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Terres Obscures, chroniques du jour pâle
Sylvie Kaufhold
Editions du 38, Fantasy, roman (France), fantasy post-apo, 324 pages, juin 2020, 16€

Le monde a sombré dans un hiver perpétuel, les peuples survivent difficilement. Les Nilaks, grands et blonds, prospèrent grâce à la Roche-Mère, qui dispense dans leur cité, leurs serres, chaleur et lumière. Plus au sud, Loin au pied des falaises, les Aputis, petits et bruns, s’éteignent, victimes d’une langueur mortelle. Aussi un commando en vient-il à dérober la Roche mère et les pierres reflets d’Anbar, profitant du relâchement des Nilaks trop confiants. Las, une seconde d’inattention, et Chenoa, la benjamine de l’expédition, dévisse et est mortellement blessée. Naya, qui s’estime responsable, la veille au sommet de la falaise, espérant retarder les Nilaks à leur poursuite tandis que le commando file avec son précieux butin.
A Anbar, passées la sidération et les débuts de panique, et la capture des deux survivantes, on s’organise, et on se divise : le clan des guerriers veut donner à la chasse aux Aputis, les plus sages préfèrent hâter l’extraction d’une nouvelle roche, une tâche qui échoit au jeune Tyee, détenteur comme son père de la magie nécessaire à l’opération. C’est cependant une quête dangereuse, semée d’obstacles, et à chaque extraction, l’expédition a payé un tribut de sang... Tandis qu’on soigne Chenoa, Naya se porte volontaire pour accompagner le groupe.



Sylvie Kaufhold aime visiblement les anticipations climatiques. Après « Sol, les réfugiés du froid », « Terres obscures » mélange post-apo et fantasy pour nous emmener dans une quête que seule l’alliance de deux peuples ennemis permettra de mener à bien.

Car si l’intrigue et le déroulé de « Terres Obscures » sont assez classiques, avec ses deux peuples ennemis, ses factions pacifiques ou belliqueuses, ses romances entre étrangers irrémédiablement attirés par l’exotisme de l’Autre, il faut lui reconnaître une qualité aussi simple qu’appréciable : c’est bougrement bien écrit, avec ce qu’il faut de rythme, d’imagination, de rebondissements et de psychologie. Si le lecteur chevronné d’imaginaire n’aura sans doute pas de grande surprise, il fera un très beau voyage en compagnie de personnages nuancés, criants de réalisme. Pour les plus néophytes, qui sortent à peine des classiques et des best-sellers, il y a là bien de quoi s’enthousiasmer.

L’univers est aussi dépouillé qu’attirant : une nature sauvage, des forêts peuplées de bestioles dangereuses, comme des panthères des neiges, un climat hostile : l’Homme n’est pas le bienvenu. Les causes sont méconnues, oubliées, néanmoins les dérèglements climatiques de notre époque pourraient y conduire, poussant la Nature à une réaction violente, fatale à l’Humanité.
Les Aputis, physiologiquement diminués par les conditions de leur survie, ont développé un sens nouveau : la télépathie. Les Nilaks, plus à l’abri derrière leurs remparts, mieux nourris grâce à leurs serres, tout cela dû à leur pierre magique (qui par certains aspects fera penser à l’énergie nucléaire, ou a minima électrique), sombreront dans un chaos, eh bien, apocalyptique lorsque ce bienfait, ce confort pourrait disparaître. L’autrice oppose la force d’un peuple qui a dû et su s’adapter (avec certaines limites) à un autre qui a repoussé le problème grâce à une technologie qu’il ne maîtrise pas totalement, et dont il est devenu entièrement dépendant.
On le voit d’ailleurs, tous s’interrogent sur la possibilité même de prélever une nouvelle roche, plus tôt que la génération précédente, l’assimilant à une chose vivante, qui croît ou se régénère, et à des superstitions obscures au sujet de la montagne qui l’abrite. Tout comme ils ignorent pourquoi seuls les descendants du premier extracteur ont le pouvoir de ramasser la pierre, et une seule fois dans leur vie... Sous des dehors civilisés d’une société sédentaire, semi-technologique, les Nilaks s’avèrent davantage proches d’un peuple antique. Les Aputis, dont on sait peu de choses, tiennent plus de la tribu, proche de la nature, et leur télépathie leur permet un lien avec les animaux, dont leur totem, la panthère (un truc qui sauvera la mise de Naya et Chenoa plus d’une fois).

