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Le cyberespace de l'imaginaire




Anatomik
Serge Brussolo
Bragelonne, Science-fiction, roman (France), SF à aliens, 445 pages, octobre 2019, 16,90€

Avenir proche. Les USA ont perdu une guerre meurtrière contre les cartels de la drogue, et vivent désormais soumis, dirigés par des eunuques sans passions et sous perfusion de toutes les substances imaginables. Sous sa couverture de fabricant de prothèses pour les vétérans, ANATOMIK Biotech fait de l’espionnage, grâce à des fantômes agents secrets. Kurt Angstrom est leur meilleur élément, s’infiltrant partout, vocalisant, et même capable de prendre forme humaine un court laps de temps.
Dans le Montana, des orages étranges frappent les cimetières, et chaque tombe foudroyée donne « naissance » à un ectoplasme qui cherche à coloniser un vivant, sous peine de rapidement perdre sa mémoire et sa cohésion. Leur grand nombre intrigue ANATOMIK, qui y envoie Kurt et Willa, leur psy chargée de créer des faux souvenirs aux fantomes dépressifs, car elle est du coin : son père, Chuck, un vétéran de la guerre contre les cartels, a pris en main la résistance contre les spectres.
Mais sur place, c’est déjà le foutoir : les fantômes se rassemblent en nuages agressifs, ce qui est nouveau, et des colonnes de flammes surnaturelles ont isolé une partie de la région, autour du mont Tamatok. Un groupe de Possédés s’y est installé, dirigé par une strip-teaseuse mexicaine dans laquelle s’est incarnée Janice, la mère de Willa...



Présente-t-on encore Serge Brussolo ? A presque 50 ans de carrière, j’ose espérer que non. Récemment encore lauréat du prix du roman d’aventure pour « La porte d’ivoire », l’auteur a touché à tous les genres proches de l’imginaire, avec des préférences marquées pour le polar et l’historique. Mais c’est la SF teintée d’horreur, un peu glauque, qui a sa préférence. On l’aura vu encore dernièrement avec « Les Geôliers ». « Anatomik » est dans la veine de sa production au Fleuve Noir Anticipation dans les années 80 : un univers très loin de nos repères, même si pour le coup nous sommes bien sur Terre, des situations extrêmes, une menace de fin du monde imminente, et des personnages pas forcément bien préparés pour y faire face, physiquement ou psychologiquement. Les fidèles apprécieront certains clins d’œil (l’héroïne s’appelle encore Peggy) et se retrouveront en terrain « connu ». Pour les néophytes, ce n’est pas forcément le roman que je vous conseillerai pour découvrir l’auteur : l’intrigue à strates confondues entre complots, hypothèses des uns, informations des autres risquent de vous perdre dans un galimatias bourbeux. C’est pourtant une des marques de fabrique de l’auteur, et si on y prête attention, on constate qu’il la manie avec dextérité.

