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Extraordinaires & Fantastiques enquêtes de Sylvo Sylvain, détective privé (Les), tome 4 : De Bois et de Ruines
Raphael Albert
Mnémos, roman (France), fantasy, 375 pages, septembre 2017, 21€

Arraché par Pixel et Le Bras de ses rêveries sous lotus, Sylvo se lance dans une course contre la montre, dans un Panam bouleversé par le Déluge, où il espère trouver une forme de rédemption, même si sa route sera pavée de mauvaises actions.



« De Bois et de Ruines » clôt les aventures de Sylvo Sylvain et cette œuvre époustouflante que nous avait offert Raphaël Albert. Après deux polars fantasy-urban-steampunk et une préquelle désenchantée, c’est le moment d’en finir. Et quel feu d’artifice !
Je ne reviens qu’en quelques mots sur la maîtrise de la langue de l’auteur, ainsi que le foisonnement de son univers. Son Paris alternatif dépasse largement celui du Paris des Merveilles de Pierre Pevel, et son souci du détail nous avait déjà ravis dès Rue Farfadet.

On sait désormais ce qui ronge Sylvo, ce qui l’a amené se perdre à Panam, loin des siens. Et ce passé lui revient en pleine face : son peuple se meurt, privé de sa Médiane par sa faute. Et la nouvelle elfe qui pourrait tenir ce rôle a été enlevée, par son ennemi de toujours, Chien Fusil. Et cette elfe, c’est sa fille, la preuve de sa faute, et la preuve de son pardon à la fois.
Soutenu par ses amis fidèles, encore malade du lotus trop longtemps fumé, Sylvo pousse son corps trop faible à lui obéir, à brûler ce qui lui reste d’énergie pour gagner sa rédemption. Et tant pis pour ceux qui se mettent sur son chemin, il ne fera pas dans le détail. Disparu le détective fin et habile, il n’y a plus qu’un père en colère, un déchu qui entrevoit la lumière.
Raphaël Albert change encore une fois de trame : De Bois et de Ruines n’est qu’une course, à l’échalote, pour le groupe formé autour de son elfe. On explore une piste, on court après un renseignement, un indicateur fiable… tout cela dans un Panam ravagé par le Déluge. En effet, le pacte est rompu, les créatures magiques et les mages se font guerre ouverte. Panam prend des allures de post-apo, la Veine déborde, noyant les berges et les premiers étages des immeubles, les élémentaires d’eau et les sirènes faisant des ravages dans la population cosmopolite, sans distinction. Catastrophe naturelle autant que magique avec laquelle nos héros doivent composer ; éléments déchaînés prompts à leur enlever l’un des leurs d’une simple vague… Chaque trajet est une crainte, qu’il se fasse par les toits, les égouts, sur une barque ou dans les airs, tant le monde n’est plus sous contrôle. L’auteur nous décrit cela de main de maître, c’est visuellement parfait, on s’y croirait, on tremble pour les personnages.
On avait déjà eu quelques immersions dans les bas-fonds, cette fois encore la corruption et les trafics nous sautent aux yeux. De tripots en bordels, Sylvo cherche sa fille. Flingues en main, il va chercher une réponse. On se croirait dans un film de Michael Mann, ou dans les plus contemporains des westerns : il y a la juste dose de fantastique, de surnaturel et d’inattendu pour nous garder sur le fil de l’action, dans des fusillades assourdissantes comme des infiltrations où l’enfer n’attend que le craquement du parquet pour se déchaîner. Une fois encore, l’esthétique steampunk mêlée au post-apo est prégnante, parachevant un tableau où la forme n’a rien à envier au fond.
Si, on l’a dit plus haut, pour Sylvo c’est un voyage qu’il imagine sans retour, une rédemption par laquelle il est prêt à donner sa vie ou, au moins, tirer un trait sur tout avenir, ses amis ne sont pas en reste. Pixel, en apparence bien plus solide, le dessille peu à peu : lui aussi a souffert, mais il n’a pas baissé les bras. Pendant que Sylvo fuyait dans la fumée de lotus, lui n’est pas resté inactif. Il est resté fidèle à sa parole donnée de prendre soin de son partenaire, quoi qu’il lui en coûte. Le Bras et le Géomètre, solides alliés, montreront certaines limites, également, cicatrices du passé qu’il leur faudra affronter, et cette croisade sans retour semble finalement adaptée. Mary et Philomène sauront aussi soutenir notre piètre héros, et quelques instants, tout en regrettant de les mener tous dans ce combat qui n’est pas le leur, il s’imagine, peut-être, pouvoir recommencer à vivre au côté de son amie détective…

Tandis que Sylvo traverse Panam ravagé, à la recherche d’informations, il tombe sur un truc sombre, reflet de sa propre noirceur ou Némésis qui aura sa peau, il hésite longtemps. Jusqu’à l’apprivoiser, comme son chagrin. Tandis que l’intrigue avance, nous enfonçant toujours plus profondément dans la noirceur panamienne, Sylvo dompte sa peine, surmonte sa dépression, en sort, par la force, la colère, la vengeance, mais aussi l’espoir. Le monde était en miettes, c’est le moment d’en croiser les conséquences les plus ubuesques, comme une bulle sans gravité, tandis que le héros a fait son travail de résilience, avant d’affronter un grand finale où là encore, une certaine forme d’humour noir et désabusé le dispute à une tension dramatique palpable.

Comme si nous avions nous aussi subi les trombes de la Veine, on sort rincé de ce roman, l’épilogue nous laissant juste le temps de reprendre notre souffle et calmer nos frissons, pour nous permettre de verser une dernière larme.

Encore une fois, on pourrait résumer la trame de « De Bois et de Ruines » à une simple course contre la montre dans des décors dantesques. Raphaël Albert, dans sa narration à la première personne, y grave tout le mal-être de son personnage, et même lorsque l’action semble omniprésente, sa tristesse est toujours prégnante. Sous l’abord d’un roman d’action-catastrophe, c’est un ultime baroud cathartique, un refus de fuir une fois de plus. Une vraie thérapie, dont Sylvo, malgré tout le mal qu’il fait, sort grandi, car il refuse enfin les esquives, les demi-mesures, les faux-semblants, guidé en cela par le soutien indéfectible de ses proches.

A l’image d’un autre héros paru chez Mnémos, le « Djeeb » de Laurent Gidon, Sylvo est imparfait, et terriblement humain dans chacune de ses faiblesses. Raphaël Albert aura su nous le montrer plus bas que terre, fuyant, sombrant dans la facilité, et se relever malgré tout, poussé par un idéal pour fort que lui. Chaque tome nous aura surpris, et ces quatre volumes auront révélé un auteur à l’immense talent.


Titre : De Bois et de Ruines
Série : Les extraordinaires & fantastiques enquêtes de Sylvo Sylvain, détective privé, tome 4/4
Auteur : Raphaël Albert
Couverture : Émile Denis
Éditeur : Mnémos
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 375
Format (en cm) : 21 x 14 x 3,5
Dépôt légal : septembre 2017
ISBN : 9782354085872
Prix : 21 €


Les extraordinaires & fantastiques enquêtes de Sylvo Sylvain, détective privé :
1 - Rue Farfadet
2 - Avant le Déluge
3 - Confessions d’une elfe fumeur de lotus
4 - De Bois et de Ruines


Nicolas Soffray
7 octobre 2021


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