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Crépuscule de Briareus (Le)
Richard Cowper
Argyll, roman (Grande-Bretagne), science-fiction old school, 270 pages, 2020, 18,86€

Un couple cherche son chemin dans la neige, sur la foi d’une vision de l’homme, reçue des années plus tôt. Bientôt ils arrivent à un domaine, refuge de quelques survivants, dans cette Angleterre victime d’une glaciation qui avance vers le sud. L’homme, Calvin, y rencontre Elizabeth, qui lui avoue être née à cette époque charnière du crépuscule de l’Humanité, entamée par la vue de l’explosion, à 132 années-lumière, de Briareus.
Retour dans le temps, à l’époque où la Terre reçoit l’éclat de cette supernova lointaine. Calvin, professeur d’université, et notre narrateur, est le témoin et rapporteur des échanges scientifiques et populaires autour de cet événement cosmique. Il est lui-même victime d’étranges phénomènes, des visions, des déjà-vu. Puis viennent les cataclysmes naturels qui ravagent la région balnéaire où il vit, et qui s’accompagnent d’étranges pulsions à l’égard d’une de ses étudiantes.
Quelque temps plus tard, il est approché par un savant décrié par la communauté scientifique, qui lui annonce qu’il n’est pas le seul à éprouver ces étranges visions, et qu’elles sont liées à Briareus : les gens de là-bas auraient colonisé les Humains, tant pour se réincarner que nous éviter le même avenir...



Grand nom (ou pseudonyme) de la SF des années 70-80, Richard Cowper signait en 1974 ce « Crépuscule de Briareus », aujourd’hui reconnu comme roman majeur, et qu’Argyll réédite avec un solide dossier documentaire, une biographie de l’auteur et un long article signé Christopher Priest, qui a été comme on le découvre l’un des premiers à croire en la SF de Cowper.
Presque un demi-siècle plus tard, mon enthousiasme initial est un peu plus modéré. Et au sortir d’une pandémie mondiale, il est toujours compliqué de défendre des personnages comme le professeur McHarty, seul détenteur d’une vérité aussi incroyable qu’improuvable. Mais n’anticipons pas.

Il y a quelque chose de résolument moderne dans l’entame, cette avancée à l’aveuglette avec quelques indices énigmatiques saupoudrés de-ci de-là, avant un bond en arrière, au temps où les choses étaient encore normales.
La grande force de l’essentiel du roman est de nous placer dans la peau d’un sceptique, qui ne comprend pas ce qui se passe, et y cherche une solution rationnelle. Mais également de nous placer dans une temporalité très longue, et d’émailler cette recherche de réponses d’autres faits, plus communs mais importants pour Calvin, qui jalonnent ces années : l’évolution de son couple, de sa carrière... On s’inscrit dans un récit enchâssé, puisque Calvin conte a posteriori, depuis le domaine et « journal » en main, coupures de presse à l’appui, les changements des vingt dernières années, mais pour des raisons de tension narrative, le narrateur raconte les faits tel qu’il les a vécus avant de parfois les expliquer, pour peu qu’il en soit capable.
Et donc, il est un jour contacté par le professeur McHarty, qui lui explique en gros que les habitants de Briareus se sont transportés sur Terre avec la supernova et ont colonisé certains humains « compatibles », que lui serait une sorte d’élu (le terme sera « diplo-mutant ») avec la faculté d’entrer en résonance avec les femelles pareillement atteintes, et que tous atteindront un niveau de conscience supérieure qui guidera l’Humanité.
Accessoirement, le reste de la population terrestre est devenue stérile. D’où les problèmes de couple de Calvin, et les efforts des chercheurs du monde entier sur un problème plus concret que la possession extra-terrestre.
Avec l’implication du gouvernement, d’entreprises privées un peu louches sur la fertilité, et les tentatives pour faire taire McHarty, on admet qu’à défaut de lui donner raison, les pouvoirs publics ne négligent aucune piste. Mais du point de vue de Calvin, on oscille entre du thriller avec des men in black et des heures sombres où on expérimente sur l’Homme, et plus précisément les jeunes filles fertiles, qui n’étaient qu’embryons lors de Briareus, sans forcément leur demander leur consentement, et ce loin des caméras. Ce qui fait écho au passage où Calvin et sont étudiante copulent, sous emprise, un acte qui minera le narrateur durant de nombreuses années.
L’annonce de l’extinction de l’humanité est additionnée de beaucoup de psychologie, pour nous amener à la fin à des principes d’acception et de sacrifice, du don de soi au profit de la communauté, de manière un rien complexe ou parfois des allures post-68. Le monde et les personnages évoluent tant qu’à lire des passages au hasard, on aurait peine à croire qu’il s’agit d’une même histoire, tant on passe du pragmatisme initial à une acceptation de pouvoirs psy et de destinée dans la dernière partie.

Il n’y a plus beaucoup d’auteurs qui écrivent comme cela aujourd’hui, et en cela « Le Crépuscule de Briareus » est difficile à aborder, à suivre et sans doute plus encore à terminer de lire. Et moi-même, en écrivant ces lignes, je ne sais toujours pas sur quel pied danser. Il y a énormément de bonnes choses sur le fond comme la forme, un bouleversement sociétal profond lié à la stérilité mondiale comme au dérèglement climatique, la crise d’un homme humble confronté à des choses qu’il ne comprend pas et une responsabilité dont il ne voulait pas, une nécessité de croire à une hypothèse en totale opposition avec ses convictions et son éducation... tout cela raconté sur un temps long, propice à entrecroiser les événements, à laisser maturer des choix, à voir le monde changer de visage ou d’avis.
C’est dense, complet, et pourtant, sans doute par trop habitué ces dernières années à une littérature plus contemporaine, j’ai eu du mal. J’ai fermé ma liseuse sur un « tout ça pour ça » et il aura fallu quelques semaines pour laisser mûrir le sentiment qu’aussi peu enthousiasmante m’ait paru cette lecture, j’avais lu un très bon bouquin. Et qu’il faut que je retrouve mes cartons de vieux Présence du Futur pour lire davantage Cowper.


Titre : Le Crépuscule de Briareus (The Twilight of Briareus, 1974)
Auteur : Richard Cowper (John Middleton Murry Jr.)
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Claude Saunier, révisée par Pierre-Paul Durastanti
Couverture : Xavier Collette
Éditeur : Argyll (édition originale : Denoel, Présence du Futur,)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 270
Format (en cm) : 21 x 15 x 3
Dépôt légal : 2020
ISBN : 9782492403057
Prix : 18,86 €



Nicolas Soffray
3 novembre 2021


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