C’est une douleur de dévoiler, en quelques lignes, la trame de cette nouvelle qui fut la première publiée par Kate Wilhelm. Une quarantaine de pages étourdissantes. Dans la première partie, derrière le voile de la technologie du voyage temporel, on devine un monde d’origine, un temps de départ, le nôtre, totalement ravagé par la pollution et la surpopulation. Et Lorin qui voudrait ne jamais retourner dans cet enfer urbain, prêt à empêcher le voyage retour de tous par sa seule défection. Isolé du groupe, il a du mal à comprendre que Jan souhaite si ardemment retrouver l’espace clos et bétonné de leur minuscule appartement.
Et puis, ce réveil, des rôles et des noms qui s’échangent, l’explication d’une expérience d’hypnose plus réaliste que le voyage temporel. Mais dans quel but ? et avec quelles conséquences ? Quand Jan ne rentre pas chez eux, Lorin cherche une explication, envisage le pire, ne comprend pas pourquoi elle et pas lui. C’est lui qui a dévié. Passent d’affreuses heures à chercher sa faute, jusqu’au verdict glaçant et la chute, brutale et lourde de psychologie.
Que faire de l’homme en l’absence de futur, de présent désirable ? La société peut-elle se satisfaire de membres qui dysfonctionnent ? Un monde en roue libre vers sa propre destruction peut-il voir de telles personnes comme des signaux d’alerte ?
Le plus terrifiant dans « Demain le silence », c’est l’âge de ce texte. Un demi-siècle, et les thématiques qu’il brassent sont toujours d’actualité. On y retrouve la hantise d’un monde dévoré par l’urbanisation de « Traverser la ville » de Robert Silverberg réédité simultanément par le Passager Clandestin, et paru en 1973. La réponse de Kate Wilhelm diffère cependant : son personnage rêve d’évasion, d’échapper à la ville, de retourner à une nature sauvage, indomptée, où l’Homme ne serait pas le centre de tout. Revenu dans sa « réalité », il ne peut qu’admettre son inaptitude à reprendre une vie « normale », à donner le change de la bonne santé mentale. Le tour de force final est de le conduire à faire son propre diagnostic et sa propre ordonnance, avec réalisme et un eu de fatalité.
Comme toujours, en regard du texte, l’éditeur fournit une biographie de l’autrice, un très bon dossier critique, riche en contexte et références sur la vague de « retour à la terre » et la fin du modèle des mégapoles dès les années 1960, ainsi que les progrès de la psychiatrie et de la définition de la folie, une étiquette rapidement collée à tous ceux qui s’éloignaient de la norme sociétale.
Une petit pépite, qui fut au sommaire de très bonnes anthologies, à prendre garde de ne pas égarer dans sa bibliothèque. Ou au contraire, pour le plaisir de la retrouver ensuite. Et une invitation à relire la production de Kate Wilhelm, peu abondante mais couronnée des prix Hugo, Locus et Apollo.
Titre : Demain le silence (The Chosen, 1970)
Auteur : Kate Wilhelm
Traduction de l’anglais (USA) : Michèle Valencia
Couverture : Yanni Panajotopoulos
Éditeur : Le Passager clandestin
Collection : Dyschroniques
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 64
Format (en cm) :
Dépôt légal : février 2022
ISBN : 9782369355151
Prix : 5 €