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Lames du Cardinal (les), tome 4 : L’Héritage de Richelieu
Philippe Auribeau d’après Pierre Pevel
Bragelonne, roman (France), cape et épée / fantasy, 453 pages, mars 2019, 20€

10 ans ont passé. Mazarin vient demander au comte de Clément-Lefert, successeur de La Fargue, de reformer les Lames récemment dissoutes. Il met dans la balance la grâce de Gribouges, moine défroqué et artificier de la bande, détenu au Châtelet. Le vieux comte bat froid le cardinal mais rassemble ses hommes pour sauver Gribouges de façon un rien bruyante, pour prouver au ministre que le chantage ne prend pas. Cela fait, il se retire et laisse la place à Thibaut Levance, dit d’Architecte, le cerveau de la bande, pour démanteler un trafic de jusquiame dorée qui menace d’embraser les Ecailles. Le jeune homme recrute deux bateleurs et fines lames, Eléonore et Simon Horville, pour compléter l’équipe. Hélas, Thibaut est salement blessé durant l’opération d’extraction du trafiquant qui se cachait dans une cour des miracles. Gribouges et Da’Kral, un drac tireur d’élite, vont chercher le comte, le seul à même de féderer la bande. Ils remontent ainsi la piste jusqu’au chevalier de Vendôme, un cousin du roi en disgrâce censé être mort de la main de Saint-Lucq, avant de filer droit sur le Mont-Saint-Michel, pour empêcher un rituel qui doit porter un coup fatal aux Châtelaines.



On ne donne pas les clés des Lames du Cardinal à n’importe qui : Philippe Auribeau, si c’est là son premier roman, est l’adaptateur de la trilogie en jeu de rôle. C’est dire s’il la connaît sur le bout des doigts. Grand lecteur, il signe une histoire très respectueuse de l’oeuvre de Pierre Pevel, jusque dans ses tics, mais aussi empreinte de thriller et davantage de fantasy. L’envoûtante couverture de Johan Bodin, qui succède agréablement aux montages pas toujours très nets des volumes précédents, donne le ton.

La structure du roman reste identique, avec pas moins de sept parties-épisodes s’ouvrant sur un cryptique aperçu des manœuvres ennemies. Avec ses 450 pages écrites petit, on a affaire à davantage de densité que chez Pevel - un bon volume et demi si ce n’est deux - mais du coup aussi un effet de surenchère dangereux. Tout cela se passant sur quelques jours, les héros, même blessés ou malades, paraissent infatigables. Thibaut guérira de sa balle dans le dos en 3-4 jours, tandis que Gribouges, infecté par la ranse, attendra un stade critique dans le même laps. Un bref passage à Saint-Malo permettra à Simon de bronzer sur la navire de son ancienne maitresse...
Les rebondissements sont également dans les pas de Pevel : comment ne pas voir la symétrie du sauvetage de Gribouges au Châtelet de la délivrance d’Agnès du Temple dans le tome précédent ? Tout comme on abandonne Paris pour le mont Saint-Michel et les Châtelaines, dans un plan des dragons qui semble une redite malheureuse dix ans après. Ce sera l’occasion de retrouver bon nombre de personnages (ceux encore vivants) : la Vaussambre, Reynault d’Ombreuse... Mais aussi Agnès, mais quasi-figurante.
Dans les travers d’écriture, on retrouve cette manie des répétitions des éléments cruciaux dans chaque partie, à chaque réapparition d’un personnage un peu secondaire, comme si le lecteur avait une mémoire de poisson rouge ou se contentait péniblement d’un chapitre de temps en temps. C’est se mentir sur la qualité du travail fourni, et de ses attraits de page-turner. Pour ma part, il m’a difficilement tenu trois jours.

Certes, Auribeau sait aussi se démarquer, et faire preuve de bonnes initiatives : ainsi, on ne redémarre pas avec une nouvelle équipe, mais on prend celle-ci déjà à sa (première) fin, avec des membres partis, des morts sur la conscience, des passifs lourds- comme entre Gribouges et Da’Kral. Le refus de rempiler de Clément-Lefert est une bonne surprise, l’occasion de passer la main à son cadet, tournant une page générationnelle. Cependant, de l’évasion de Gribouilles à l’extraction du trafiquant Turbin, on aura davantage l’impression de se retrouver dans un épisode de « Mission : Impossible » que dans un roman de cape et d’épée. Vu le nombre d’explosions, on penchera plus pour l’époque Tom Cruise que Peter Graves. L’endurance des personnages signalée plus haut, leur spécialisation de terrain (cerveau, artificier, sniper, bonimenteur...) plaident aussi dans ce sens.

L’auteur, en bon élève, s’est donc approprié les manières de son prédécesseur, y ajoute ses influences, et fait montre d’une compétence appliquée dans le ficelage de son histoire, semant le trouble et les promesses avec justesse, alternant les passages obligés avec ce qu’il faut pour happer les néophytes (les évasions spectaculaires, la soirée coquine, les grandes batailles), et sortant peu à peu des rails du roman d’aventure pour prendre la voie de la fantasy, avec une surenchère finale d’adversaires pour une équipe de plus en plus mal en point. La bataille finale, siège du mont façon Gouffre de Helm, prend des accents de guerre totale ultra-moderne quand Thibaut fait bricoler un trébuchet avec des bancs d’église ou invente les mines incendiaires flottantes, son côté bricoleur de « Mission:Impossible ». On a même droit à un petit interlude zombie, histoire de montrer l’étendue de ses talents.

Mais c’est dans les relations entre ses personnages qu’il fait particulièrement honneur à Pevel. Les dissensions entre le drac et l’ancien moine, l’apport de sang neuf avec les frère et sœur Horville dont l’allégeance est sans cesse remise en question, la familiarité du drac avec le comte, la position en retrait de ce dernier... Les premières Lames étaient davantage soudés, eux se chamaillent régulièrement, semblent sur le point d’imploser. La faute à de nombreux secrets, dont l’un est la clé du titre et ne sera révélé que dans les ultimes pages.

Une agréable lecture, donc, qui ravira les fans de la trilogie originale, en jouant sur les échos, les symétries et les passages obligés. La montée en puissance de la menace donne une étiquette plus fantasy que cape et épée, et l’histoire gagne en surabondance épique ce qu’elle y perd en charme et en réalisme historique. On sourira qu’une telle armada soit stoppée par une poignée de personnages pas mal amochés. Le danger de la surenchère... Les lecteurs plus chevronnés auront passé un bon moment, mais il manquera à la trame de fond quelque chose de marquant (du genre un peu de politique) pour déclencher l’envie de resigner durablement avec les Lames.
Un bon divertissement, riche en rebondissements et nous tenant en haleine jusqu’au bout. Que demander de plus ?


Titre : L’Héritage de Richelieu
Série : Les Lames du Cardinal, tome 4
Auteur : Philippe Auribeau, d’’après Pierre Pevel
Couverture : Yohan Bodin
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : [https://www.bragelonne.fr/catalogue/9791028103323-lheritage-de-richelieu/] (site éditeur)
Pages : 452
Format (en cm) : 24 x 15 x 2,8
Dépôt légal : mars 2019
ISBN : 9791028103323
Prix : 20 €


« Les Lames du Cardinal » (2007)
« L’Alchimiste des Ombres » (2009)
« Le Dragon des Arcanes » (2010)
La trilogie est parue dans une édition intégrale spéciale 10 ans (2016) désormais épuisée et une édition définitive en 2019
« L’Héritage de Richelieu », par Philippe Auribeau (2019)


Nicolas Soffray
11 juillet 2020


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