saluer tout spécialement le très grand mais trop rare Sami Bouajila, dont l’interprétation est des plus juste.
Avec ses nombreuses qualités artistiques, « Indigènes » est un film de guerre intense.
Il permet de mieux comprendre l’impact que l’oubli peut avoir sur les populations immigrées. Porté par des acteurs emblématiques et reconnu par la nouvelle génération, « Indigènes » permettra peut-être d’apaiser certaines rengaines et pour certains, de ne plus regarder constamment en arrière...
Céline Bouillaud
Un autre avis
Certes, le scandale révélé au grand jour et au grand public hexagonal méritait bien un film. Certes, on adhère à 100% au propos historique et moral développé par cet « Indigènes ». Certes, tout cela est fait très sérieusement dans un esprit très proche des grandes productions anglosaxonnes (surtout américaines) qui n’hésitent pas à dénoncer les infamies de la grande Histoire.
Certes, certes, certes mais malheureusement, le cinéma est une maîtresse difficile que l’on ne séduit pas seulement avec de beaux discours. Il faut lui offrir des écrins de rêves, l’hypnotiser avec talent et l’embrasser avec ferveur. Autant d’éléments que l’on ne trouve que trop rarement dans cet « Indigènes ». La raison principale ?
À trop vouloir en dire, à trop montrer et démontrer, le piège de l’image clichée extirpée d’un contexte donné et explicatif finit par s’imposer alors que ce ne devrait pas être le cas.
Alors oui, un officier regarde ses troupes du haut d’une position bien planquée et avec des jumelles et oui, ceux qui devaient aller au feu en première ligne morflaient sévères, etc. En même temps, on ne demandait pas non plus à un Général de finir le travail grenade à la main et à mettre tout le monde à l’arrière.
Alors, la France, bonne fille mais pas toujours bonne mère, envoya, dès qu’elle le put, ses « indigènes » en première ligne comme elle le fit de sa paysannerie en 14-18 et de son prolétariat toujours. Bref, la guerre c’est pas beau et les plus faibles n’en sortent jamais gagnants...
Pris au premier degré et considéré comme un simple film de guerre, « Indigènes » n’arrive pas au genou de la série « Band of Brothers-Frères d’Armes » (désolé). Manque d’ampleur des scènes d’action et passages brutaux d’un personnage à l’autre sans liant. Malgré la légitimité méritée accordée par le Festival de Cannes aux cinq premiers rôles masculins, les situations à la limite du surréalisme (Jamel Debbouze avec un fusil dont il ne pourra jamais se servir, hum...) et une foule de petits détails finissent par alourdir une addition que la simple narration des faits historiques rendait passionnante.
Finalement, plus que le regard halluciné de Samy Nacéri, plus que la bouille attachante (et l’impeccable interprétation) de Jamel Debbouze, ce sont surtout les compositions de Roshdy Zem (émouvant), Sami Bouajila (naturel) et Bernard Blancan (tendu à l’extrême) que l’on retient.
Côté histoire et scénario, le film s’essouffle dans l’absence d’enchaînements entre chaque scène clef. La phase de transition s’évaporant trop vite, on est souvent les fesses entre deux chaises.
En fait, plus qu’un film de 2h08, on a parfois l’impression de voir un résumé d’une série télé dont un monteur fou aurait décidé de nous escamoter dans les 4 heures d’un format plus classique (6 fois une heure) qui aurait été parfait.
Reste alors quelques moments de bravoure incontestables et le vrai sentiment de faire œuvre utile en prenant connaissance des faits.
On sait “la grande muette” capable des plus grandes stupidités, on n’est pas certains que le florilège proposé dans ces deux heures de cinéma mémoriel facilite la digestion (et la compréhension) d’un film que l’on a envie d’aimer quand même.
C’est que derrière le bruit et la fureur des hommes et des armes se cache évidemment une histoire (la vraie) qui fait tâche. Celle de ses combattants venus des colonies, engagés de force ou volontaires naïfs d’une boucherie qu’ils ne pouvaient supposer. Savoir qu’aujourd’hui encore, la France, ce beau pays moralisateur aux hautes prétentions universelles et humanistes, chipotent les quelques francs qu’elle aurait dû accorder depuis longtemps aux survivants de la Seconde Guerre Mondiale venus d’ailleurs est un scandale intolérable. Une négociation à la petite semaine, sans aucune légitimité, ersatz des cours de néo-libéralisme économique mal compris, qui devrait valoir l’enfer à tous les bataillons de politiciens infoutus de régler le problème avec un minimum d’honneur.
Car après tout, il ne s’agit que de ça : une question d’honneur qui permettrait à un pays de regarder son reflet dans un miroir sans être soudainement pris d’une atroce envie d’aller plonger la tête au fond des toilettes.
Alors oui, par-dessus le dégoût que l’on éprouve à l’énoncé d’une triste vérité, subsiste un film qui « apprendra » quelque chose d’utile à beaucoup.
C’est bien sur le fond mais sur la forme on ne touche jamais au sublime qu’un tel sujet réclamait. « Indigènes » est un bon film, méritant amplement l’investissement et le prix du tichet, mais ce n’est pas non plus « Les Sentiers de la Gloire » de Stanley Kubrick !
Si au finish, le problème soulevé y trouve enfin une solution, on oubliera nos griefs et on adresse par avance de francs remerciements à toute l’équipe du film.
Quant à Jacques Chirac et à son gouvernement, qu’ils ne nous fassent pas croire qu’ils découvrent le problème pour le régler opportunément à un an d’une présidentielle tendue. Cela fait déjà plusieurs années que la France refuse d’honorer ouvertement ses engagements et ne respecte pas les décisions judiciaires prises à son encontre. Ni le PS et les Verts quand ils étaient au pouvoir, ni le couple UMP-UDF n’ont obtempéré. Seuls quelques journalistes (des emmerdeurs !), des anonymes (on s’en fout !), les ministres des pays concernés (plus chez nous ça !) et les associations d’anciens combattants (vont mourir dans pas longtemps !) ont lutté dans cette affaire.
Donc, camembert à tous les autres !
« Indigènes » ? Une question d’honneur, disais-je.
Stéphane Pons
FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Rachid Bouchareb
Scénario et dialogues : Rachid Bouchareb et Olivier Lorelle
Co-producteur : Jamel Debbouze
Producteur associé : Thomas Langmann
Producteur exécutif : Muriel Merlin
Producteur délégué : Jean Bréhat
Photographie : Patrick Blossier
Musique originale : Khaled, Armand Amar
Décors : Dominique Douret
Effets spéciaux : Les Versaillais
Effets visuels : L’Est
Montage : Yannick Kergoat
Casting : Nora Habib
Production : Tessali Productions (Algérie), Kissfilms, France 3 Cinéma et France 2 Cinéma, Studiocanal (tous France), Taza Productions (Maroc), Versus Production et Scope Invest (Belgique)
Distribution : Studiocanal (Mars Films)
Exportation, distribution internationale : Films Distribution (France)
Presse : François Guerrar et Anaïs Lelong (Paris)