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Ecuyer du Roi (L’), tome 1/2
Tonke Draght
Gallimard Jeunesse, roman Junior, roman traduit du néerlandais (Pays-Bas), aventure médiévale, 515 pages, mars 2020, 17,50€

L’écuyer Tiuri rompt sa veillée d’armes pour secourir un vieil homme qui appelle à l’aide. Ce dernier l’expédie aux côtés de son maître, en grand danger, sur un cheval « emprunté » dans un pré. Bien qu’il réalise qu’il compromet ses chances d’être adoubé, Tiuri suit les instructions jusqu’à voir le Chevalier Rouge et ses Cavaliers Rouges tuer traitreusement le Chevalier Noir au Bouclier Blanc. Avant de mourir, ce dernier lui confie un message très important pour le roi Unawen, du pays voisin, sa chevalière en guise de sauf-conduit et l’envoie auprès de Menaures, un ermite des montagnes frontalières. Sans plus réfléchir ni hésiter, le jeune écuyer accepte la mission et se lance dans un voyage semé d’embûches.



Classique de la littérature jeunesse aux Pays-Bas, sorti en 1962, premier roman d’une autrice souvent primée par la suite, « L’Ecuyer du roi » revient sur le devant de la scène éditoriale grâce à son adaptation en série par Netflix. Las, après la lecture de ce premier tome, je doute que la transposition soit fidèle, tant le roman a vieilli, sur le fond comme la forme.

Les aventures de chevalerie tirent leurs racines des chansons de geste et la matière de Bretagne, le mythe arthurien, etc. On retrouve dans ce roman tous les éléments traditionnels sur une trame d’apprentissage. Le problème, eh bien, c’est qu’en un demi-siècle, la fantasy est passée par là, et la littérature jeunesse a proprement explosé, en quantité comme en qualité. Les 9-12 ans qui ne seront pas effrayés par ces 500 pages ont d’autres repères, et risquent la surprise d’une écriture et d’une histoire... désuètes.

Ce roman ne souffre hélas plus la comparaison avec la littérature actuelle, tant au niveau de sa trame, très très banale, que ses rebondissements, aussi téléphonés qu’exagérément montés en épingle. C’est faire de l’aventure pour faire de l’aventure, pour ne pas dire tirer à la ligne. La narration est très datée elle aussi, l’autrice préférant décrire les choses, faire rabâcher des informations par les protagonistes que les amener naturellement, donnant un ton très empesé à la plupart des dialogues, les changeant en points d’info réguliers à destination du héros et du jeune lecteur inattentif.

Certes, on ne lit pas un classique, un ouvrage des années 60 comme une nouveauté, mais il faut admettre que les jeunes lecteurs d’aujourd’hui risquent d’être un peu déroutés face à ce pavé de 500 pages au déroulé très linéaire et aux rebondissements très attendus. On aura surtout envie de coller des baffes à Tiuri, un jeune homme plein de bonne volonté mais un piètre écuyer : il s’attache mordicus à sa promesse du chevalier mourant, et protège la lettre au péril de sa vie, sans jamais faire confiance à qui que ce soit. Mais voilà, en gros, à plus d’une journée de cheval de la capitale du royaume de Dagonaut, il ne connaît personne, et plus les pages défilent plus le lecteur de plus de 12 ans, un peu éclairé au sujet de la chevalerie (genre qui a vu « Merlin l’enchanteur »), se demandera ce qu’il a appris durant ses années d’écuyer ! Il lui faut bien 50 pages pour découvrir que les Chevaliers Gris qui le poursuivent sont de son royaume et qu’il peut leur révéler sa mission (il ne le fait pas), idem pour le seigneur de Ministraut ou le percepteur de la rivière Arc-en-Ciel. Bien qu’en possession de la bague du chevalier, il ne va jamais penser (ou très tard) à s’en servir pour ouvrir des portes... Si la première fois on admet ses réticences, sa crainte des traîtres, son obstination aveugle à garder le secret et son incapacité à jauger les gens finissent par fatiguer...

