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Magiciens (Les)
James E. Gunn
Les Moutons électriques, Hélios, roman (USA), urban fantasy, 220 pages, mai 2016, 7,90€

Casey est un drôle de type, ancien prof devenu détective privé. Pas forcément un gars brillant, mais rusé et tenace. Alors que les affaires battent de l’aile, une vieille dame l’engage pour découvrir l’identité d’un homme qui donne une conférence dans un hôtel. Arrivé sur les lieux, Casey croit à une blague : c’est un congrès de prétendus mages. Et la plupart semblent bien allumés du bocal, dangereusement certains de ce qu’ils professent, à commencer par le prétendu Salomon, la cible de Casey, et Catherine La Voisin, une beauté vénéneuse. Casey trouve refuge dans le giron de la jolie Ariel, jeune et jolie brune et son oncle, Uriel, mathématicien venu mettre bon ordre dans le fatras déblatéré au congrès, hélas seul contre tous. Lorsque Casey apprend que l’ancien maître de l’ordre, Gabriel, a été tué dans des circonstances louches, il ne doute pas que ses deux nouveaux amis et lui-même sont les prochains gêneurs à éliminer...



Publié au début des années 1970, mêlant le polar américain à autre chose – du fantastique –, « Les Magiciens » est désormais considéré comme un des romans fondateurs de l’urban fantasy, un genre qui a beaucoup évolué depuis.

Le style est indéniablement celui des polars de l’époque, avec une narration à la première personne, et un personnage de détective mi-paumé mi-rusé, genre sous-Humphrey Bogart ou Eddie Constantine, qui met les pieds dans un beau guêpier et va d’abord chercher à s’en sortir sans trop de casse, mais malgré tout mener son enquête à bien. Ici Casey est un peu pendu niveau finances, aussi un job facile payé avec 3 zéros, il ne va pas cracher dessus. Mais il réalise vite que l’affaire n’est pas claire, avec un type qui change de nom mais aussi d’apparence, et ce congrès de magie où tous semblent y croire, à s’affubler de pseudos bibliques...

On repère assez vite ses alliés potentiels. Ariel, fille du défunt maître de l’ordre, assez jolie et visiblement fragile, n’est pas potiche ni godiche pour autant, et on verra qu’elle sait cacher son jeu. Elle est proche de l’archétype de la pin-up qui s’ignore. Ou du moins qui ne déchaîne pas ses armes de séduction massive, contrairement à la fatale La Voisin. Les deux personnages féminins se répondent bien. En plaçant Casey dans le rôle du naïf, de l’ignorant, et faisant d’Ariel son initiatrice aux choses de la magie, James E. Gunn renverse le modèle de domination. On appréciera l’histoire d’amour “compliquée” entre Casey et Ariel, l’un comme l’autre peu sûrs d’avoir bien interprété les signaux de l’autre et n’osant faire le premier pas. Leur alliance est cependant inévitable, car c’est leur complémentarité (la débrouillardise du privé et le savoir de la magicienne) qui permettront d’affronter Salomon.
L’oncle Uriel, seul contradicteur des mages, est à l’antithèse physique de Salomon, et on ne parierait pas un kopeck sur lui. C’est bien mal connaître la magie, et Uriel apparaît clairement comme le vieux sage qui va guider ses deux apprentis vers la victoire finale. Il incarne sans subtilité et avec évidence la suprématie de la science sur le dogme, de la connaissance sur la foi, de l’apprentissage sur l’aveuglement. Quand l’ordre s’interroge, sous la houlette de Salomon, sur une possible domination du monde par le petit groupe, lui plaide pour une magie au service de tous, décentralisée, enseignée à la fac. Un écho très net à la politique américaine de l’époque, et qui nous laissera peu surpris lorsque sera révélée l’identité de Salomon.

Dans « Les Magiciens », point de boules de feu ou d’effets pyrotechniques. Au contraire, comme le développe le congrès, tout est affaire d’illusions, d’influence, d’hypnose. Ainsi le premier piège d’où s’échappent Casey et Ariel : un escalier sans fin. On tend aussi une trappe au détective, avec un miroir au sol. A lire le roman 50 ans plus tard, il y a un charme vieillot indéniable, renforcé par le cadre de ce grand hôtel moderne paré de couleurs fifties. Le rythme de l’action, son espace contrôlé, restreint, amène à l’esprit des décors hitchcockiens d’huis-clos et des teintes du Technicolor d’époque. Les “effets” de « Vertigo » collent parfaitement aux embuscades magiques. Cette ambiance vintage n’a pas été sans me rappeler « Sacrées sorcières » de Roald Dahl, et sa première adaptation à l’écran en 1990 avec Angelica Huston, aux effets aujourd’hui dépassés mais encore impressionnants.

En rêve, Casey remonte le temps, jusqu’au Moyen Âge, découvrant les sabbats, et le visage originel de son adversaire. Assez didactiques, ces passages présentent aux lecteurs la magie ancienne, historique, avec sorcières qui volent à l’envers et sabbats orgiaques, sur laquelle s’appuie le monde contemporain. S’ils sont très (trop) informatifs, ils cassent le rythme et la tension qui pèse sur Casey. Le message biblique et métaphysique qui les accompagne aura lui aussi du mal à prendre chez les lecteurs européens et un demi-siècle plus tard.

On n’aborde pas un classique avec le même regard ni les mêmes attentes qu’une nouveauté. Si indéniablement, sur certains domaines, dans la narration de quelques passages, « Les Magiciens » accuse certes son âge, il ravira les amateurs de vieux polars, avec son héros dans le brouillard mais bien décidé à rendre coup pour coup. La magie, entre folklore païen et mathématiques modernes, était bien trouvée mais un poil rébarbative, juste assez fourbe pour l’opposer à la ruse plus franche du privé. Enfin, c’est tout le parallèle avec l’histoire des USA qu’on lit au travers de ce roman qui fait encore sa saveur.

Un classique à redécouvrir, très marqué par son époque mais ravivé par la nouvelle traduction de Julien Bétan.


Titre : Les Magiciens (the magicians, 1976)
Auteur : James E. Gunn
Traduction de l’anglais (USA) : Julien Bétan (nouvelle traduction)
Couverture : Melchior Ascaride
Éditeur : Les Moutons électriques(édition originale : Presses de la renaissance, 1977)
Collection : Hélios
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 54
Pages : 220
Format (en cm) : 18 x 11 x 1
Dépôt légal : mai 2016
ISBN : 9782361832513
Prix : 7,90 €



Nicolas Soffray
23 juin 2021


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