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Hellraiser
Clive Barker
Bragelonne, L’ombre, novella traduite de l’anglais (GB), horreur, 190 pages, 2016, 16,90€

Frank, « aventurier » à la recherche de plaisirs sans fin, a mis la main sur une Boîte de Lemarchand, un artefact ésotérique censé appelé les Cénobites, des êtres supérieurs aptes à exaucer son souhait. Mais une fois l’énigme résolue, la récompense n’est pas exactement celle qu’attendait Frank, qui est aspiré dans leur dimension pour y subir une éternité de... sensations.
Un an plus tard, Rory, son frère, s’installe avec sa femme dans la maison, vide, où à eu lieu l’invocation. Lassé de la mollesse de son époux, se souvenant d’une brève mais sauvage étreinte avec Frank, Julia va « sentir » sa présence et, après quelques frayeurs, s’atteler à le faire revenir dans notre dimension, au prix de beaucoup de sang.
A coté de cela, la pataude Kirsty, en admiration devant Rory, et jalouse de Julia, sent bien que quelque chose cloche. Et à espionner sa rivale, elle va mettre tout le bras dans un engrenage qui pourrait lui coûter plus que la vie...



Publiée en 1986 et surtout adapté par l’auteur en film l’année suivante, « Hellraiser » consacre Clive Barker comme la nouvelle star de l’horreur, instaurant un nouveau monstre au panthéon du cauchemar : les Cénobites, humains maudits, aux chairs lacérées, torturées. Dans sa novella, l’auteur les décrit sans les nommer, puisqu’il nous les fait découvrir du point de vue de ses personnages, avec toute la terreur et la répulsion qu’ils peuvent provoquer. C’est le passage à l’écran qui consacrera, entre autres Pinhead et son visage percé de clous, comme on le voit en couverture de la précédente édition.
Mais à l’époque, ce sont surtout les nouvelles de ses « Livres de Sang » et ses romans « Le Royaume des Devins » et « Imajica » qui asseyent son talent. Cette novella, satellite, initialement destinée au théâtre, doit son succès aux films qui en ont découlé.
Trente-cinq ans plus tard, qu’en reste-t-il, pour que Bragelonne lui consacre une si belle édition ?
Eh bien justement. Dépouillée de son imagerie de cinéma horrifique, on découvre là un texte toujours très puissant, porté par des personnages très humains, tiraillés par leur(s) désir(s), au point d’aller très loin... Frank, qu’on découvre affairé avec la boîte de Lemarchand, pas même décrit, s’avère rapidement un sale type, et s’envole le peu de compassion qu’on avait pu éprouver à le voir avalé par la dimension des Cénobites (l’auteur ne parle jamais d’Hellraiser, cela viendra à l’écran) : au contraire, c’est le type même à user et abuser du moindre pouvoir qu’il a sur les autres, de son charme un peu surjoué sur les femmes (dont Julia, juste avant son mariage), un gars qui brûle la chandelle par les deux bouts en se moquant des conventions sociales ou de la morale, un post-ado frustré qui tente de rattraper le temps perdu à chaque occasion qu’il a de s’emparer d’une femme.
Face à lui, son petit frère, Rory, le gars gentil, trop peut-être, aux yeux de Julia, qui a perdu ses illusions, qui réalise avec les années qu’elle rêve de mieux que d’une vie tranquille et rangée. Dès les premières lignes, lors de leur emménagement, l’auteur nous fait partager cette lassitude maritale, ce mépris installé pour son époux, ses amis, surtout la mollasse Kirsty.
« Hellraiser », c’est presque surtout l’histoire de Julia, une femme déçue, fatiguée, qui découvre qu’elle peut faire revenir son amant, qu’elle peut rallumer cette étincelle de folie dans sa vie.
Eh ben, pas qu’un peu.
On le lit, car elle doute elle aussi : ramener Frank ne sera qu’un pis-aller, cela ne brisera pas cette monotonie qu’elle ne supporte plus. Mais le pouvoir de son amant est puissant, et pour lui elle va attirer dans la maison hantée deux victimes draguées dans des bars, dont Frank va se nourrir pour reprendre consistance... une reconstruction peu ragoutante, mais Julia a déjà dépassé ce stade, et elle est prête à aller jusqu’au bout.
C’est dans ces manigances que Kirsty met les pieds, croyant juste prouver l’infidélité de Julia et mettre la main sur Rory. Les choses vont... bien déraper, et elle va se retrouver à nouer elle aussi un pacte avec les Cénobites, qui risque de lui exploser à la figure. Contre toute attente, porté par son amour pour Rory, elle retourne affronter les amants assassins. Elle n’est pas dupe du dernier subterfuge, lui non plus pas très ragoutant, et après une bagarre sanglante et parfaitement décrite, les choses finissent le moins mal possible pour la morale. On pourra en être déçu, mais cela obéit à un schéma classique : les méchants sont punis, les naïfs et les innocents s’en tirent (mais passeront leur vie sur le fil de la folie).

