Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Fabrique des lendemains (La)
Rich Larson
Le Bélial’, Quarante-Deux, recueil de 28 nouvelles traduites de l’anglais (Canada), science-fiction, 512 pages, octobre 2020, 23,90€

Après Greg Egan, Ken Liu, Nancy Kress et Peter Watts, la collection Quarante-Deux dirigée par Ellen Herzfeld et Dominique Martel consacre un de ses imposants volumes à Rich Larson, un auteur qui risque d’être un inconnu pour beaucoup.
Avant ce recueil, seulement trois textes sont parus en France : deux dans « Galaxies » et un dans l’anthologie « Épées et magie ». Les revues québécoises « Brins d’Éternité » et « Solaris » s’y sont intéressées plus tôt. Pas forcément étonnant, quand on sait que Rich Larson est Canadien. Né au Niger, il a vécu au Canada, mais aussi aux États-Unis, en Espagne et il réside actuellement à Prague. Il ne tient pas en place, se plaisant à écrire un peu n’importe où. En moins d’une décennie, il affiche près de 180 textes et un roman !
Rien de moins qu’un phénomène qui mérite largement ce focus.



L’auteur dédicace ce recueil au regretté Gardner Dozois (1947-2018) et à Émilie Laramée, sa Québécoise préférée. Cette dernière n’est autre que sa traductrice qui appréciera sûrement que sa version de “Corrigé” n’ait pas été reprise ici...
Également au rang des bizarreries, il est difficile de passer à côté des nombreuses pages blanches de ce livre. Enlever ces dernières et celles avec juste le titre de chaque nouvelle revient à retirer une centaine de pages ! Soit un cinquième du total ! Question de présentation me dira-t-on, l’argument massue, mais quand un texte se termine sur une page paire, quel intérêt de mettre une feuille totalement vierge après ?
Ce ne sont que des détails qui ne ternissent en rien la qualité d’un ouvrage remarquable. 28 nouvelles au sommaire, quasi que des pépites, laissant chaque fois sur le même sentiment : Rich Larson est très bon.
Chaque texte est un modèle du genre qui nous entraîne en quelques paragraphes dans son imaginaire. Il n’a pas besoin de beaucoup de lignes pour lui donner corps et embarquer les lecteurs dans un futur plus ou moins proche.

Dans “On le rend viral”, l’ennui est tel que les modes changent à toute vitesse et le plus grand chic devient la transmission de virus. La dernière phrase est de toute beauté, montrant un contexte en décalage avec notre époque. Au rang des épidémies, “L’homme vert s’en vient” évoque la surpopulation et la volonté de certains de rendre à la nature son règne légitime.
L’humain ne se suffit plus et les prise neuronales lui permettent de s’affranchir de certaines limites, la technologie lui change l’existence, la facilitant par certains côtés (la drague dans “Don Juan 2.0”), la déshumanisant par d’autres (“L’usine à sommeil” avec la prise en main de drones nettoyeurs à l’autre bout de la Terre). Elle lui permet de s’affranchir de toutes frontières (“Faire du manège”) ou pour un adolescent de recueillir son grand-père dans sa tête en attendant qu’un corps soit prêt dans le très touchant “Rentrer par tes propres moyens”. Un enlèvement s’opère à distance (“Une soirée en compagnie de Severyn Grimes”)...

L’humain figure au centre des préoccupations de Rich Larson. Même absent, un train dirigé par une IA prend soin de ses passagers depuis longtemps décédés (“Circuits”). “Toutes ces merdes de robots”, voilà les pensées d’un homme avide de fuir une île où il est seul à la merci de robots qu’il n’hésite pas à exploiter et à tromper pour son profit.
Certains problèmes ne changent pas et quitter la misère d’un pays en franchissant un mur gardé est toujours d’actualité. Seule la méthode varie... (“Porque el girasol se llama el girasol”)

L’auteur use parfois d’humour, comme dans “Tu peux me surveiller mes affaires ?” où une demande innocente tourne en vrille. “Un rhume de tête” entraîne d’étonnants effets. Il devient grinçant dans “En cas de désastre sur la Lune” où un pilote ne sait plus qui croire. Les sentiments ne sont pas oubliés : relation contre nature dans “La jouer endo”, envie d’acheter un objet pour plaire à une ex (“Surenchère”), première rencontre arrangée pour forcer le destin (“La Digue”), remise à zéro pour revivre l’amour (“Si ça se trouve, certaines de ces étoiles ont déjà disparu”)...
L’homme augmenté, cher aux militaires, devient réalité dans “Indolore” et une trouvaille inconnue change un homme (“La brute”). Résultat d’expériences interdites, un grand singe intègre la police “De viande, de sel et d’étincelles”.
L’avenir lointain de l’humanité se situe aussi bien en surface (“Il y avait des oliviers”) que dans les profondeurs avec ce repli sur soi né de la peur de savoir ce qu’il y a en surface (“Innombrables Lueurs Scintillantes”). Les deux pages de “Chute de données” suffisent à décrire un futur avec un accès aux données fluctuant. Et si le vice revenait à y manger de la viande ? (“Carnivores”)
Parfois la seule marchandise à vendre est son propre corps qui peut être loué pour une certaine période (“Six mois d’océan”), ce qui n’est pas sans poser problème après...
L’auteur s’essaie même à la poésie (“J’ai choisi l’astéroïde pour t’enterrer”) et n’hésite pas à revisiter des classiques comme avec “Veille de Contagion à la Maison Noctambule” aux allures de “Chasses du comte Zaroff”.

« La fabrique des lendemains » est d’une grand richesse. Les nouvelles s’étalant sur une période de 2012 à 2019 sont de longueurs variables, elles balayent un vaste champ de thématiques et démontrent le talent de Rich Larson à immerger rapidement le lecteur dans son imaginaire. Rien n’est gratuit, l’intérêt s’avère manifeste à chaque fois. Il laisse toujours des traces, des leçons à retenir, car ces futurs plus ou moins proches prennent racines dans notre présent. L’humain et la technologie cohabitent dans ce recueil pour le meilleur, un plaisir renouvelé 28 fois, autant de friandises à déguster sans modération.

Ceux qui ont déjà croisé la prose de Rich Larson n’ont pu oublier son nom, tant chaque texte est attrayant. D’une belle sensibilité, sa prospective tient la route et interroge intelligemment sur la position de l’humain face à la technologie. « La fabrique des lendemains » n’est que la confirmation de cet énorme talent. Il écrit tant - il suffit de compulser la vaste bibliographie concoctée par Alain Sprauel-, que l’on ne peut que rêver à un autre recueil, même si la présente sélection s’est révélée ardue.
Un recueil Rich Larson, il fallait oser, car il n’est pas très connu en France, mais il s’agit de rien de moins qu’un coup de génie, fruit du travail remarquable d’Ellen Herzfeld et Dominique Martel.


Titre : La fabrique des lendemains
Auteur : Rich Larson
Couverture : Pascal Blanché
Traduction de l’anglais (Canada) : Pierre-Paul Durastanti
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Quarante-Deux
Directeurs de collection : Ellen Herzfeld et Dominique Martel
Site Internet : Recueil (site éditeur)
Pages : 512
Format (en cm) : 14 x 20,4
Dépôt légal : octobre 2020
ISBN : 9782843449734
Prix : 23,90 €


Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
13 novembre 2020


JPEG - 14.5 ko



Chargement...
WebAnalytics