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Maledetta (La)
Rachel Corenblit
Nathan, Thriller, roman (France), thriller, avril 2021, 235 pages, 14,95€

Pour Eva, les vacances pourraient être une occasion de décompresser, loin du collège. d’oublier les regard sur son léger surpoids. D’oublier ce baiser avec sa meilleure amie, qui a brisé leur amitié. Peut-être avec Samy, le pote de son frère Anthony, même si leurs deux garçons, musiciens, la regardent comme une gamine...
Pour sa mère, c’est le temps d’un break, loin, comme tous les ans, de son jazzman de mari, en tournée. une situation qu’elle supporte de plus en plus mal. Un retour à ses racines, dans cette maison isolée, en pleine montagne, héritée sans prévenir d’une grand-tante qui y a été retrouvée pendue... Une atmosphère un peu effrayante, balayée par le beau Fabien, l’épicier charmant et charmeur du village, qui lui remet les clés.
Et les voisins ne sont pas mal non plus : une vieille qui ne leur parle pas, un garçon,Léandre, qui semble bien mature, et son frère Camille, un géant au cerveau d’enfant...
Ajoutons à cela une vieille histoire de fantômes, de petites filles dénoncés aux SS pendant la guerre... Eva, à fleur de peau, commence à avoir des visions : les plafonds peints couleur de sang, le chat qui parle, et un mystérieux trou dans le sol du cellier...



Je ne suis pas très thriller, et pourtant, je dois saluer bien bas le travail de Rachel Corenblit : sa « Maledetta » est un bijou du genre.
Par une narration en courts chapitres et une temporalité un peu déconstruite, le temps de la route jusqu’à ce petit village isolé en montagne, et puis la maison, on a saisi tous les noeuds de cette famille, tous les soucis qu’ils apportent avec eux. Pour la mère, c’est admettre que son mariage bat de l’aile, et que l’infidélité de son mari est plus qu’un soupçon. Elle va tenter de l’oublier dans l’alcool, malgré le regard et les reproches de sa fille, ou en se retrouvant belle et désirable dans le regard du beau Fabien.
Pour Eva, narratrice de cette histoire, voir sa mère osciller entre colère, regrets et tentatives minables de se venger, d’oublier, de se retrouver, c’est du carburant supplémentaire à ses propres colères d’ado. Et ses « crises » n’arrangent rien.

Car en plus d’être une ado parfaitement représentative, mal dans son corps, dans le regard des autres, Eva fat parfois des crises façon épilepsie, des cauchemars... L’ambiance et l’histoire récente de la maison n’aident pas à nous permettre de discerner, dans son récit, ce qui relève de la réalité ou du fantasme.
Une autre source de râlerie est l’immaturité de son frère aîné et de son pote Samy, eux aussi très bien brossés par l’autrice : deux jeunes mâles sachant tout sur tout, passant leur temps à comparer tel ou tel chose d’un domaine dont ils se révèlent soudain experts, prompts à s’emballer pour une belle voiture ou une sono bien puissante. Mais ce qui agace le plus Eva, c’est la filouterie de son frère, toujours à esquiver les responsabilités et pourtant à s’attribuer le mérite des résultats. Et puis Samy, presque un membre de la famille, qui parfois l’horripile, et parfois lui plairait bien comme petit ami...

Vous le voyez, Rachel Corenblit ne se contente pas d’une intrigue glauque, elle y plante des personnages avec une bonne part de noirceur, à la psychologie réaliste, aptes à réagir avec l’ambiance qu’elle va tisser.

Les ingrédients du thriller, avec une pointe ésotérique, sont tous là : un village isolé, une communauté assez fermée, avec ses secret honteux et tus, une mort suspecte, un contact local trop charmeur pour être honnête, un voisin en marge de tout cela, et un doux géant dont le retard mental dissimule sans doute une aptitude à entendre d’autres voix que celles des vivants. Les ingrédients classiques, certes (et c’est en cela que je n’aime pas trop le thriller), mais préparés avec soin et près à réagir les uns avec les autres..
Tout cela aurait pu mijoter tranquillement sans l’arrivée d’Eva, et son envies de comprendre, de chasser ses visions qui la terrifie.

Entre les émois d’Eva pour Samy, les regards de Léandre, son expérience malheureuse avec son amie, la crise de la quarantaine de sa mère et certaines de ses visions, une torpeur sensuelle imprègne également cette histoire, qui parlera aux ados pareillement soumis à ce bouillonnement hormonal très désorientant.

L’autrice instaure un climat oppressant, en faisant douter son héroïne, et ses lecteurs, de ses propres perceptions, lâchant la bride à son imagination. De petits incidents tournent au cauchemar : elle voit les serpents tatoués de Fabien bouger, elle se perd en rentrant de nuit et des monstres émergent de la brume... Eva est perpétuellement sous tension, jusqu’au dénouement qui mêlera société secrète sataniste, magouilles contemporaines et course-poursuite à haut risque sous la pluie et dans les rochers.

Je ne vous dirai pas que tout finit bien, car ce n’est pas le cas, mais Eva, gamine rondelette en colère et un peu perdue, sort transcendée de cette histoire, passée avec succès par l’épreuve du feu, prête à devenir une adulte, peut-être pas parfaite, mais capable de recul sur elle-même et les autres.

On sort rincé de ce roman, l’orage final lavant dans l’adrénaline le stress sourd et rampant qui s’étend au fil des chapitres.
Une pépite du genre, mais à ne pas mettre entre de trop jeunes mains, parce que ça fait bien flipper.


Titre : La Maledetta
Autrice : Rachel Corenblit
Couverture : Victoria Hunter / Arcangel
Éditeur : Nathan
Collection : Thriller
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 235
Format (en cm) : 21 x 14 x 2
Dépôt légal : avril 2021
ISBN : 9782092491706
Prix : 14,95 €



Nicolas Soffray
10 août 2021


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