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Dans les profondeurs du temps
Adrian Tchaikovsky
Denoël, Lunes d’Encre, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 562 pages, juin 2021, 24€


Le premier tome de cette histoire de futur, « Dans la toile du temps  », décrivait un projet singulier : la pré-colonisation d’une planète étrangère par l’implantation de singes infectés par le nanovirus de Rus-Califi, destiné à les rendre plus intelligents afin qu’ils puissent préparer le terrain pour les humains. Une expédition qui avait échoué pour les singes, mais qui, de manière inattendue, avait permis l’émergence d’une société d’araignées dotées de pensée. Et qui, mille ans plus tard, l’humanité ayant réussi à peu de choses près à s’auto-exterminer, avait été suivie d’une expédition de dernière chance, celle du Gilgamesh, un vaisseau multigénérationnel construit avec les résidus de l’âge d’or spatial.

« Voilà ce qu’ils pensaient trouver : un peu d’écume organique, indifférenciée, accrochée au rivage de ce vaste océan. »

Tout comme « Dans la toile du temps  », « Dans les profondeurs du temps  » fonctionne sur deux trames temporelles distinctes. La trame la plus proche s’inscrit, semble-t-il, parallèlement à la première trame chronologique de « Dans la toile du temps », alors que d’autres expéditions de terraformation avaient été lancées. La seconde trame, elle, vient prendre place dans un futur plus lointain, bien après la fin de « Dans la toile du temps  », alors que l’humanité et les araignées devenues intelligentes explorent conjointement l’espace.

« Dans la toile du temps » décrivait l’expédition d’Avrana Kern aboutissant, par l’usage du virus de Rus Califi, à l’émergence d’une civilisation arachnéenne. Dans ce second volume, l’expédition de Disra Senkovi aboutit, sur un monde essentiellement marin, à l’émergence d’une civilisation de poulpes intelligents. On pourrait donc croire que Tchaikovsky rejoue sa partition sous forme d’une simple variante, une nouvelle déclinaison d’une même thématique. Il n’en est rien.

« Les générations précédentes s’étaient montrées capables d’exécuter mentalement des tâches complexes, mais à mesure que les capacités neurologiques des octopodes étaient influencées par le virus, ils devenaient moins prévisibles, moins compréhensibles. Je pensais que le virus d’élévation avait été conçu pour les rapprocher des humains. »

Il n’en est rien, car ce second volume – dans lequel on retrouve des éléments du premier, comme le personnage d’Avrana Kern, perpétuée sous forme d’avatars informatiques, les Portia, descendantes des arachnoïdes intelligentes de la « Planète de Kern », mais qui malgré tout peut se lire indépendamment – apparaît plus complexe, plus riche et plus cohérent que son prédécesseur. Première trame : l’expédition de Baliel et Senkovi découvre, dans le système Tess 834 H, deux exoplanètes proches l’une de l’autre et théoriquement habitables. Mais la première, à leur grande stupeur, abrite déjà des formes de vie. La coloniser, la terraformer signifie certainement l’extinction de ces espèces. La seconde est essentiellement marine : la coloniser sera difficile. D’où l’idée de Disra Senkovi : y implanter des poulpes à l’intelligence augmentée par le virus de Rus-Califi, qui pourront servir de tête de pont à des colonies humaines. Seconde trame : les humains et les araignées de la planète de Kern, des siècles ou des millénaires plus tard, découvrent les reliques de cette expédition et la civilisation des poulpes, qui, à son tour, commence à essaimer dans l’espace. Les uns et les autres se découvrent, et sont confrontés à une ennemi insaisissable.

« Autrefois, la grande radiosphère de l’humanité bouillonnait constamment. Ce n’était plus qu’une coquille vide qui s’étendait vers les confins de l’univers. »

Lorsque l’équipe de Baliel et Senkovi sort de stase et commence son exploration, les communications avec la Terre sont rompues. Pire encore, la dernière salve d’informations n’est rien d’autre qu’un ultime virus informatique qui met à mal l’ensemble de leurs ressources, et, plus grave encore, les décime. Pourtant, là n’est pas le plus grand danger. Ce n’est que la fin du berceau d’une humanité ironiquement capable d’augmenter l’intelligence d’espèces animales, mais incapable de s’améliorer elle-même, ou simplement de se débarrasser de ses propres travers. Le plus grand danger, c’est une autre forme d’intelligence ayant le pouvoir d’infiltrer les êtres organiques mais aussi les systèmes informatiques, un « autre » insaisissable dans la grande tradition du genre, qui évoque à la fois « Alien  », les entités de « L’Invasion des profanateurs », ou encore les Jartes du roman « Éon  » de Greg Bear. Une entité qui donne à « Dans les profondeurs du temps  » un aspect de thriller terriblement efficace, avec plus d’un moment terrifiant.

Pour autant cet aspect thriller, qui s’étend sur un temps incroyablement long, ne représente qu’une des facettes d’un roman particulièrement riche qui parvient à mêler une multitude de thématiques sans jamais donner l’impression de vouloir en faire trop. Virus informatiques, rencontres de troisième type, ordinateurs à base de colonies de fourmis, tentatives de communications directes entre encéphales humains et arachnéens, découverte de civilisations exotiques, difficultés de compréhension entre espèces, démiurges terraformateurs, combats spatiaux et odyssées stellaires ne constituent que quelques-unes des facettes de ce qui apparaît à la fois comme un planet-opera, un space-opera et une histoire du futur.

« Dans les profondeurs du temps  », qui confronte le lecteur tout autant que ses personnages aux vertiges de l’altérité et de la durée, et qui constitue une perpétuelle interrogation sur la notion fondamentale d’identité (les avatars d’Avrana Kern et ses reconstructions incessantes, les substitutions par d’autres identités, ce qui reste ou ne reste pas d’humains infectés, la plasticité mentale des octopodes ou d’autres espèces), et se termine malgré tout sur une note optimiste et humaniste. Plus riche, plus ambitieux, plus complexe, et plus réussi que « Dans la toile du temps  », « Dans les profondeurs du temps » trouve le juste équilibre entre les rebondissements et les pistes de réflexion propres au genre.

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Titre : Dans les profondeurs du temps (Children of Ruin, 2019)
Auteur : Adrian Tchaikovsky
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Henry-Luc Planchat
Couverture : Studio Denoël
Éditeur : Denoël
Collection : Lunes d’encre
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 562
Format (en cm) : 14 x 20,4
Dépôt légal : juin 2021
ISBN : 9782207159965
Prix : 24€



Adrian Tchaikovsky sur la Yozone :

- « Dans la Toile du Temps »
- « Chiens de guerre »



Hilaire Alrune
15 août 2021


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