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Chasse Fantôme (La)
Hermine Lefebvre
Scrineo, roman (France), thriller fantastique, 440 pages, mars 2020, 18,90€

Natalis Verneilh est un jeune Mage de l’Ordre des Veilleurs, une société internationale qui empêche les créatures du Sidh de passer le Voile entre nos mondes. La Chasse Fantôme, des cavaliers spectraux, fait régulièrement des victimes : hors de contrôle depuis que l’Ordre l’a privée de son enfant-leader, le Coryphée, 400 ans plus tôt. Une organisation criminelle, le Cartel, s’est emparée du Cor, artefact à même de de commander la Chasse. L’opération pour leur reprendre tourne très mal : le père de Natalis est tué, son meilleur ami Adrian aussi, et lui chute sur un rocher, le condamnant au fauteuil roulant.
Un an plus tard, l’Ordre finit de statuer sur son sort. Les soupçons de traîtrise n’ont pas été concrétisés, mais Natalis est rétrogradé et envoyé avec son grand frère Félix surveiller la ligne de ley d’Altenheim, une tâche subalterne pour humilier leur famille autrefois puissante. Punition supplémentaire, Natalis doit retourner au lycée. Il y fait la connaissance d’Ielisseï, le cancre désigné de sa classe, un jeune homme androgyne, rêveur, drogué ? et tête de turc des brutes du lycée.
Malgré sa déchéance, Natalis est décidé à contre la Chasse et le Cartel, et à trouver le Coryphée. Mais il peut s’incarner dans n’importe quel jeune humain. Et s’il était le Coryphée, sans le savoir ? Cela expliquerait la force de son lien avec la Chasse, et ses cauchemars prémonitoires...



La Chasse fantôme, ou sauvage, fait partie du folklore slave. Elle est popularisée en Europe Occidendale par le succès des romans du « Sorceleur » (« Witcher ») de Sapkowski, puis leur déclinaison en jeu vidéo, le 3e opus « Wild Hunt », succès mondial, la place même au centre de son intrigue.
Hermine Lefebvre puise dans cette matière désormais familière pour son premier roman, un thriller fantastique de très bonne tenue. Je ne suis pas un grand fan du genre, que je trouve hélas trop codifié, rigide et souvent sans surprise : toute la qualité doit tenir dans l’écriture, dans la narration, car le schéma est quasi toujours le même.

Deux forces en présence courent après le Coryphée. Qui le trouvera contrôlera la Chasse, aussi la course est-elle lancée. Cantonné dans une ville moyenne, Natalis est tenu à l’écart par un Ordre qui le suspecte toujours de trahison. La cheffe de l’ordre est la grand-mère de son meilleur ami, et le juge coupable de sa mort. Le jeune homme peut néanmoins compter sur un membre du conseil pour l’informer et plaider sa cause en interne. Ô surprise, devinez qui est le traitre de l’ordre ?
De même, on cherche le Coryphée sur tous les continents, devinez où il est ? Dans la classe de Natalis !

Néanmoins, je le disais, c’est l’écriture qui fait la qualité du thriller. Le roman d’Hermine Lefebvre a cette qualité, et des choix fictionnels intéressants.
La blessure de Natalis lui a fait perdre l’usage de ses jambes, et l’autrice retranscrit la violence quotidienne de ce handicap et les contraintes littéraires inhérentes : la dépendance à son frère, l’impossibilité d’une course-poursuite (ou de franchir un trottoir), et les broutilles qui pourrissent la vie (le lycée est adapté, mais pas le bus de la ville, les patins pour la neige...). Ce roman est à ce titre un modèle, comme la série policière « Caïn ».
Pour le bouillant jeune homme, aux capacités magiques puissantes et au désir de vengeance tout aussi fort, son handicap est une punition plus douce et plus juste que sa mise à l’écart de l’Ordre. C’est sa peine pour les morts qu’il a provoquées.
Une grande partie de la psychologie de ce thriller tourne autour du sentiment de culpabilité de Natalis et son désir de vengeance/rédemption. Dès qu’il se double de soupçons qu’il puisse être le Coryphée, et donc d’autant plus coupable dans sa désobéissance meurtrière, le jeune paralysé s’enfonce dans la paranoïa, et peine à s’ouvrir à son frère.

Paradoxalement, la lumière viendra d’un autre garçon maltraité par la vie, Ielisseï. Exclu du groupe social de la classe, « dans son monde », il attire vite Natalis parce qu’il n’est pas comme les autres, qu’il méprise. Le jeune mage va se forger différentes opinions sur le bouc émissaire de la classe, avant d’en faire son ami, tant par affinité que pour donner tort au troupeau. Ils se viendront mutuellement en aide, Ielisseï faisant découvrir à Natalis ces refuges en forêt, qui l’apaisent. Il devient transparent pour le lecteur, moins pour Natalis, que le jeune Russe a une affinité avec les lignes de ley, et qu’il est clairement un « bâtard du Sidh », né des deux mondes. Différent, il est harcelé par les brutes du lycée, un thème aussi très bien traité et bienvenu dans une fiction qui vise les grands ados et jeunes adultes.

Plus l’intrigue avance, plus les secrets d’Ielisseï se retournent contre les deux jeunes gens : Félix et Natalis ont à l’œil des trafiquants d’objets du Sidh, peut-être liés au Cartel, qui s’avèrent russes également. Ce qui conduit à quelques péripéties haletantes, poussant les protagonistes dans leurs retranchements. Je ne vous en dirai pas le détail, mais l’autrice excelle à retranscrire les moments de grande tension, qu’il s’agisse des cauchemars de Natalis, de huis-clos violents (comme le passage à tabac d’Ielisseï ou le face-à-face dans les ruines) ou de la défense de la ville contre la furie de la Chasse.

L’enquête avance, mais l’ennemi bouge aussi ses pièces : les cauchemars de Natalis, et ses propres soupçons sur leur cause, poussent le conseil de l’Ordre à voir aussi en lui le Coryphée, et à envisager un exorcisme. Les sentiments de natalis sont très forts : sa culpabilité l’incite à accepter d’être tué durant le rituel, pour expier sa faute. Haïssant le Sidh, il va rejeter Ielisseï lorsqu’il découvrira son ascendance, et ce n’est que lorsque son frère l’aura convaincu de dissocier l’ami du rôle qui lui échoit qu’il se battra pour lui venir en aide. Mais cela promet quelques trahisons qui donnent du sel à cette histoire.

Bref, par cette psychologie très poussée des trois principaux protagonistes, et une intrigue bien ficelée, sans rien laissé au hasard, Hermine Lefebvre produit un thriller passionnant et haletant, qui m’aura scotché d’un bout à l’autre, malgré mon désamour du genre. La relation entre Natalis et Ielisseï nourrit l’enquête où le principal protagoniste se suspecte d’être sa cible, et le fantastique ajoute une touche d’angoisse supplémentaire à la tension psychologique.

Je craignais un peu son épaisseur, et si on aura parfois envie de secouer un peu Natalis qui s’apitoie sur lui-même, les longueurs sont rares et on engloutit ces 440 pages sans sourciller.

Un excellent roman de plus au palmarès de Scrineo, une magnifique couverture d’Aurélien Police, et une autrice à suivre.


Titre : La Chasse Fantôme
Auteur : Hermine Lefebvre
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : Scrineo
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 440
Format (en cm) : 21 x 13,5 x 3,5
Dépôt légal : mars 2020
ISBN : 9782367408422
Prix : 18,90 €



Nicolas Soffray
26 avril 2020


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