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Le cyberespace de l'imaginaire




Chiens de guerre
Adrian Tchaikovsky
Denoël, Lunes d’Encre, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 318 pages, septembre 2019, 19,90€


« Son regard était typiquement humain, comme sa manière de s’asseoir. Ses yeux ronds et bruns ressemblaient à ceux d’un chien, mais Aslan y distingua quelque chose d’humain, enfermé dans cette prison de chair modifiée artificiellement. »

Ellen Asanto arrive en zone de guerre, mandatée pour établir un rapport sur l’utilisation de cyber-animaux militaires dans la contre-guérilla du sud du Mexique, où les Anarchistas tentent de lutter contre un pouvoir particulièrement brutal. Elle y rencontre Murray, à la solde de Redmark, société militaire privée, son technicien Hartnell, mais aussi, et surtout, les fameux « biomorphes » militaires, des animaux à base organique, modifiés par génie génétique et améliorés par un cybercortex.

Un chien terrifiant de deux mètres de haut, Rex, doté d’armes lourdes, un reptile sniper, Dragon, un ours modifié doté d’un canon, Miel, et enfin un essaim d’insectes composant une intelligence en réseau, Abeilles. Des armes conventionnelles, mais aussi des poisons, des capacités de survie renforcées, et des liaisons informatiques avec Murray, qui commande les opérations. Tout l’art d’Adrian Tchaikovsky est de donner pleine et entière vraisemblance à ces entités qui pourraient être de simples personnages de bande dessinée, mais qu’il parvient à rendre crédibles, terrifiants, et, quelque part, attachants.

« Je suis là, à cheval entre les gens et les choses, et mon existence même prouve au monde à quel point cette limite est futile. Il s’agit seulement d’un no man’s land. Je me dis que je suis l’avenir.  »

Terrifiants et attachants, parce que Tchaikovsky parvient à se glisser dans la peau de ces monstres composites, à faire découvrir le conflit à travers leurs yeux à . À travers leurs conditionnements, leurs intelligences embryonnaires, leur langage en développement. À travers leurs doutes et leurs atermoiements – comment distinguer les amis des ennemis, quand les liaisons informatiques sont coupées ? Qu’est-ce qui est bien et qui ne l’est pas ? Obéir à Murray, le Maître de la meute ? Être un bon chien ou ne pas être un bon chien ? Les questionnements de Rex – la liberté n’a rien de confortable – sont au cœur de cette intrigue, et dépassent bientôt les aspects purement militaristes de ce conflit dans lequel l’on devine rapidement que Murray, habituellement loin des regards, a accumulé les pires exactions.

« Je suis l’étendard de l’avenir et le fléau du passé. L’ancien ordre est l’œuf du phénix dans lequel je suis née, mais pour m’envoler je devrai sans doute brûler mes adeptes, sans quoi ils me couperont les ailes. »

Ce qui apparaît donc tout d’abord comme un roman de guérilla, puis comme un mélange de thriller et de récit de procès, va donc sans cesse plus loin que ce à quoi le lecteur s’attendait. Ce qui se dessine à travers les récits entrecroisés des humains et des créatures biomorphes n’est rien d’autre qu’une histoire de l’avenir. Ce que Tchaikovsky, par petites touches, parvient à faire comprendre au lecteur, notamment à travers l’évolution de l’intelligence des biomorphes, dont les cybercortex s’avèrent rapidement évolutifs, c’est que les scientifiques, sans le vouloir, sans l’anticiper, sont parvenus bien plus loin qu’ils ne l’avaient prévu. Ils ont atteint la singularité, ce seuil scientifique au-delà duquel rien n’est plus prévisible, au-delà duquel aucun retour en arrière n’est possible. En créant de nouvelles machines de mort, ils ont permis l’émergence d’une nouvelle forme de vie.

« L’humanité ne comprend pas l’avenir. Elle n’en a jamais été capable. Les écrivains de science-fiction remâchent interminablement la singularité. Maintenant que les humains sont sur le point de l’atteindre, ils veulent faire machine arrière. »

« Chiens de guerre » se révèle donc très vite, sans que rien dans son titre ne l’ait laissé prévoir, comme un récit à la fois étonnamment ambitieux et astucieusement conçu. S’il n’est pas novateur – chacun de ses éléments a déjà été mis en scène par d’autres – sa composition captive et convainc. L’histoire de ces créatures mi animales mi humaines, et pourtant ni animales ni humaines, prisonnières des « cages intérieures » de leurs atavismes et de leurs conditionnements, le récit de la manière dont leurs structures mentales s’étoffent et s’affinent, la façon dont la société purement humaine se retrouve insensiblement minée, sapée jusque dans ses fondations, interpelle quant aux bascules qui s’opèrent dans le monde réel, quand à notre cécité face aux bouleversements qui peut-être s’opèrent sous nos yeux sans que nous soyons capables de les voir.

L’amateur de science-fiction qui se remémorera le classique « Demain les chiens » de Clifford Simak, ou le plus récent « Irontown blues » de John Varley, où l’on en apprenait beaucoup à travers les yeux d’un chien particulièrement intelligent, appréciera donc à leur valeur ces « Chiens de guerre  » qui vont beaucoup plus loin que ce que l’on pouvait en attendre. Plus court, plus homogène, plus cohérent – mais pas moins ambitieux – que « Dans la toile du temps », ce second roman d’Adrian Tchaikovsky traduit en français interpelle, interroge, et fait pleinement honneur au genre.

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Titre : Chiens de guerre (Dogs of War, 2017)
Auteur : Adrian Tchaikovsky
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Henry-Luc Planchat
Couverture : Studio Denoël
Éditeur : Denoël
Collection : Lunes d’encre
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 318
Format (en cm) : 14 x 20,4
Dépôt légal : septembre 2019
ISBN : 9782207141861
Prix : 19,90€


Adrian Tchaikovsky sur la Yozone :

- « Dans la Toile du temps »


Hilaire Alrune
5 novembre 2019


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