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Cannisses / Far West
Marcus Malte
Gallimard, Folio, novellas (France), 184 pages, aout 2017, 6,90€

Sa femme vient d’être emportée par le cancer. Il s’occupe comme il peut de ses deux fils en bas âge, tente de ne pas craquer. Et commence à se poser la question, en observant par-dessus les cannisses les voisins et leur petite fille : pourquoi est-ce tombé sur son foyer, et pas le leur ? S’ils avaient choisi la maison d’à côté, en arrivant dans le lotissement ? Et si... Lentement, la spirale s’installe, s’étend...

On a prévenu le shériff qu’un type se baladait avec un énorme lézard dans la rue. La bête enfle d’un appel à l’autre, il va donc falloir aller voir...

Damien, José et Lila descendent dans le Sud. Les deux premiers se sont connus en prison, la troisième est militante écolo. Tous écartés du monde. Et à jouer les Robin des bois pour sauver les Indiens d’Amazonie, ça va mal finir.



Marcus Malte, de nombreuses fois récompensé, jusqu’au Femina en 2016 pour « Le Garçon », signe ici trois novellas, idéales pour découvrir son style.

« Cannisses » est captivante, monologue à la fois poignant et terrifiant. Oui, ce père de famille, dévasté par le chagrin, qui essaie de maintenir une vie correcte pour ses deux fils, est poignant même s’il est souvent dépassé (comme en cuisine, puisque leur régime est désormais à base de gaufres) et qu’il établit des règles davantage pour lui que pour ses enfants. Pour ne pas sombrer. Ne pas oublier la disparue.
Et terrifiant, tandis qu’on le voit, peu à peu, rejeter la « faute » sur ces voisins qu’il ne connait quasi pas. Qu’il envie, parce que le malheur ne les a pas frappés. Qu’il jalouse alors, cherchant une explication, une justification. Pourquoi lui et pas eux ?
Et si, et si cela venait de la maison ? S’ils n’avaient pas acheté la bonne ? Il refait l’histoire à l’envers, balayant les choix de l’époque pour mieux se convaincre, ajouter le l’eau à son terrible moulin : il leur faut cette maison. Et de pousser, insidieusement, les voisins à partir.
Marcus Malte joue pleinement le jeu du narrateur interne, nous entrainant dans cette spirale argumentaire sans fondement mais de plus en plus implacable, et dans les allusions, les non-dits de son personnage, ses actes qui n’existent pas s’il ne les évoquent pas. Surtout les plus terribles. Ceux sans retour. Mais le bonheur de leur famille est à ce prix.
Un bijou d’une centaine de pages.

Deux autres novellas suivent, plus anecdotiques, moins puissantes, sous le titre « Far West » : “Les Cow-boys” se passe effectivement aux USA, en un lieu et une date qui se préciseront doucement, tandis que “Les Indiens” se déroule en France de nos jours.
Ce flou initial et l’entame par un flot de dialogues rend “Les Cow-boys” un rien plus difficile d’accès ; on se demande où on a mis les pieds. Mais derrière l’anecdote saugrenue d’un lézard géant - qui débouche sur un élevage de dragons du Komodo - on découvre le portrait à grands traits, pas les plus évidents, des personnages, ceux entourant le shérif, ou le suspect, tous marqués par l’Amérique profonde, pour le meilleur ou le pire. Une marque de fabrique de l’auteur, nous brosser des personnages abîmés, en équilibre plus ou moins stable. On retrouve la même chose dans Les Indiens, avec José, le vieux truand désabusé, et Damien, le jeune qui veut jouer au loup. Au milieu, Lila, folle du premier, infirmière de son cœur en morceaux, tout comme elle voudrait soigner le monde. Ils tentent de braquer un bijoutier, l’affaire tourne mal, José se sacrifie pour leur éviter une vie de cavale.
Pas facile de captiver et de satisfaire en à peine deux fois 40 pages, et pourtant, en confiant sa narration à un seul personnage, Marcus Malte instaure un rythme, un phrasé, souvent une chanson des mots, n’hésitant pas un néologisme ou une approximation sonore jamais innocents.

C’est là la grande qualité littéraire de Marcus Malte : nous faire entrer dans la vie et la tête de ses personnages, souvent des êtres abîmés, mal en point, perdus, s’accrochant à leurs propres lois pour ne pas se laisser submerger. C’est sombre, noir, cynique, mais parsemé malgré tout d’éclairs de pure lumière.


Titre : Cannisses suivi de Far West
Auteur : Marcus Malte
Couverture : Getty Image
Éditeur : Gallimard (édition originale : In8, 2012 & 2016)
Collection : Folio
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 6355
Pages : 184
Format (en cm) : 18 x 11 x 1
Dépôt légal : aout 2017
ISBN : 9782072729140
Prix : 6,90 €



Nicolas Soffray
23 mars 2021


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