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Red Man
Jean-François Chabas
Au Diable Vauvert, Young Adult, novella (France ), 120 pages, janvier 2021, 12€

Marvellous est un ado Aborigène désabusé, abandonné, rongé par l’alcool et une drogue, l’ice, qui coule à flots dans la réserve. Il déborde de haine, envers les Blancs, envers les siens, rejette sa culture incapable de les défendre contre les colons. Son manque de foi ne masque pas sa crainte de certains totems, dont Red Man, un guerrier magique qui le met en garde. Marvellous fait fi de l’avertissement, et va s’en prendre à un motel de touriste. Les événements de cette nuit changeront sa vie et sa compréhension du monde.



Avec ce court roman, Jean-François Chabas nous entraine en Australie, dans un violent plaidoyer pour les natifs, qui subissent une dépossession totale, années après années, de leurs terres, leur mode de vie, leurs sites sacrés. Investi sur place depuis des années, en ami sincère et respectueux et non en colon, et s’est battu à leurs côtés, notamment pour l’interdiction d’accès des touristes à l’Urulu, un rocher sacré, une grande victoire pour les peuples australiens.

Dans « Red Man », il donne la parole à Marvellous, un ado en colère, fruit des ravages des Blancs : il voit les siens décimés par l’alcool et la drogue (il est lui-même déjà accro), leurs terres rongées, les violences policières, le chômage, le racisme omniprésent... Galvanisée par l’ice, la colère de Marvellous n’épargne personne.
Les colons qui s’imposent partout, dans leur culture - les X-men ont rejoint son panthéon - et leur langue - le nom du garçon en est la preuve, et il parle un sabir mêlant sa langue maternelle et de l’anglais. Il en veut aussi à son propre peuple, qui ne peut pas se défendre, dont certains ont renoncé et d’autres sont morts d’avoir essayé.
On suit les pensées vagabondes du jeune garçon, son esprit dopé à la drogue qui passe parfois d’un sujet à un autre, enchainement à la fois fou et logique. Avec le talent littéraire qu’on lui connaît, l’auteur parvient sans mal à nous immerger dans le quotidien de son héros, mais aussi son histoire, ses contradictions, sa langue et sa culture métissées par la force des choses. Plus que tout, il nous convainc de la légitimité de sa colère, mais aussi du bien-fondé de son choix initial de répondre à la violence par la violence.

Bien décidé à « faire payer » les Blancs, Marvellous, qui vivote déjà de petits larcins, envisage un acte plus visible, pour secouer les deux communautés. Il n’écoute pas le Red Man, héros, ancêtre mythique, guide spirituel, qui lui apparaît et l’avertit que la violence se retournera contre les plus faibles, et qu’elle le détruira. Mais alors qu’il a brisé la fenêtre d’une voiture sur le parking d’un motel, il découvre Alfa, une jeune Suédoise de son âge, guère effrayée et curieuse, qui le rattrape lorsqu’il s’enfuit en courant. Elle a envie de parler avec lui, de comprendre sa colère, elle qui déteste aussi ses parents et ce tourisme destructeur des Occidentaux.
Ce n’est pas l’exutoire auquel Marvellous s’attendait, et il fuit de plus belle, avant de faire marche arrière, incapable de laisser la jeune fille perdue dans le désert, avec le soleil brûlant qui va bientôt se lever.

Au travers de la colère de Marvellous, l’auteur brosse le tableau noir des prétendus bienfaits de la colonisation, et le Red Man achève de déciller héros comme lecteurs sur les dessous des « cadeaux » des Blancs : acculturation, dispersion des tribus, décimation plus ou moins voyante, par les maladies (jusqu’à l’irradiation avec des essais nucléaires dans les années 1960), les dépendances ou une oppression constante. C’est la loi du plus fort qui veut présenter le visage du bien, et transformer sa victime en coupable, en imposant sa vision du monde comme la seule valable et en dénigrant l’autre. La vague de la société de consommation, avec le tourisme de masse et la mondialisation, n’est qu’une accélération du phénomène initié par la colonisation anglaise. Le choc de ce monde européen avec une société « primitive » (je mets de très gros guillemets), respectueuse de la nature, reconnaissante des bienfaits de la terre et consciente de sa nécessaire préservation, et non pas de sa surexploitation, de son abus, est encore flagrant aujourd’hui, des siècles plus tard.

En une nuit, une rencontre, des choix, Marvellous devient adulte, il perce le voile de ce dont on lui a bourré le crâne pour voir la réalité des choses, et ses nuances. Le Red Man lui offre une autre voie que celle de l’autodestruction, qui aurait été une nouvelle victoire pour les Blancs. Au-delà de la situation australienne, ce cri de colère, ce réveil que fait résonner Jean-François Chabas s’étend à toute la jeunesse en perte de repères, en butte aux (mauvais) choix de ses aînés, et rêvant d’un autre avenir que la loi du plus fort.

Cri d’alerte et message d’espoir, « Red Man » secoue, et c’est tant mieux.


Titre : Red Man
Auteur : Jean-François Chabas
Couverture : Olivier Fontvieille
Éditeur : Au Diable Vauvert
Collection : Young Adult
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 120
Format (en cm) : 20 x 13 x 1
Dépôt légal : janvier 2021
ISBN : 9791030703542
Prix : 12 €


- Hors Zone-> une interview de l’auteur sur « Red Man » dans l’émission Enfantillages


Nicolas Soffray
2 mars 2021


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