Pour son premier roman, Jean-Baptiste Lamy nous propose une histoire très dense, complexe et à cent lieues des codes actuels. Visiblement très inspiré de la dramaturgie classique, des Grecs à Shakespeare, il fait de ses héros les catalyseurs, volontaires ou non, du chamboulement d’une société inégalitaire. Leurs espoirs, parfois déçus, seront le moteur du changement, même s’ils s’y brûleront les doigts.
L’intrigue est un entrelacs savamment noué, où chaque promesse littéraire aura sa récompense : rien n’est laissé au hasard, d’une sérénade qui sauvera plus tard les amants à un Fusil qui ne rate jamais sa cible, y compris s’il s’agit du tireur. Très théatral, un jeu de masques autour de l’identité changeante de la Reine Noire donne pleinement corps à son image populaire de croquemitaine. Un exercice toutefois risqué si le lecteur n’est pas dans la confidence, obligeant l’auteur, après une centaine de pages, à expliquer les coulisses d’une intrigue qui sera vite devenue totalement nébuleuse.
L’auteur croque aussi la politique, raillant la monarchie assassine d’en Haut (l’assassin hérite des titres de sa victime) comme de la démocratie représentative d’en Bas, sujette aux alliances et tractations. L’économie, incarnée par Le Capitann, est aussi pointée du doigt : le jeune marchand, suivant le vent, fait feu de tout bois et développe tant l’offre que la demande, jusqu’à fournir aux deux armées les solutions aux problèmes qu’il aura aidé à faire émerger. Face à cela, la pureté des sentiments de Tienn pour Crépusculine fait comme une tache de lumière. Les événements vont porter le jeune voleur au pouvoir et il va tenter d’en user pour le bien commun et à travers cela, son bonheur personnel, comme quoi ce n’est pas forcément incompatible.
Très très dense, « Sombre comme l’aurore » déploie une prose très riche et fleurie. Parfois à l’excès, nous noyant dans des descriptions purement illustratives, comme s’il fallait sans cesse replanter le décor. C’est un premier roman, et si on devine tout le potentiel de Jean-Baptiste Lamy, son histoire repose sur une intrigue très (trop) mécanique et des personnages cantonnés à des stéréotypes. Jamais il ne nous invite dans leur psyché, ou bien celle-ci est-elle cantonnée à un seul sentiment. Tous sont dans l’action, la joie de la réussite ou le regret de l’échec. Le Capitann, oublié un long moment, n’a même pas de visage, il n’est qu’un masque, celui du traitre dans l’ombre qui monte aux crochets du héros et ramasse les lauriers après sa chute. Comparativement, certains seconds rôles ont davantage d’épaisseur (l’oncle chevalier de Tienn, descendant du héros) et d’émotions.
Très loin de la fantasy actuelle, nous avons là quelque chose de très théâtral, une histoire déjà en partie mythifiée, dépouillée de ses trivialités. Chaque réplique ou presque est pesée, lourde de sens. Des atours de light fantasy sans le fracas des armées du Bien contre celles du Mal, mais un conflit politique touffu transcendé d’une histoire d’amour impossible. Les personnages ne savent que s’aimer ou se haïr, et à l’exception de foules ou de groupes anonymes, les personnages ne sont guère légion, accentuant cette impression de théâtre.
Si l’auteur laisse passer quelques incohérences (les temps de trajets entre Haut et Bas, le bois dans le taudis d’en Haut...), on notera sa volonté d’aborder de nombreux sujets, comme l’inégalité, l’exclusion, l’immigration vers un supposé paradis. la métaphore de l’ascension sociale est certes un peu grosse et martelée, mais elle n’échappera à personne. Il truffe aussi son histoire d’excellentes trouvailles, parfois ambiguës : ainsi Rakenn, devenu la Reine noire, hérite aussi du rôle de mère de Crépusculine et d’épouse de Saphir, roi dont la sexualité ne s’embarrasse pas de ce genre de détails... Dans la narration, Rakenn reçoit même un pronom féminin lorsqu’on parle de lui en tant que Reine.
Hélas, c’est parfois un peu trop, trop ponctuel, trop parachuté.
« Sombre comme l’Aurore » va à l’encontre des codes actuels de réalisme, de deshéroïsation, de proximité avec ses personnages. Certes imparfait, sans doute trop long et trop dense, il offre néanmoins à voir un autre visage de la fantasy française, plus poétique, avec cette saga délaissant l’intime de ses personnages, le particulier, l’individuel pour mieux en faire des archétypes lourds de symboles, à l’image des grands rôles du théâtre. Se doublant d’une critique des forces politiques, économiques et militaires, il ravira les amateurs de Molière et de Shakespeare.
Un auteur à surveiller !
Titre : Sombre comme l’aurore, la légende de Tienn Halidenn
Auteur : Jean-Baptiste Lamy
Couverture : Jef Caïazzo
Éditeur : Editions du 38
Collection : collection du Fou
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 466
Format (en cm) : 23 x 15 x 3
Dépôt légal : octobre 2019
ISBN : 9782374537092
Prix : 23 €, 6,99€ en numérique