Nous avons pu assister, lors de la 33e convention de science-fiction à la vente aux enchères du droit de faire le trou. L’enthousiasme des participants, la tension presque mystique qui accompagnait la cérémonie a titillé notre curiosité, nous poussant à interroger des spécialistes de la légende.
- Gestation du trou
- © Odile Songy
K. S : De quand date cette tradition ?
Alain le Bussy : La vente aux enchères est une très vieille tradition. Le trou, lui, ne date que de la convention de Lodève en 1999.
Claude Ecken : En tant qu’organisateur de la convention de Lodève, je devrais dire que je sais, en fait, je n’ai rien vu : j’étais en train de raccompagner l’adjoint à la culture de Lodève et de lui dire « vous avez vu, comme ils sont bien les gens de la SF ? » Ils sont pas si terribles que ça (parce qu’on s’imagine des choses quand on vous dit qu’une horde d’illuminés de Star Wars qui croient aux petits hommes verts et adorent Jimmy Guieu vont débarquer dans votre bled). À ce moment éclate un rire d’une centaine de personnes : le trou venait de naître.
- Objets destinés aux enchères
- ©P. Halvick
Alain le Bussy : Lors de cette vente, Georges Pierru avait un assistant, peut-être Guillaume Thiberge (?) qui, par excès d’enthousiasme, a utilisé le marteau de commissaire priseur avec « un peu » trop d’énergie. Ceux qui ont été témoins des efforts désespérés de Didier Cottier à Bellaing comprendront les guillemets ! La tradition était née.
Claude Ecken : Comme je n’ai rien vu, tout le monde m’a raconté, ce qui fait que je peux témoigner en connaissance de cause vu la multiplicité des témoignages croisés...
Donc, il s’agit bien de Guillaume Thiberge.
Guillaume Thiberge : Je suis l’auteur du trou. Je suis aussi l’auteur du marteau du commissaire priseur, d’ailleurs.
Claude Ecken : Nous voulions mettre aux enchères une K7 (une interview démente de Guillaume et moi réalisée par un animateur déjanté complètement à côté de la masse).
Guillaume Thiberge :L’objet à vendre était important : l’interview sur Skyrock-Beziers de Claude Ecken et moi-même pour vendre nos bouquins, réalisée 6 mois ou un an plus tôt, je crois. Le Patron de Skyrock (la radio qui est au rock ce que le skaï est au cuir) était un con fini, et l’interview un monument de connerie... (« Alors y a des martiens, et puis y a Chirac, etc. »)
- Guillaume Thiberge, l’auteur du 1er trou
- © Christine Poutout, Lodève 1999
Claude Ecken : ... et, pour faire monter les enchères, [nous voulions] faire entendre des extraits. La technologie ne le permettra pas, pour des raisons qu’on ne va pas détailler ici et Guillaume rumine dans sa barbe. Ce qui donne à quelqu’un l’idée de mettre sa barbe aux enchères. Là, les prix se sont mis à grimper très vite !
Guillaume Thiberge : je ne me souviens pas du tout de la mise aux enchères de ma barbe ! Mais cela n’a rien d’impossible, les gens sont cruels.
Bref, désireux de faire l’article, j’ai empoigné l’outil et j’ai tapé sur la table histoire de réclamer le calme. Ça n’a pas été très réussi, d’ailleurs. La salle était bien chaude (J.-C. Dunyach avait fait son célèbre strip-tease...) et nous sommes repartis en fou-rire. C’était fabuleux, mais gênant !
Claude Ecken : Thiberge a cherché à reprendre le contrôle de la situation en frappant avec son marteau. C’est donc parce qu’on avait mis sa barbe en vente aux enchères qu’il a fait un trou dans la table.
- La table
- © K.Steward
K. S. : Cette table était la propriété des organisateurs...
Claude Ecken : Pour la petite histoire, nous avons discrètement remplacé une table de la salle des fêtes par une table de la bibliothèque municipales afin de cacher ce dégât qui n’a jamais été porté à la connaissance de la municipalité si accueillante.
Alain le Bussy : Depuis lors, la table, que j’ai baptisée l’Autel sacré du Fandom a voyagé de Lodève à l’Isle-sur-la-Sorgue, puis à Saint-Denis, de là à Esneux, d’Esneux à Flémalle, de là aux Valayans, puis retour à Esneux et enfin jusqu’à Bellaing, cette fois sur le toit de ma voiture, pour se voir chaque fois martyrisée d’un nouveau trou.
- Les trous
- © K. Steward
K. S : Les trous, comme on peut s’en apercevoir sur les photos, sont ensuite décorés par des artistes.
- Charline décorant un trou
- © P. Halvick
K. S : Le perçage du trou de cette année a donc été remporté, pour la somme de 32 euros, par un collectif désirant l’offrir à Didier Cottier.
Vidéo de la naissance du dernier trou
©B. Relat
La légende du trou, outre ses historiens, a créé la troulologie. Les troulologues commentent, comparent et mesurent les trous.
- Troulologues en plein travail
- ©P. Halvick
Alain le Bussy : Pour la taille, ça varie. L’actuel maillet de commissaire priseur doit faire un diamètre de +- 6-7 cm, mais Didier, dans l’euphorie d’avoir enfin réussi à percer (!) en a fait un double. Et une fois, je ne sais plus où, on s’est servi d’un marteau de géologue...
K.S. : L’éloignement du lieu de la prochaine convention (Montréal avril 2007) a, on le comprend, suscité une vive émotion chez les inconditionnels du trou (à peu près tous les conventistes). La table est encombrante et la transporter semble difficile. Mais qu’on se rassure, l’importance de la tradition a bien été perçue par l’organisateur canadien de la manifestation.
Jean-louis Trudel : Je n’empêche personne de l’emporter dans ses bagages. Et si le nombre d’inscriptions à la Convention dépasse la vingtaine, on examinera les cas de figure pour l’expédition.
Mais si Margaret Atwood peut signer des livres par téléprésence, il tombe sous le sens qu’on peut faire un trou dans la table de la même façon...
K.S. : La pérennité de la tradition du trou semble donc assurée... tant qu’il restera de la matière à cette table !
Sur le site de Quarante-deux : la création du trou originel
Le dossier de la Yozone sur la 33ème convention de SF.