Ces éléments passés, « L’Ecuyer du roi » est une quête très linéaire, et la carte en début d’ouvrage permet de suivre un parcours très horizontal, au plus court. Chaque étape est donc l’occasion d’une rencontre mêlée de suspicion, du refus répété de Tiuri d’en révéler une bribe sur sa mission, d’un retournement souvent attendu (l’autre s’avère un gentil ou un méchant) parce qu’amené sans aucune finesse, et Tiuri aura au mieux perdu du temps à reconnaître un allié, au pire sera tombé tête baissée dans un piège dont il faudra se sortir parfois par les armes, dans des séquences rares mais souvent réalistes. On sourira néanmoins aux bandits si convaincus par le ton implorant du héros qu’ils renoncent à le rançonner, et aux méchants qui, dévoilés, trahissent les plans de leurs maîtres, révèlent des détails d’une traite après avoir soutenu qu’ils ne parleraient pas...

A mi-chemin, dans les montagnes, il hérite d’un guide, un peu plus jeune que lui, Piak, qui va le prendre comme modèle et vouloir se faire son écuyer. Leur relation sera davantage celle d’une amitié indéfectible, Piak sauvant la mise de Tiuri en se sacrifiant, et notre apprenti chevalier refusant d’abandonner son ami derrière lui. Selon le terrain (la montagne ou la ville), l’un doit se remettre entre les mains de l’autre, une leçon d’humilité que Tiuri maîtrise très bien. Cette amitié est le point fort du roman, même si elle est martelée elle aussi.

La fin de ce premier tome apporte quelques maigres espoirs que la suite soit de plus haut vol, avec notamment le nain bouffon d’Unawen, néanmoins on reste dans des ficelles narratives grosses comme des cordes : le message si précieux annonce la trahison du roi d’Eviellan, fils cadet d’Unawen et jumeau de l’héritier, trahison qui transpire dans tous les échanges des chevaliers avec Tiuri sur le chemin. Idem, on découvre qu’ils utilisent des pigeons voyageurs, et on se demande un peu si cela n’aurait pas été plus rapide qu’un écuyer pris au hasard et pas forcément dégourdi. Enfin, ô surprise, Tiuri est adoubé ! Cette aventure valait bien une veillée. Mais l’autrice ne surprendra pas même les plus jeunes, qui auraient persévéré jusque-là, avec cette morale qu’on avait devinée dès le début.

Je ne sais pas non plus où Netflix est allé trouver tant de personnages ados pour la couverture. La demoiselle de Ministraut n’apparaît que 2 fois, et cela suffit pour que les deux jeunes gens tombent amoureux, mais pour les autres... Je suis curieux de découvrir la série, mais suis à peu près sûr que nombre d’éléments du roman de Tonke Draght auront été « réactualisés ». Je ne discuterai pas le choix du casting d’un Tiuri noir, pourquoi pas, c’est la mode, sauf que... cela rend sa cavale encore plus bancale en le rendant d’autant plus identifiable sur la route, soit la source de tension principale du livre... Cela ne présage rien de bon quant à la crédibilité de tout cela.

Le monde a changé, la façon de raconter aux plus jeunes des histoires de chevalerie aussi. On conseillera davantage chez Gallimard le « Laomer » de Pierre-Marie Beaude, suite des aventures de Lancelot du Lac mais racontée en creux par d’autres membres de la Table Ronde, dans un style et un rythme à l’imitation des chansons de geste, mais une structure et une trame plus contemporaines.

La parution de la seconde partie, qui devrait voir éclater la guerre contre Eviellan, est prévue pour 2021.


Titre : L’écuyer du roi (De brief voorde koenig, 1962)
Série : L’écuyer du roi, tome 1/2
Autrice : Tonke Draght
Traduction du néerlandais (Pays-Bas) : Mireille Cohendy
Couverture : affiche de la série produite par Netflix
Éditeur : Gallimard Jeunesse
Collection : Roman Junior
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 515
Format (en cm) :
Dépôt légal : mars 2020
ISBN : 9782075129831
Prix : 17,50 €



Nicolas Soffray
10 décembre 2020


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