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Jours sauvages
Claire Cantais
Syros, Hors-série, roman (France), thriller, 274 pages, juin 2020, 16,95€

Sept ados partent dans les Pyrénées pour 15 jours de colo « bushcraft », c’est-à-dire apprentissage de la survie dans la nature. Le groupe hétéroclite est accueilli par Joe, jeune animateur sympa, le Major, ancien militaire et sa femme Maud, tous deux amoureux de la nature et préférant vivre loin de la société de consommation. Un peu rude, le Major les met rapidement dans l’ambiance, entre reconnexion avec les vraies valeurs et qui-vive permanent. On va transpirer, on est pas là pour se tourner les pouces, entre marches, allumage de feu sans allumettes, reconnaissance des plantes comestibles et toxiques...
Dans le groupe, des liens se nouent : le sensible Angelo se rapproche de la timide Lucie, Moussa joue les durs pour cache ses failles, comme le vertige, Nouria l’athlète se mesure à Charlène, la poupée gymnaste. Aux extrêmes, Eugène, chétif et asthmatique, devient la tête de turc de Nolan, archétype du sale petit con devenu grand, accroché à sa console et bien égocentrique.
Il va falloir (sur)vivre ensemble deux semaines...



Pour son premier roman ado, Claire Cantais réalise un huis-clos particulièrement prenant. Point de fin du monde, de catastrophe, au contraire, un isolement « volontaire » qui va se retourner contre les protagonistes. Vesper, le camp du Major, se niche au pied des Pyrénées, loin des habitants du cru dont tous, nous apprend-il, n’ont pas apprécié leur arrivée. Puis, au premier incident, cette haine des locaux s’incarne en un visage, une menace claire : Chassagne, un voisin particulièrement remonté, vaguement psychopathe. Plane aussi la rumeur d’un incident mortel l’année précédente, dont les ados n’ont vent que trop tard.

L’autrice alterne les narrateurs, mais ses trois adultes n’auront guère la paroles, nous laissant dans le doute quant à la plupart de leurs actes et leurs motivations. Le Major est-il juste un peu rude, bousculant ces gamins pour leur bien, ou cache-t-il une violence meurtrière, provoquant ces « accidents » ? Joe est-il lui aussi un gars sympa, là pour tempérer son aîné, genre le gentil mono et le méchant mono, ou son côté surprotecteur, notamment d’Eugène, dissimule-t-il autre chose de moins avouable ? Et Maud, qui va prendre les jeunes en photo quand ils se lavent à la rivière ? Mis bout à bout, avec les tordus qui remplissent les faits divers, cela donne pas mal de grain à moudre aux jeunes, en mal de repères sûrs.
Et le lecteur, du coup, n’a rien de plus solide où poser les pieds. L’inquiétude des encadrants est-elle sincère, quand Chassagne fait des siennes ? Ou jouent-ils la comédie ? Sont-ils de mèche, ou Joe protègera-t-il les ados ? Les jeux de survie auxquels ils les soumettent, les abandonnant parfois en pleine forêt, n’aident pas à se faire une certitude, chaque absence est expliquée, et même si les ados voient transparaître certaines inquiétudes, pas facile de trancher sur son origine.

De plus, le groupe n’est pas totalement soudé. Nolan fait bande à part, râleur, frimeur, casse-pieds, pour s’être vite mis tout le monde à dos. Il martyrise Eugène, au point que Joe finit par intervenir en lui flanquant une bonne leçon lorsqu’il ira trop loin. Eugène pensait avoir trouvé en Angelo un ami, mais le flirt de ce dernier avec Lucie, premier amour, le plus fort, les éloigne inexorablement. Charlène, qui craque sur Joe, instillera un doute dangereux en voyant le mono emmener Eugène dans sa cabane, un soir, après un énième coup de Nolan. Certaines conclusions se tirent trop vite... L’autrice affine les stéréotypes initiaux, et surtout s’attache à donner une vraie psychologie, réaliste, à ses ados, ni des anges ni des démons. Nolan est une tête à claques mais il sonne tellement vrai. Chacun se découvre des forces insoupçonnés, et des faiblesses soigneusement dissimulées.

Enfin, Claire Cantais nous fait encore plus peur en retraçant en parallèle l’enfance de Thierry. Abandonné en foyer, ballotté d’une famille à l’autre, l’enfant devient asocial, cruel, et assez malin pour passer inaperçu. Les indices sont minces, difficile d’identifier lequel des trois hommes du roman (Joe, le Major, Chassagne) est Thierry, ajoutant une tension supplémentaire tandis qu’on voit, par l’échec de la société, naître un monstre.

C’est donc un très bon thriller que « Jours sauvages ». L’autrice traumatise également les codes du dialogue, délaissant souvent sa ponctuation pour ajouter des répliques en pleine narration, impulsant avec fraicheur le rythme des échanges et nous évitant des tartines de répliques ou de nous perdre entre les locuteurs. Ambiance oblige, la plupart des discussions tournent court, et ce type d’écriture permet de clore l’échange tout en amorçant l’action suivante. Ainsi, la focale de narration semble au début montée sur ressort, mais on s’y fait vite.
Le vocabulaire et la syntaxe des ados, leurs tics de langage actuels sont très présents sans rendre la lecture gênante (j’ai achoppé sur le verbe « tchiper », néanmoins). La fin, brutale, refuse le trop classique pacte littéraire de donner des réponses à tout, nous laissant dans la brume d’un fait divers loin d’être clos. Mais ce n’est pas plus mal, même si certains resteront sans doute sur leur faim.

Je ne suis pas très thriller, mais celui-ci a une saveur originale, des personnages vrais et une habileté certaine à nous laisser dans le brouillard le plus longtemps possible. Par contre, ça vaccine contre les colonies de vacances survivalistes !


Titre : Jours sauvages
Autrice : Claire Cantais
Couverture : Nicolas Vesin
Éditeur : Syros
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 274
Format (en cm) :
Dépôt légal : juin 2020
ISBN : 9782748527216
Prix : 16,95 €



Nicolas Soffray
8 août 2020


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