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Crac
Jean Rolin
Gallimard, Folio, n° 6852, essai, 160 pages, août 2020, 6,90 €


En 2009, le jeune Thomas Edward Lawrence, alors âgé de vingt ans, et qui plus tard sera connu sous le nom de Lawrence d’Arabie, voyage à travers la Syrie et la Palestine dont il explore les anciens châteaux. Au début des années soixante, Jean-Jacques Langendorf et Gérard Zimmermann voyagent sur ses traces : ils visitent, décrivent et photographient la totalité des positions fortifiées des Croisés au Moyen-Orient. Un siècle après l’aventurier anglais, quelques décennies après les deux Suisses, Jean Rolin, la Correspondance de Lawrence en main, met ses pas dans ceux de ses prédécesseurs.

Dans ce récit prépublié sous forme de larges extraits dans le quotidien Le Monde des 21, 22, 23, 24, 25 et 26-27 août 2018, édité chez POL en 2019, Jean Rolin se livre à l’exercice désormais classique du récit de voyage, dont il est depuis longtemps coutumier. On se souvient de ces œuvres hilarantes et fantaisistes qu’étaient « La Frontière belge », « La Ligne de Front », et « Journal de Gand aux Aléoutiennes », veine qu’il a (hélas) abandonnée au profit de relations plus fidèles d’un quotidien exotique pas toujours enchanteur (« L’Explosion de la durite ») ou d’un « topos » marqué par l’Histoire (« Peleliu  »). C’est donc à l’Histoire que se confronte une nouvelle fois Jean Rolin, l’histoire d’un personnage de légende dont il suit les traces les moins connues, le chemin que traça pour l’essentiel Lawrence alors qu’il était encore étudiant, l’histoire en lointain filigrane des Croisades, mais aussi l’histoire contemporaine puisque son voyage l’entraîne à travers une Syrie perpétuellement en guerre.

En début de volume, une carte vient heureusement préciser les emplacements de ces châteaux bâtis, détruits, reconstruits par les uns et les autres au fil des siècles, certains encore célèbres (Crac, Beaufort, le château de Saône, rebaptisé château de Saladin en 1957), d’autres moins fameux (Stobek, qu’il visite tout juste cent ans après Lawrence), d’autres encore totalement oubliés (Gibelakkar). Israël, Liban, Syrie, ce sont donc plusieurs pays à travers lesquels voyage Rolin tout en décrivant ces châteaux mais aussi les paysages et les gens, mélange de présent et de passé qu’il semble, au rythme d’un phrasé marqué par sa longueur, considérer avec le même mélange d’ironie désabusée. Passé et présent : érudition et observation, donc, pour ce « Crac  » qui apparaît à mi-chemin entre journalisme et littérature, avec un goût marqué pour cette entropie dont l’auteur, en filigrane, fait sans cesse le constat – ce qui reste d’une lointaine Histoire érodée par les siècles, d’une histoire plus récente qui est celle vécue et écrite par Lawrence, et d’une histoire contemporaine marquée par la transformation d’un pays en vaste zone de décombres et de déchets, d’activités révolues, de gares désaffectées, peuplée de chiens errants et de personnages qu’il considère avec l’empathie lucide et paisible de celui qui depuis longtemps ne se fait plus d’illusions.

On le sait : le récit de voyage n’est pas un exercice facile et se révèle souvent plus terne que ce que l’on en attendait. Jean Rolin ne cède pas à l’artifice, ne cherche jamais à forcer le trait. Il y a suffisamment dans le passé pour apporter quelques images, quelques-uns de ces personnages marquants que le présent refuse : ainsi sont mentionnés en passant le grand auteur de récits d’aventures Henri Rider Haggard, qui, dans un de ses romans, décrivit avec grandiloquence le château de Masyaf, Antoine Poidebard, surnommé le Jésuite volant et pionnier de l’archéologie aérienne, ou encore Robert le Lépreux, dont le crâne fut “façonné comme une coupe à boire pour les fêtes, recouvert d’or très pur et serti de pierres précieuses”.

Érudit, joliment écrit, « Crac  », en cent-cinquante pages, entraîne le lecteur dans un voyage atypique. Jean Rolin vagabonde, baguenaude, observe avec son inaltérable ironie et son acuité coutumière un présent à la surface duquel affleurent, partout, de multiples strates de passé. On se laisse aller avec lui dans cette exploration distanciée de territoires en proie à d’éternels conflits.

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Titre : Crac
Auteur : Jean Rolin
Couverture : Shaun Curry / AFP
Éditeur : Gallimard (édition originale : POL, 2019)
Collection : Folio
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 6852
Pages : 160
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : août 2020
ISBN : 9782072882364
Prix : 6,90 €



Jean Rolin sur la Yozone :

- « Journal de Gand aux Aléoutiennes »
- « La Frontière belge »,


Hilaire Alrune
23 décembre 2020


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