Sans sombrer dans le complotisme, les personnages sont à divers niveaux victimes de la rétention d’informations des autres protagonistes. Chuck, en tant que bûcheron bouseux du Montana, et vétéran d’une guerre aussi meurtrière que stupide, a, on s’en doute, une confiance limitée dans l’information publique d’un gouvernement d’eunuques (oui, à l’avenir, on castrera les politiques américains, ça calme les pulsions machistes et ça coupe les ambitions trop hautes). Peggy/Willa, de son côté, n’est guère briefée avant son départ, et doit s’en remettre à un ghost spy taiseux et qu’elle avait reçu en consultation psy... Devant les locaux, elle répète les infos que le fantôme veut bien lui distiller, en paraissant sûre d’elle. Hélas, de l’autre côté de la Ceinture de Feu, leur lien est coupé, et sa mère Janice réincarnée lui sort un tout autre discours que celui du gouvernement ou d’ANATOMIK : les fantômes sont pacifiques ! ils aspirent à cohabiter en paix avec leur hôte ! bon, il y a eu quelques ratés aux débuts, des gens ont explosé, ça arrive...
Pour Willa, devenue une jeune femme libre et intelligente (là aussi, personnage féminin fort, comme très souvent), cette situation ubuesque la replace au cœur du foyer dysfonctionnel qu’elle s’est empressée de fuir ado : un père absent, préférant servir sa patrie au loin, et une mère manipulatrice. C’est dans le traitement de ce trio qu’il y a de bonnes choses à voir, et qui donnent corps à cette histoire plutôt farfelue, pour ne pas dire complètement barrée.
On croise toute une galerie de chouettes Américains, fans d’armes, de drogues, aux hypothèses toutes pires les unes que les autres sur les causes de la situation actuelle, et aux solutions plus extrêmes encore. Comme celui qui veut piquer un vieux bombardier SH-133 pour aller péter la tronche aux aliens qui dirigent cela depuis l’espace...
Chuck, à l’image de nombreux anti-héros de Brussolo, est vite dépassé par les événements et finit par se laisser porter, guider, une fois mis devant l’échec de ses propres plans. Cela ne l’empêche pas de ne pas totalement adhérer aux actes auxquels il contribue, en s’imaginant pouvoir faire machine arrière au dernier moment. Une attitude aussi lâche que typiquement humaine.
Trimballé / trimballant Kurt (le fantôme a besoin d’une petite batterie pour se recharger, donc les héros se coltine un sac à main en béton durant tout le livre), Chuck échappe à sa femme, va dans l’espace, meurt, se réincarne, revient, rencontre les ennemis du feu (les poissons), s’infiltre pour préparer la contre-attaque et empêcher la fin du monde. L’affreux et désagréable bonhomme fait surtout cela pour tirer sa fille des main de sa mère et refuser de perdre une nouvelle guerre, surtout face à des aliens, mais souvent le cœur n’y est pas, malgré les encouragements de Kurt, de plus en plus familier, dont on ne sera guère surpris de découvrir que c’est un ancien de son bataillon.

Tout va vite dans ce roman, même les périodes de repos forcé, sous la pression d’un chrono, d’une échéance mortelle. Chaque plan semble sans retour, et pourtant les va-et-vient de Chuck nous permettent de suivre l’évolution des USA sous la canicule provoquée entre autres par la Ceinture de Feu. Kurt semble le seul à détenir une certaine vérité, permettant de faire le tri entre les hypothèses des uns et des autres, mais il sera vite dépassé. Le monde qu’on découvrait bien chamboulé subit encore et encore des modifications, au point qu’à la dernière ligne, après un ultime rebondissement après ce qu’on croyait la bataille finale, les choses déraillent encore.

Pour votre serviteur qui n’a certes pas tout lu Brussolo, mais en lit depuis presque 20 ans, « Anatomik » n’est probablement pas le meilleur : trop direct, trop de « radotage » des personnages, Chuck le premier, sur leur passé, comme justification de comment on en est arrivé là. On en aura lu d’autres à la psychologie plus fine. L’action, tambour battant, aligne à la chaîne les tableaux les plus improbables, de la ceinture de feu à l’escargot de l’espace capable de la traverser, aux trois sortes d’aliens différents. Si on sent clairement que l’auteur s’amuse avec les codes de la vieille SF et ses clichés, comme Chuck et Willa, nous sommes téléguidés. Le mille-feuilles hypothèses-vérité s’épaissit sans arrêt, notre lecture soumise au bon vouloir de l’irascible Chuck n’aide pas à savoir sur quel pied danser avant un bon moment, et les situations basculent tellement vite qu’on perd parfois en crédibilité, pour peu qu’on prête foi à cette avalanche de catastrophes.
C’est donc davantage un Brussolo tourné vers l’action, alignant les rebondissements et la surenchère de façon effrénée, qu’une infusion de terreur psychologique comme l’était le précédent, « Les Geôliers ». Il faut y voir un second degré et un humour noir certains, une caricature parodique de l’Amérique (mais pas que) dans tous ses excès. C’est dans les détails de font qu’on voit la patte du maître, un univers bien pensé, qui se retrouve noyé sous une énième catastrophe contre laquelle il ne peut rien. Je ne ferai pas de parallèle avec l’urgence écologique, mais on la retrouve très clairement dans la trame de fond, achevant de faire d’« Anatomik » un OLNI excessif certes, mais on ne peut plus contemporain.


Titre : Anatomik
Auteur : Serge Brussolo
Couverture : MiKael Bourgouin & David Oghia
Éditeur : Bragelonne
Collection : Science-fiction
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 445
Format (en cm) : 21,5 x 14 x 3,5
Dépôt légal : octobre 2019
ISBN : 9791028103873
Prix : 16,90 €



Nicolas Soffray
23 août 2020


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