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Méfiez-vous du chien qui dort
Nancy Kress
ActuSF, Hélios, nouvelles (USA), SF bien tordue, juin 2020, 165 pages, 7,90€

Nancy Kress est sans doute l’une des plus belles voix de la SF américaine, alliant analyse des pires travers de l’Humain (ses bons côtés parfois) à une imagination anticipatrice terriblement prophétique, notamment ici autour des questions de bioéthique. Ce nouveau recueil compilé par ActuSF en est une preuve supplémentaire



“Méfiez-vous du chien qui dort”
Dans une famille en crise, dysfonctionnelle, le père dilapide les dernières économies dans une portée de chiots génétiquement modifiés - censés rapporter gros une fois dressés - au grand dam de la cadette qui gère la petite dernière. Si le manque d’argent n’y suffisait pas, un accident va tout faire basculer et briser le foyer. Intelligente, tenace et revancharde, la cadette va chercher les coupables, inlassablement, refusant de s’effondrer, comme son père, ou de tourner la page comme son aînée. Sur un fond très techno (les manipulations génétiques) ramené à une échelle courante (les arnaques du dark web), l’autrice nous fait suivre le trajet d’une ado déphasée de ses proches, de son milieu sociale, qui endosse toute la douleur de cette histoire par son propre refus de résilience. L’immersion n’est pas évidente tant les éléments de fond arrivent doucement, brossant à petites touches cet avenir pas rose, mais le style est puissant, dominé par la colère froide de la narratrice.

“La montagne ira à Mahomet”
Un texte plus court, mais pas moins fort. esquissé à lignes rapides et quelques indices, un avenir où la santé a été ultra-privatisée. Le narrateur, interne d’un hôpital, joue le jeu dangereux de soigner des insolvables, des petites gens, selon un modus operandi qui rappelle autant les dealers que les avorteurs d’avant la loi Veil. Dénoncé par une famille qu’il a pourtant aidé, il perd tout, se retrouve pauvre parmi les pauvres. Au cours du procès, il cherche à comprendre les motivations de cette dénonciation. Il mettra quelque temps à se déciller, autant que nous, prisonnier de ses préjugés de privilégié.

“Notre mère qui dansez”
Un groupe d’aliens revient sur une planète étudier l’évolution de la vie. Ils sont eux-même une sorte d’esprit de corps, ultra-sensibles les uns aux autres, et il y a parmi eux une « enfant », dont la psyché est encore en formation, c’est-à-dire non cadré par les codes sociétaux. Sur la planète, la forme de vie (jamais décrite : bactérie ou plus grosse ?) a développé une intelligence telle qu’elle a découvert la guerre et la foi. Finalement, les deux groupes, dont le premier regarde le second, n’entreront pas en contact, et demeureront confit dans leurs propres préjugés. Nancy Kress fait ici du contre-space opera, en appliquant l’excès inverse, un non-interventionnisme d’auto-protection et une déresponsabilisation du créateur. Toujours une lecture complexe et un fort potentiel de réflexion.

“Trinité”
Long texte, là aussi très dense, aux clés données au compte-gouttes. L’histoire semble être celle d’une femme, Seena, qui veut sortir sa soeur Devrie d’une secte pseudo-scientifique qui tente de trouver Dieu dans des expériences sensorielles très intenses. Mais les deux soeurs ont un passif, Seena comme son père ont travaillé sur des expériences autour du lien gémellaire, et il semblerait que papa ait tâté du clonage pour obtenir des cobayes... Très complexe sur le fond (on touche aux neurosciences et à la métaphysique), Trinité est encore -toujours- ramené sur Terre par les bas instincts humains, tandis que Seena s’ingénie à empêcher l’expérience de sa soeur de réussir en séduisant/repoussant leur demi-frère. C’est finalement un exercice de psychologie très freudien particulièrement réussi.

“Des ombres sur le mur de la caverne”
Une société qui produit des « livres sensoriels » dans une ambiance qui pourrait être les années 30, avec une patine des beaux jours d’Hollywood. Parmi les multiples problèmes qu’elle a à gérer, l’éditrice se retrouve avec deux livres, deux chefs-d’œuvre, de ceux qui vous marquent profondément, au-delà des mots. Le problème, c’est que si le texte varie, le premier est un plagiat de l’autre. Une très belle réflexion sur la création, le hasard et le ressenti provoqué par de simples mots.

“Brise d’été”
L’autrice revisite ici le conte de la Belle au Bois Dormant, avec une princesse Églantine qui n’a pas été endormie, et erre dans son château, au milieu de ses gens inanimés, et subit le terrible spectacle des princes déchiquetés par la haie de ronces. Un long isolement, en forme d’épreuve initiatique pour un prix qui lui semblera bien étranger. Très belle plongée dans la féérie mais toujours l’humain et son psychisme au centre de tout.

Une nouvelle fois, disons-le : les nouvelles de « Nancy Kress » sont d’un accès parfois ardu qui pourra rebuter le néophyte. Mais au prix de quelques efforts, que de joyaux ciselés.
En France, chez le même éditeur, nous avons Sylvie Laîné, dont je ne peux que vous conseiller, dans la même veine, son « Fidèle à ton pas balancé ».


Titre : Méfiez-vous du chien qui dort (nouvelles)
Nouvelles :
- Méfiez-vous du chien qui dort
- La montagne ira à Mahomet
- Notre Mère qui dansez
- Trinité
- Des ombres sur le mur de la caverne
- Brise d’été
Autrice : Nancy Kress
Traduction de l’américain (USA) :
Couverture : Zariel
Éditeur : ActuSF
Collection : Hélios
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 165
Format (en cm) : 18 x 11 x 1,2
Dépôt légal : juin 2020
ISBN : 9782376863014
Prix : 7,90 €



Nicolas Soffray
17 octobre 2020


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