Sylvie Kaufhold, si elle donne la parole à cinq personnages (Naya et Chenoa, Tyee le jeune extracteur, les jumeaux Ehawee et Mahpee) place davantage la focale sur les Aputis, ceux qu’on pourrait pourtant initialement considérer comme les voleurs, les agresseurs. Au fur et à mesure qu’on découvre les deux peuples, cette vision des choses changera radicalement.

Chenoa, restée en tant qu’otage (aussi pour sa propre sécurité) bénéficie de la protection de Mahpee, le meilleur chasseur et un jeune homme sage et posé, souvent en but au principal danger, le bouillant et belliqueux chef des guerriers. Tandis qu’on lui fait visiter la cité, et qu’elle apporte quelques idées pragmatiques pour pallier l’absence de la roche, les tensions en ville augmentent, les bellicistes la désignant comme bouc émissaire, lui tendent une embuscade. Pour la petite jeune fille, défendue par Mahpee, la situation est d’autant plus embarrassante que c’est elle qui a tué les gardes en faction devant la roche, et qu’elle estime la vindicte populaire légitime. Tout comme elle réalise que la fidélité de Mahpee vient peut-être d’un ordre mental un peu trop appuyé donné par Naya.
Cette partie, la plus politique, montre également la fragilité d’une société où c’est le confort (voire l’abondance) qui garantit la paix, et que la démocratie (ici représentative, avec un conseil de sages), en temps de panique, peut être très fragile et soumise à rude épreuve.

Naya accompagne l’expédition, et doit s’intégrer dans une équipe où tous ne la voient pas d’un bon œil. Elle a beau mettre son pouvoir au service du groupe, les soutien son faibles, hormis Ehawee, respectée pour son rôle de leader, et Tyee, avec qui elle noue une relation plus forte, sa magie le rendant plus ouvert à des bribes de télépathie. Tout n’ira pas de soi, chacun a son caractère, ses peurs et ses faiblesses. C’est néanmoins grâce à elle, et au travers à l’union entre leurs deux peuples, que l’expédition est un succès.
C’est le message qui transpire du roman, jusque dans son heureuse conclusion : on a plus à gagner à s’allier qu’à se faire la guerre, à tendre la main plutôt que dresser murs et boucliers.
A mettre en commun ses forces et ses différences.
Et à ne pas renier ce qui nous paraît plus faible, car c’est s’illusionner sur ses propres forces : la leçon majeure pour les Nilaks, mais que Naya et Chenoa assimilent également, en nuançant leurs préjugés initiaux.

La quête de la roche, véritable voyage initiatique typique de la fantasy, est quelque peu chamboulée par la présence de la télépathe, et certains pièges ne se referment pas comme prévu. Par cette capacité à communiquer autrement, Naya évite parfois une résolution violente, néanmoins chaque épreuve est une leçon de la vie difficile dans ces terres obscures. L’autrice rappelle ponctuellement le contexte naturel, les quelques heures de jours, le froid, le terrain difficile, et ses conséquences permanentes sur les personnages, le froid, la faim, la fatigue, qui jouent sur les corps et les esprits. Encore une fois, si dans le fond cette histoire est classique, la prose de l’autrice nous y immerge avec précision et réalisme.

Sur une trame qu’on pourrait croire usée, et des motifs bien connus (jusqu’au happy end), Sylvie Kaufhold plante un décor aride et glaçant, une tension de tous les instants, déroule une aventure captivante, des rouages denses, un cocktail idéal pour (re)découvrir que les genres de l’imaginaire sont tant de magnifiques voyages qu’une plongée dans la psychologie des personnes et les méandres complexes de leurs relations. Le message très positif d’espoir qui le sous-tend le destine en priorité aux grands ados et jeunes adultes, mais la qualité d’écriture et de narration de « Terres obscures » en fera une lecture fort plaisante pour tous les curieux d’un Imaginaire qui sort visuellement des univers désormais classiques et des thèmes de fond trop manichéens.


Titre : Terres obscures, chroniques du jour pâle
Autrice : Sylvie Kaufhold
Couverture : Jef Caïazzo
Éditeur : Editions du 38
Collection : Collection du Fou / SF, fantasy, fantastique
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 324
Format (en cm) : 21 x 14
Dépôt légal : juin 2020
ISBN :
Prix : 16 € ou 6,99€ en numérique (ePUB)



Nicolas Soffray
21 novembre 2020


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