Dans ce polar paru initialement en 1996 au Fleuve Noir, Marcus Malte tissait déjà à merveille une intrigue sombre entremêlant les parcours d’une brochette de personnages amochés par l’existence. Des premiers rôles aux seconds couteaux, tous sont liés, faisant soupirer d’aise le lecteur découvrant les circonvolutions incongrues de certaines connexions.
Dans la droite ligne de la Série Noire, cette histoire s’appuie sur un attentat qui échappe à ses petites mains. Lorsqu’ils découvrent qu’ils ont fait sauter un député qui allait être mis en accusation pour fraudes, José et Miguel paniquent, sentant le coup trop gros pour eux. José, sanguin, accuse Franck, son antithèse - maigre, silencieux, probablement homo -, retourne voir leur commanditaire - grosse erreur - après un dernier bisou à leur mama.
Franck, lui, erre, incapable de rentrer chez lui où l’attend, toujours, une femme : sa mère, qu’il fuit différemment mais tout autant que les 2 sbires la leur. Aveugle, fracassée par la vie et un accident de la route, elle est la motivation de Franck mais aussi le miroir de sa monomanie et de son désir de vengeance. Car il s’agissait bien d’une vengeance...
Mais ce sont nos deux compères, Bob et Mister, qui nous emportent le mieux. Accueillant l’étrange confession comme un appel au secours, les voilà enquêteurs amateurs, duo de choc provoquant le rire comme l’émotion. Une vieille bourgeoise nostalgique des colonies en fera les frais, fil rouge gaguesque hilarant, larguée par un taxi peu intéressé par un pourboire et terrorisée par le grand Black. Ils remontent la piste jusqu’au lieu du drame, et Bob rencontre une charmante miss, fan des reines anglaises du crime, qui aiguillera leurs recherches. Et notre chauffeur de faire jouer son réseau, qui s’avère parfois, par hasards incongrus, proche des loubards. On savourera la scène où l’auteur se délecte lui-même de nous montrer la fourgonnette des deux frères et le taxi de Bob rouler l’un vers l’autre... mais à une rue d’écart. La rencontre ne se fait pas, la suite ne prend pas des allures de film hollywoodien, et même si tout se termine dans d’anciens studios de cinéma, ce sera dans une noirceur à laquelle la fiction n’accorde aucune concession.
Mais au-delà de cette descente aux enfers, vécue pour les uns, observée par d’autres, et des petits malheurs satellites, on est encore une fois emporté par cette capacité de l’auteur à camper des personnages complexes, brisés, qu’il nous dévoile petit à petit, dans une langue maîtrisée, des mots qui roulent en bouche - avec un soupçon, parfois, de verre pilé. On a mal avec les personnages qui souffrent, et on sourit ou on pleure, bouffées de soulagement, à certains petits malheurs du quotidien aux drôles de conséquences. Le dosage est savant. Le résultat fort délectable.
S’il n’est probablement pas l’ouvrage majeur de l’oeuvre de Marcus Malte, « Le Doigt d’Horace » s’avère néanmoins un excellent polar classique, sombre, nerveux, terriblement humain, émaillé de touches de lumière, un roman parfaitement ficelé, implacable, aux réelles qualités littéraires, annonciatrices du très grand auteur qu’il est devenu.
Titre : Le doigt d’Horace
Auteur : Marcus Malte
Couverture : Olivier Culmann / Tendance Floue
Éditeur : Gallimard (édition originale : Fleuve noir, 1996)
Collection : Folio Policier
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 551
Pages : 264
Format (en cm) : 18 x 11 x 1,3
Dépôt légal : mai 2009
ISBN : 9782070348534
Prix : 7,50 €