Le premier tome de « Gnomon » montrait l’ampleur de ce vaste livre flirtant avec les mille pages en français. Le projet apparaissait déjà fou avec une débauche d’artifices entraînant le lecteur dans un labyrinthe à la géométrie difficile à appréhender. Cette seconde partie s’avère même plus ardue, plus tortueuse, notamment par ces flashs mémoriels plus courts, plus erratiques, empêchant de s’installer véritablement dans un récit linéaire et non heurté.
Là, il faut avancer à tête reposée, se consacrer entièrement au récit pour bien s’en imprégner et saisir l’histoire qui se déroule en filigrane. Nick Harkaway n’a pas voulu d’un roman simpliste pour montrer les dérives d’un système toujours plus contraignant avec une baisse des libertés individuelles.
Si Mielikki rentre dans un vaste plan, il en est de même du lecteur qui nage parfois aussi en pleine confusion, peinant à recoller les morceaux, revenant à l’occasion en arrière sur des événements auxquels il n’avait pas forcément prêté suffisamment d’importance. Rien n’est anodin, tout est sujet à interprétations.
« Gnomon » demande de l’attention, de l’implication aussi pour maîtriser la bête, si tant est qu’un requin puisse s’apprivoiser. Il faut accepter de se plonger dans l’histoire, jouer à un jeu dont les règles ne se dévoileront que peu à peu, ou du moins se mériteront. « Gnomon » est exigeant, au moins une chose qui est claire ! Il s’agit d’un vaste édifice à la construction fractale, car il semble qu’une autre couche peut toujours s’additionner à l’ensemble, le complexifiant encore davantage. Il est préférable d’avancer à son rythme, c’est-à-dire celui permettant d’absorber les faits. On est loin d’un page-turner, ce qui n’est en rien une critique. La SF est une littérature d’idées ; à travers le prisme du futur, elle interroge sur notre présent. Nick Harkaway a parfaitement intégré ce paramètre, le restituant d’une façon décoiffante. Il flirte avec les limites, n’est jamais loin de perdre les lecteurs, mais sait comment les raccrocher au récit.
Les livres de la sorte ne sont pas légion, il faut d’autant plus les apprécier. On peut parler d’une expérience éprouvante, mais enrichissante, car une fois la dernière ligne lue, le regard sur cet ouvrage change, prenant les couleurs du respect. Il fallait oser, dirais-je. La SF se doit d’être innovante, d’arborer un regard neuf, de secouer un brin ses lecteurs pour ne pas blaser un lectorat féru du genre. La recette Harkaway relève aisément la gageure. Mélangez une dose de folie, une de génie mais aussi de talent, secouez et vous obtenez « Gnomon », un roman tortueux, exigeant mais ô combien représentatif d’une SF ambitieuse et intelligente.
Toutefois, l’avertissement « Toi qui entres ici, abandonne toute espérance » peut s’adresser à ceux qui n’ont pas un minimum de bouteille en SF. En effet, « Gnomon » est clivant et peut vite rebuter. L’incursion en enfer est d’ailleurs offerte dans ce tome 2.
Dans les lectures de chacun, il y a des livres qui marquent, qui restent, et d’autres qui se contentent de passer. Incontestablement, « Gnomon » figure au rang de ceux qui laissent des traces indélébiles dans les mémoires.
Titre : Gnomon, tome 2
Auteur : Nick Harkaway
Illustration de couverture : Aurélien Police
Traduction de l’anglais (Royaume-Uni) : Michelle Charrier
Éditeur : Albin Michel
Collection : Albin Michel Imaginaire
Directeur de collection : Gilles Dumay
Sites Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 478
Format (en cm) : 14,1 x 20,5
Dépôt légal : mars 2021
ISBN : 9782226443663
Prix : 24,90 €
Également sur la Yozone :
« Gnomon, tome 1 »
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