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Royaume Blessé (Le), tome 3 : Le Roi des Assassins
R.J. Barker
Bragelonne, roman (Grande-Bretagne), fantasy, 476 pages, novembre 2019, 25€

Vingt années ont passé. Rufra, roi de Maniyadoc, ambitionne de devenir Roi des Rois à Ceadoc. L’occasion de purger les Terres Lasses de beaucoup des maux qui y perdurent. Mais les années ont été dures avec le souverain, et son ami Girton Pied-Bot a parfois du mal à le reconnaitre. L’assassin lui est resté fidèle, déjouant les tentatives de meurtres, prenant soin des héritiers, comme d’une gamine prise sous son aile et d’une Merela infirme. Il appréhende les jeux politiques qui vont se jouer à Ceadoc, et très vite les événements lui donnent raison : son apprentie est tuée en protégeant la jeune princesse, et il contre une tentative d’assassinat de la nouvelle reine de Rufra, une femme du Festival.
Dans la capitale, entre le chambellan, les représentants des différents ordres religieux, dont Neander, les autres candidats à l’élection, Girton et Rufra semblent les pièces sacrifiables d’un jeu dont ils devinent à peine les règles. L’assassin est également troublé par une immense tache de magie dans les entrailles mêmes de la cité, dans le Sanctuaire des Dieux, le dernier endroit où un mage aurait pu faire usage de ses pouvoirs...
Encore une fois, Girton va devoir enquêter, empêcher ses amis d’être tués, démêler un écheveau dont il n’imagine pas l’ampleur.



Nouveau bond dans le temps pour ce troisième tome. Enfants, puis jeunes hommes, les héros sont maintenant dans la force de l’âge. Girton, toujours handicapé par son pied, a jugulé sa magie, pour ne pas attirer l’attention, mais également pour apprendre à ne pas se laisser dominer par elle. Il semble néanmoins fatigué, arrivé à cet âge où il peut craindre des concurrents plus jeunes - et les nouveaux challengers ne sont pas de simples imitateurs. Rufra est usé par le pouvoir, les deuils et une blessure qui refuse de guérir. Persuadé d’être maudit, son tempérament change parfois du tout au tout, et il peut battre froid son ami d’enfance, le jugeant incapable de comprendre certaines raisons d’Etat, avant de revenir vers celui qui toutes ses années est resté son ami fidèle. Si Girton ne remet jamais en cause cette fidélité, il questionne de plus en plus souvent leur amitié tant il peine à comprendre l’entêtement de Rufra dans son projet. Les attaques physiques et politiques dont il fait l’objet, les humiliations que lui imposent le chambellan visent à le faire sortir de ses gonds, à provoquer son propre échec à l’élection. Avec l’aide d’Aydor, Girton va enquêter, découvrir ce qu’on leur cache, qui en veut à leur vie et pourquoi la magie pourtant bannie du royaume a laissé une immense tache sous leurs pieds.

Une troisième fois, RJ Barker mélange habilement action et manigances politiques. La tension est immédiatement installée, avec une menace bien présente, une nouvelle génération d’assassins alors que Merela et lui pensaient la lignée éteinte. L’idée qu’ils accompagnent les délégations royales rassemblées à Ceadoc fait de l’élection une poudrière : la méfiance monte d’un cran. Girton en fait une affaire personnelle après la mort de sa pupille et apprentie. Mais la perspective de rencontrer - enfin - quelqu’un comme lui éveille d’autres sentiments, moins morbides, une idée de complétude. Hélas, les événements ne lui laisseront guère de temps pour une quelconque esquisse d’idylle.