On ressent bien les origines théâtrales du texte : à quelques exceptions, c’est un huis-clos, un jeu entre les pièces de vie du rez-de-chaussée et la chambre maudite à l’étage.
Barker fait montre de son talent déjà affirmé pour montrer l’horreur, avec ses écorchés, son Frank qui se recrée un corps, mais c’est sa description de la psychologie de chacun qui convainc : dans les souvenirs, les sensations, les gestes, les appréciations des autres. On peine à en vouloir à Julia, tant il nous la rend proche, même dans ses pires décisions. Comme Frank, elle fait le choix de lâcher la bride à ses désirs, de ne plus se contenter du vernis imposé par la société. Et elle ne peut plus reculer une fois cette machine lancée.
« Hellraiser », c’est finalement cette craquelure du modèle sociétal occidental chrétien. Et les monstres créés par Barker un rappel de l’utilité de ces garde-fous sociaux : l’Homme n’est pas assez fort pour supporter ces sensations extrêmes auxquelles il aspire.
Toujours glaçant.
Le titre original, the Hellbound Heart, fait d’ailleurs plus sens.

Revenons sur cette édition collector, plus guère aisée à trouver en librairie (fouillez les bibliothèques !). La couverture rigide, imitation cuir, la sobriété de l’illustration avec simplement la boite et le lettrage façon fer à dorer, la rendent aussi attractive qu’un exemplaire du « Necronomicon ».
A défaut d’un aussi prestigieux emballage, on appréciera le contenu dans la réédition en poche de 2021.

Car elle vaut surtout pour la préface érudite de Benoît Domis, qui nous retrace la carrière chaotique de Barker, à qui Hollywood a brûlé les ailes, et l’entretien final entre l’auteur et deux de ses compères, Peter Aktins (qui co-scénarisera des films Hellraiser) et Dennis Etchinson, long de quarante pages.
Deux ajouts qui éclairent très largement l’œuvre de Barker, et nous invitent à replonger dans ses romans plutôt que dans le pâle ersatz que sont ses films, dénaturés par le studios de production. J’ai un très bon souvenir (enfin, façon de parler) des « Livres de Sang », et une tendresse pour son diptyque jeunesse « Abarat », qu’il avait illustré de nombreuses toiles en couleur et qu’Albin Michel avait somptueusement édité à l’époque.
Ces deux éléments nous dépeignent un Barker créateur aussi touche-à-tout qu’humble face à son exercice de l’art, et au-delà de son rapport impossible à Hollywood, c’est à mon sens ce qu’il faut retenir du personnage pour mieux redécouvrir le reste de son œuvre, et ne pas la cantonner à des films devenus certes cultes mais bien imparfaits, et ô combien éloignés de la capacité d’évocation littéraire.

Une (mal)saine lecture pour qui apprécie l’horreur, et une porte d’entrée pour découvrir un auteur incontournable, traduit ici par la non moins fantastique Mélanie Fazi (lisez-la aussi).


Titre : Hellraiser (the Hellbound Heart, 1986)
Auteur : Clive Barker
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Mélanie Fazi
Préface : Benoit Domis
- Édition collector
Couverture : David Oghia
Éditeur : Bragelonne
Collection : L’Ombre
Pages : 190
Format (en cm) : 21 x 14 x 2
Dépôt légal : 2016
ISBN : 9791028106041
Prix : 16,90 €
- Poche :
Couverture : Didier Graffet
Collection : Terreur
Site Internet : page auteur (site éditeur)
Pages : 190
Format (en cm) : 18 x 11 x 2
Dépôt légal : février 2021
ISBN : 9791028116217
Prix : 6,90 €



Nicolas Soffray
5 octobre 2021


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