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Terroriste Joyeux (le)
Rui Zink
Agullo, Fiction, roman (Portugal), 111 pages, août 2019, 14,90€

Un terroriste arrêté à sa descente d’avion. Avec une bombe dans ses bagages. Le policier doit le faire parler. Lui faire avouer. Mais le type est loquace et plein de bonne volonté. Trop, même !



Au-delà de la 4e de couverture, rien. Pas de contexte, mais juste l’échange, brut, entre les deux protagonistes. Peu de ponctuation, superflue : le policier parle en gras, poids de l’autorité, du ton grave qu’il emploie et incarne, le terroriste apparaît tout fin, tout léger… une impression vite contrebalancée par son débit. L’agent énonce des faits, brefs, pose des questions, simples, et l’autre répond à côté, laconiquement, agaçant son interlocuteur, jusqu’à créer une faille dans laquelle il renverse le rapport de force et commence à le noyer sous un flot de paroles. Le flic laisse parfois faire, espérant le coincer, mais c’est lui qui se fait prendre à cette rhétorique parfois tordue.

Rui Zink alterne les procédés littéraires et théâtraux, le bref et le long, le ping-pong nerveux et l’anecdote développée. Sans aucune didascalie, à peine quelques points de suspension ou d’exclamation, il nous donne à lire un duel palpitant et la construction d’une relation bancale entre les deux hommes.
D’eux, nous ne savons quasi rien. On devine à quelques références que le terroriste vient d’un pays arabe, et que le flic est occidental, mais c’est tout. Ce qui va se jouer ensuite est simplement entre deux caractères, un basculement non du pouvoir ou de l’autorité, mais de la maîtrise du dialogue.

C’est bien entendu savoureux. Le terroriste plaide d’abord la bonne foi, il n’a pas nié. Il a fait ça pour rendre service. Et il aime ça, rendre service : il suggère l’idée d’un questionnaire à l’embarquement, pour mieux cibler les poseurs de bombes. Il est toujours affable, même quand on le torture, il reconnaît le travail bien fait, le mal qu’on se donne. Tandis que le flic perd régulièrement pied, à vouloir le coincer dans ses digressions, lui semble perpétuellement optimiste, jusqu’à l’ubuesque, toujours enthousiaste, convaincu que la brutalité du monde va être balayée par sa logique personnelle implacable et sans défaut. Il philosophe, psychanalyse, ne se formalise pas des réponses laconiques et butées de son interlocuteur.
Le texte est découpé en 8 scènes, 8 temps qui verront la situation scénique évoluer, avec d’autant plus de surprises pour le lecteur qu’encore une fois nous n’avons aucun élément descriptif à notre disposition. On imagine sans mal une théâtralisation ultra-minimaliste, une table, deux chaises, voire qu’une, puis plus rien. Juste le sol et parfois, de la lumière.
L’exercice de style est remarquable, et la lecture captivante.

Le Virus de l’écriture”, nouvelle datant de 2005, est plus « traditionnelle » dans sa forme, mais non moins surprenante ni moins captivante : un virus se répand, et tout le monde écrit, de la fiction, de l’essai. Jusqu’à en oublier de de vivre - c’est bien là le danger.
Cela commence comme un panorama général de la situation, jusqu’à ce qu’on découvre la voix de l’auteur derrière. L’auteur qui dit, lui, ne plus écrire. Être en quelque sorte immunisé, sans doute à cause de son emploi - relecteur-correcteur. Et ce texte s’avère un message, un appel à d’autres comme lui...
Mais au-delà, c’est une belle déclaration d’amour à l’écriture, à ce métier d’écrivain si mal reconnu, à cette capacité en chacun de nous de mettre en mots, des signes, en dessins, des pans de notre imaginaire pour le partager avec d’autres, et les « contaminer ».
Comme “Le Terroriste joyeux”, c’est un texte qui mériterait la lecture à voix haute, une scène, - le monologue s’y prête parfaitement -, pour lui donner une autre force, plus grande encore.

Agullo regorge de textes forts, et cet opus de Rui Zink ne dépare pas au catalogue. Une très belle découverte, à la fois poétique et acide.


Titre : Le Terroriste joyeux, suivi de Le virus de l’écriture (Osso, 2015, Bicho da escrita, 2005)
Auteur : Rui Barreira Zink
Traduction du portugais (Portugal) : Maïra Muchnik
Couverture : WIPbrands
Éditeur : Agullo
Collection : Fiction
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 111
Format (en cm) :
Dépôt légal : août 2019
ISBN : 9791095718604
Prix : 14,90 €



Nicolas Soffray
29 mai 2021


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