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Tresses - souvenirs du narratocène
Léo Henry

« Nous sommes immortels non pas parce que notre savoir survivra mais parce qu’il s’effacera et laissera place à autre chose. Nous sommes les humains du narratocène : lents, impuissants, fragiles, reliés entre eux et à tout ce qui prolifère autour » : dans ce quatrième volume de la collection « Contes illustrés pour adultes », l’écrivain Léo Henry et l’illustrateur Denis Vierge nous emmènent après la catastrophe, à la recherche de l’humanité et de ses nouvelles formes.



« J’appartiens à la huitième génération d’explorateurs de ma Serre, la douzième au niveau du réseau mondial, et j’espère, pour l’avenir de toute la communauté humaine, que nous sommes parmi les dernières. J’espère que le temps sera bientôt venu pour nous de renouer avec le Dehors, d’oublier les crises, les épidémies et les guerres, et de retisser des relations avec tous les humains, ceux de l’espace et ceux, comme vous, qui ont survécu aux drames, abrités dans les replis du monde, avec courage et ténacité. »

Dans un futur non daté, mais postapocalyptique, les humains se sont réfugiés dans les Serres, « archipel des survivants », milieux clos capables de communiquer entre eux et répartis de ci-de là sur la planète. Depuis ces refuges, où ils ont protégé les espèces vivantes et le savoir humain, ils envoient vers le Dehors dont ils se sont coupés des missions d’exploration aux objectifs multiples, parmi lesquels récupérer des matériaux et retrouver des livres. Le Dehors, toutefois n’est pas entièrement stérile. La narratrice de la première partie, dont l’expédition s’intéresse aux reliques d’une ville côtière, s’aventure à travers la forêt vers la montagne, escaladant les pentes couvertes de forêt d’un volcan éteint, sur lesquelles elle rencontrera la faune et les habitants des Hauts.

« Nous savons ce qui nous distingue des êtres non-humains, et savons que c’est là que réside notre responsabilité en tant qu’espèce : la capacité à raconter des histoires. »

On connaît les déboires de certains ethnographes partis à la recherche d’étrangers sans avoir compris que là où ils se rendaient les étrangers n’étaient autres qu’eux-mêmes, et découvrant que les autochtones, loin d’être mus par une curiosité semblable à la leur, n’éprouvaient pour eux qu’une indifférence profonde. C’est un peu ce qui se passe dans les premiers temps du contact entre l’exploratrice et les habitants des Hauts. Il lui faudra du temps pour comprendre que ces humains qui ont survécu et se sont organisés dans le Dehors n’ont pas évolué vers une espèce mutique, primitive, mais, subtilement transformés, sont devenus espèces racontante, Homo narrans, prenant voix pour les hommes et pour les bêtes, pour l’animé et pour l’inanimé.

« Pendant les centaines de générations que cet âge a duré, les hommes ont mis en récit chacun des choses qu’ils ont fabriquées, ainsi que le plus grand nombre possible des choses vivantes, chlorobiontes, zoobiontes, mycètes, cnidaires, éponges, et tout ce qu’ils pouvaient saisir du monde invisible et abstrait, et ils ont utilisé ces mots comme s’ils ne s’adressaient qu’à eux-mêmes, transformant ce dont ils parlaient en personnages, en bruits, en signes. Pendant tout ce temps, ils ont feint de ne pas comprendre que ce dont ils parlaient s’adressait à eux, en même temps. Qu’ils n’étaient jamais seuls avec leurs récits. Que les histoires le faisaient tout autant qu’ils faisaient les histoires. »

C’est donc à une ethnographie de futur que nous convient les auteurs, et ceci d’autant plus que bien loin du sol, aux frontières de l’espace, une autre humanité a évolué et continue d’évoluer en direction des étoiles, une humanité strictement féminine, génétiquement améliorée, clonée, vieux rêve science-fictif de l’Ève future qui deviendrait alors, lancée dans l’espace, le nouveau point de départ, la nouvelle Ève mitochondriale d’une post-humanité différente, promise à un autre avenir, à un autre récit. C’est en ce sens qu’après s’être, à travers diverses trames narratives, intéressé aux formes de coévolution – la coévolution de l’homme et du riz, la coévolution de l’homme et du loup – cet ouvrage fusionne avec les théories scientifiques qui depuis Darwin et consorts rendent compte des évolutions du vivant. Si les liens avec les classifications phylogénétiques détaillées par Hervé le Guyader, citées en ouverture du volume, demeurent assez ténus – clades ou espèces, peu importe – on comprend l’ambition qu’a cette fable, à travers une poignée de voix, une poignée d’histoires, de résumer l’histoire d’un monde devenu théâtre : le narratocène de Léo Henry en tant que narratoscène.

Entre fable et science-fiction, entre littérature expérimentale et syncrétisme littéraire, « Tresses, souvenirs du narratocène  », cherche à tirer un trait d’union entre les formes anciennes du conte et les avatars modernes de l’anticipation scientifique. En nous invitant à considérer un éventail du vivant en constante raréfaction, à redécouvrir, jusque dans ses formes de vie les plus primitives, et même dans ses aspects inanimés, le vaisseau terrestre que nous sommes en train de saborder, cet ouvrage illustré s’inscrit dans les préoccupations contemporaines d’un monde qui s’interroge un peu plus chaque jour sur son devenir. Les puristes pourront reprocher à cet ouvrage des coquilles résiduelles et quelques libertés prises avec les règles typographiques (non-respect d’espaces après les points, les virgules, les points-virgules), mais le format presque carré, les illustrations sobres mais évocatrices de Denis Vierge, combinées à la narration de Léo Henry, font de ce « Tresses, souvenirs du narratocène  », qui paraît simultanément en langue anglaise, un ouvrage à regarder et à méditer.

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Titre : Tresses – souvenirs du narratocène
Auteur : Léo Henry
Couverture : Denis Vierge
Éditeur : Dis voir
Collection : Contes illustrés pour adultes
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 109
Format (en cm) : 16,4 x 21,4
Dépôt légal : août 2019
ISBN : 9782914563932
Prix : 25€


Les éditions Dis Voir sur la Yozone :

- « L’Homme qui refusait de mourir » de Nicolas Ancion

Léo Henry sur la Yozone :

- « Sur le Fleuve » de Léo Henry dans une de nos sélections de Noël
- Léo Henry dans « Bazaar maniac »


Hilaire Alrune
5 octobre 2019


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