Un coup politique particulièrement sournois va le pousser, pour sauver un membre de la cour de Rufra, et un camarade de longue date, à refaire appel à la magie, dans une tentative inédite qui aura de terribles conséquences psychologiques sur ses cibles, ses complices et sa relation avec Rufra, à qui il cache ses actes pour qu’il ne puisse être mis en cause.
Mais une autre magie a été à l’œuvre à Ceadoc, et son enquête l’oriente vers la femme bourreau de la capitale et son musée des horreurs vivantes qu’elle a créées pour lui - et apparemment avec lui. Le roi des rois aura été un mage ? Serait-il encore en vie, comme le clame la rumeur populaire ? Oeuvre-t-il dans l’ombre pour faire tomber Rufra, ou est-ce pire encore ?

Si RJ Barker nous laisse le temps parfois de souffler, c’est pour mieux accompagner les égarements de son héros, les piétinements de son enquête, les chemins de traverse, les réponses qui apportent davantage de nouvelles questions. Après la construction intime du jeune homme, ce sont les questionnements d’un homme mûr, fatigué, mais qui n’a pas le droit de renoncer, par fidélité. S’il a gagné en assurance, il reste néanmoins fragile, isolé à la cour tant dans son rôle de Bouffon de la Mort que celui d’assassin, avec à peine une poignée d’amis, parfois d’anciens ennemis. Et Merela, sa maîtresse et mère de substitution, état de fait qu’ils arriveront finalement à verbaliser, dans une scène aussi classique que dramatique. L’auteur ne fait pas plus dans la dentelle que dans les tomes précédents, convoquant un climax final épique, et compense les passages convenus par une réelle tension émotionnelle, dans la violence des combats comme la douleurs des sacrifices accomplis. Un juste dosage entre des éléments attendus et une mise en scène, en mots, en émotions qui les hissent au niveau où un frisson nous parcourt le corps à chaque coup, à chaque cri, à chaque larme.
Le coup de maître vient ensuite, alors que la tension épique retombe, avec la révélation finale. La bataille de façade s’est achevée, le temps des assassins s’annonce, les pièces s’emboitent et l’intrigue qui sous-tendait toute cette histoire est mise au jour. Et si quelques indices distillés au fil du roman nous laissaient présager le pire, on ne sera pas déçu par la profondeur du mal que RJ Barker a chevillé à sa saga, l’enracinant dès le départ, confirmant l’unité de sa trilogie. La conclusion, douce-amère et pleine de non-dits, est le point d’orgue du Roi des Assassins, bouclant la boucle, mettant fin aux menaces secondaires qu’on aurait pu oublier, et pourtant les pires. Encore une fois, rien n’est innocent, rien n’est dû au hasard, et les indices nous crevaient les yeux. Encore fallait-il les regarder en face, et ne pas se laisser distraire. Démêler l’écheveau jusqu’au bout. s’attendre à ce qu’il y ait plusieurs brins de laine, pas forcément noués ensemble.

Épique, intimiste, « le Roi des Assassins » en appelle aux grands noms de la fantasy qui a fait la renommée de Bragelonne, mais aussi à des classiques comme « l’Assassin Royal » de Robin Hobb, et emprunte ses ficelles aux polars d’enquêtes les plus retors. Le huis-clos de Ceadoc et ses hauts murs rappelle sans mal l’esthétique du « Nom de la Rose » d’Umberto Eco. C’est prenant d’un bout à l’autre, humain sans tomber dans le larmoyant, dense et ciselé. Ce n’est pas sans tristesse qu’on dira adieu à Girton.

Le site de l’auteur présente le premier volume de sa nouvelle saga, « the Tide Child ». On a hâte de la découvrir.


Titre : Le roi des assassins (King of assassins, 2018)
Série : Le royaume blessé, tome 3
Auteur : RJ Barker
Traduction de l’anglais (G-B) : Nenad Savic
Couverture : Benjamin Carré
Éditeur : Bragelonne
Collection : Fantasy
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 476
Format (en cm) : 23,5 x 15 x 3
Dépôt légal : novembre 2019
ISBN : 9791028103187
Prix : 25 €


Le Royaume Blessé :
L’âge des Assassins
Le Sang des Assassins
Le Roi des Assassins


Nicolas Soffray
29 avril 2020


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