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Chroniques de l’érable et du cerisier (les), tome 1 : Le Masque de no
Camille Monceaux
Gallimard Jeunesse, roman (France), 411 pages, avril 2020, 20,50€

Japon, début XVIIe siècle, quelques années après la bataille de Sekigahara et l’avènement du shogunat Tokugawa. Un vieux samouraï, retiré du monde, trouve un bébé et l’élève avec Oba, la vieille femme qui lui est attachée. L’enfant, Ichirô, grandit isolé, dans la forêt, et apprend l’art du sabre. La mort d’Oba un hiver rebat les cartes, mais le maître peine à s’ouvrir à Ichirô. Mais le passé les rattrape, lorsqu’on vient remettre un sabre maudit au samouraï, puis lorsque des guerriers en noir viennent le tuer. Ichigô se retrouve seul, et après quelques mois dans la forêt, il se décide à rejoindre Edo et venger son maitre.
Les premiers temps sont durs, et Ichigo va devoir apprendre à vivre avec les autres, parfois leur faire confiance, d’autres fois s’en méfier... Reléguant sa vengeance au second plan, il va tenter de se fondre dans son nouvel univers.



C’est le premier roman de Camille Monceaux, et à n’en pas douter l’équipe de Gallimard Jeunesse a déniché là une perle rare, qui aurait mérité la première place du prix du premier roman jeunesse !

Tout est là : un récit à la première personne (à quelques exceptions initiales), une psychologie très fine du héros d’abord enfant, puis ado et jeune adulte, qui découvre le monde ; enfin, une immersion tout en douceur, au fil du récit, dans le Japon post-impérial, à une période charnière propice à la fiction (citons de mémoire les mangas « Samourai Deeper Kyo », « Genzo le marionnettiste » ou encore les deux roman « Blood Ninja » lus il y a quelques années).

La trame est classique mais efficace, et parfaitement maitrisée : un bébé orphelin, dont seul un bijou précieusement gardé pourra un jour révéler l’identité (mais à Edo, Ichirô se garde bien de le clamer sur tous les toits, et même auprès des gens en qui il a confiance), un vieux maître qui tait son passé, mais que le lecteur découvre, en quelques indices, très très fort, et qui a transmis son art secret au jeune héros avant de mourir. Et enfin la confrontation au monde, avec ses bonnes et ses mauvaises surprises, ses temps de misère et de faim, et ses périodes de calme et de bonheur, toutes choses très cycliques, car la roue ne cesse jamais de tourner...

Autant que son jeune et parfois un peu gauche héros, l’autrice fait d’Edo un élément majeur de son histoire, et rend de manière très vivante et visuelle la capitale du shogunat, d’autant qu’elle nous la fait découvrir par les yeux d’un garçon tout à la fois émerveillé par sa grandeur et privé de ses fastes. Au-delà de l’image romantique des samouraïs, la cité industrieuse fait le malheur des plus faibles, soumis à la domination et aux penchants des forts.
Ichirô nous fait en effet découvrir les aspects les plus noirs du Japon médiéval : la rudesse de la vie pour les basses castes, les bandes violentes qui règnent dans les bas quartiers qui s’ajoutent aux milices officielles peu amicales avec les bouches à nourrir... Il échappe à un couple qui, sous des airs sympathiques, projetait de le vendre à une « maison de thé », doux euphémisme pour une maison close où jeunes garçons et filles sont réduits en esclavage et prostitués.
Les jours sont durs, surtout l’hiver, et au gré de quelques péripéties qui le conduisent en cellule, Ichirô se lie avec un poète, Daichi, qui lui trouve un emploi chez un marchand de saké, fervent amateur de théâtre Kabuki, un genre qui émerge depuis peu, en opposition au Nô. Et c’est le théâtre, et son essor, qui va changer, pour le meilleur et le pire, la vie d’Ichirô. Il rencontre Shin, un jeune de son âge passionné par la scène, qui lui ouvrira les portes de sa famille, sortant le jeune homme de son isolement. Au fil des mois, le théâtre acquiert une renommée qui dépasse celle de la beauté des actrices. Contraint de monter sur scène, masqué, dans le rôle d’un général, Ichirô ressent l’appel du sabre résonner de nouveau. Enfin, dans la ville haute, il a rencontré une jeune fille qui vit recluse et masquée en permanence : c’est son secret qui donne son titre au présent volume, et il s’avère très surprenant.

On le voit, donc, une intrigue particulièrement dense, dans laquelle Camille Monceaux dose les éléments historiques, et pour certains quasi-mythiques, incontournables : ainsi de la famille des Sanada ou des sabres de Muramasa, prétendument maudits (là encore, rares sont les mangas de fantasy qui n’y font pas référence, jusqu’à « Bleach »). L’autrice nous les distille au compte-gouttes, nous promettant de belles surprises pour la suite. Ce sont pour l’instant les seules traces de fantastique.

« Le Masque de Nô » est très dense, balayant presque vingt années de la vie d’Ichirô, et malgré les différences de rythmes narratifs, il se suit avec la même passion d’une ligne à l’autre. L’autrice a fait le choix du réalisme de la vie de son héros plutôt que se concentrer sur les éléments marquants de sa quête, et on le voit donc se construire petit à petit, se frotter au monde, en découvrir les mécanismes bien plus subtils, voire tordus, qui régissent les interactions entre les gens, bien loin de son enfance protégée. Il découvre l’amour (c’est compliqué !), la haine, le mépris, la gentillesse... Si on a parfois envie de le pousser pour faire avancer les choses, on apprécie que la vie suive son cours et que les rebondissements soient extérieurs plutôt que de son seul fait.

Terminons par l’excellente qualité matérielle de l’ouvrage, la texture de sa couverture non glacée, l’illustration signée Olivier Balez, et le jaspage floral du plus bel effet.

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Le tome 2, « le sabre des Sanada », vient de paraître.


Titre : Le Masque de Nô
Série : Les Chroniques de l’Érable et du Cerisier, tome 1/4
Autrice : Camille Monceaux
Couverture : Olivier Balez
Éditeur : Gallimard Jeunesse
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 411
Format (en cm) : 22,5 x 15,5 x 3,5
Dépôt légal : avril 2020
ISBN : 9782075126977
Prix : 20,50 €



Nicolas Soffray
28 septembre 2021


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