La couverture de Charlie Bowater est attractive, et comme la série de « Shades » de Victoria Schwab, elle emballe à merveille un roman mêlant magie, aventures et passion interdite. Ou du moins, compliquée. L’imaginaire young adult fourmille de romans très stéréotypés de ce type, et si « Sorcery of Thorns » est très classique dans sa construction, il se démarque rapidement par sa narration et la cohérence de son univers. C’est le second roman de Margaret Rogerson, et il fait montre de telles qualités qu’on sera curieux de lire son premier (hélas non traduit).
L’univers de fantasy mêle le dark, avec une entrée en matière évocatrice et une immersion rapide dans cette bibliothèque de livres de sorts vivants exsudant le mal, et le victorien dès notre arrivée à Pont-l’Airain. Un parallèle avec l’évolution de l’héroïne, sortie de son cocon familier, aux limites définies, pour être brutalement jetée dans le monde des adultes et des responsabilités. Privée aussi de sa meilleure amie. Et sous le coup d’une accusation qui peut briser tous ses rêves professionnels. Classique et parfaite métaphore du passage à l’âge adulte.
Le voyage est l’occasion de mieux connaitre son convoyeur, et de commencer à égratigner les enseignements dogmatiques : les magisters ne semblent pas si maléfiques. Nathaniel Thorn, descendant du mage qui a sauvé Austermeer en levant une armée de morts-vivants, est mystérieux mais assez sympathique, même s’il préserve une certaine distance et fait montre d’un sens de la répartie et du second degré qu’Elisabeth la campagnarde ne maîtrise pas. Et son étrange valet, Silas, qu’elle a dû mal à cerner. Et pour cause, c’est son démon familier, lié à lui par un pacte de sang... Sous ses airs de parfait majordome, il n’attend que leur mort.
Ces trois-là font former le trio qui sauvera le monde, une fois qu’ils auront compris qui attaque les Grandes Bibliothèques et surtout pourquoi. Là encore, petite révélation d’une trame classique mais parfaitement maîtrisée : oh, c’est le chancelier de la magie qui est derrière tout cela, car tout cela fait partie d’un plan ourdi depuis très longtemps...
Mais nos héros ne vont pas toujours collaborer, car Nathaniel essaie de garder Elisabeth à l’écart de ses propres démons. L’histoire d’amour se noue tout doucement, sans surprises là encore, avec des passages obligés (il montre ses faiblesses, refuse de l’aider...puis cède). Tout cela avance au pas de l’intrigue, accentuant la complémentarité des deux héros, elle farouche épéiste entrainée, lui mage surpuissant, deux ennemis héréditaires décuplant leurs forces en travaillant ensemble.
Et bien entendu, Elisabeth est particulière, elle a un pouvoir, qui fait capoter les manigances du Méchant Chancelier. Malgré son ignorance du monde, de la magie, elle reste une héroïne forte, qui ne se laisse ni effrayer ni décourager quel que soit le danger. Par contraste, Nathaniel, trop policé, retient ses pouvoirs, jusqu’à ce qu’elle l’ait trop « contaminé » avec son entêtement et sa témérité, trop charmé également, pour qu’il se montre aussi dangereusement imprudent qu’elle.
On appréciera l’univers des bibliothèques magiques, des livres qui prennent en partie vie selon leur contenu, qu’on ne peut ouvrir qu’à certaines conditions (comme le livres des monstres dans Harry Potter, qu’il faut caresser), les magies qu’ils renferment, souvent maléfiques. Plein de métaphores sur les « dangers » de la lecture.
Le trio formé avec Silas est excellent. Encore une fois, la naïveté, l’ignorance initiale d’Elisabeth lui font nouer avec le démon mortellement dangereux un lien très différent de celui de Nathaniel. Elle le considère comme un ami, le mentor du mage et son père de substitution depuis la mort de ce dernier, mais sans connaître son passé ni sa puissance réelle. Au contraire, elle veut lui donner sa chance d’être juger sur ses actes présents, et non sur son passé. Là encore, on devinera très vite le dénouement permis par un rebondissement, qui ne manquera pas d’arriver.
La structure narrative de « Sorcery of Thorns » n’a rien d’originale, et à peu de choses près, on pourrait deviner tous les rebondissements structurels. Mais on est happé par son univers, par la plume fluide de l’autrice, par son sens de la mesure pour nous distiller l’information, le piquant de ses dialogues, bref, « Sorcery of Thorns » a un style et un univers enchanteurs qui le hisse sur les premières marches des romans de fantasy young adult qu’on dévore avec délices, à tout âge. On espère le voir un jour à l’écran, ou au contraire jamais, pour ne pas être déçu par un rendu moins bon que ce que les mots de Margaret Rogerson ont fait naître dans notre imagination.
Si vous avez aimé la trilogie « Lady Helen » d’Alison Goodman, les « Shades of... » de Victoria Schwab déjà cités ou « le Protectorat de l’Ombrelle » de Gail Carriger, « Sorcery of Thorns » vous enchantera à coup sûr.
Et si BigBang envisageait de traduire « An enchantment of ravens » et son tout dernier « Vespertine » prévu pour cet automne, cela fera certainement quelques heureux !
Titre : Sorcery of Thorns (Sorcery of Thorns, 2019)
Autrice : Margaret Rogerson
Traduction de l’anglais (USA) : Vincent Basset
Couverture : Charlie Bowater
Éditeur : Bragelonne
Collection : BigBang
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 570
Format (en cm) : 21,5 x 14 x 4
Dépôt légal : septembre 2020
ISBN : 9782362316593
Prix : 16,90 €