A l’origine, il y a surtout la novella de Laurent Genefort, “Jennifer a disparu”. Walrus, son éditeur numérique, ayant fait de même, ActuSF lui donne une seconde vie et embarque, excusez du peu, Pierre Bordage et Laurent Whale dans l’affaire.

“Jennifer a disparu”, donc. Sachant que Jennifer est un mâle, et d’un type que les humains associent visuellement au Totoro de Miyazaki. Le détective G*** va donc nous narrer son enquête, de la banlieue parisienne aux faubourgs bruxellois, pour ramener Jennifer à sa Patou. Une traque qui tient presque de l’odyssée, car avec un budget très faible, car l’enquêteur est sur la paille. Flanqué de Tony, un alien pas forcément utile, il remonte la piste jusqu’à une secte de branquignoles. Jouant à fond la carte du privé de tout, Laurent Genefort nous pond une aventure assez picaresque, où il est davantage spectateur qu’acteur, subissant les événements et provoquant ses propres malheurs. Il en profite pour dépeindre une Terre en déliquescence, un abandon général qui fait bien écho à la propre misère de son personnage, une sorte de désenchantement parfaitement plausible : si vous croisez des créatures extraordinaires à chaque coin de rue, votre capacité à l’émerveillement en prend un sacré coup dans l’aile. On ne sera donc pas surpris de ne croiser que des bras cassés dans cette histoire, et que l’affaire tienne davantage de l’accumulation de bévues diverses que du complot mondial.

Las, si c’est original sur le fond et la forme, cela survit mal à la répétition. Et avec “Où est mon Choo ?” Pierre Bordage nous livre une intrigue sensiblement similaire quoiqu’un rien plus sérieuse sur la forme mais guère sur le fond. Embauché par une femme fatale pour retrouver son amant du genre Jabba le Hutt, il met au jour une secte de racistes xénophobes, le genre à cagoules pointues et prompt à allumer des bûchers, et ne doit de se tirer de cette affaire qu’à une paire de Clamurtis, Juu et Lii, capables de manipuler le temps, qui l’ont pris en affection.
Le message du racisme et du droit à la différence est bien moins évanescent que chez Genefort, voire même martelé, et sur l’aspect sexuel cela finit par faire vulgaire, surtout avec des personnages guère nuancés dans leurs convictions personnelles.
Si les références littéraires et les allusions aux jours de gloire enfuis fleurissent, on a néanmoins un sentiment très fort de redite. L’écriture est ici aussi très démonstrative, et on regrette la légèreté de Genefort.

Mais cela tombe bien, car on termine sur la prose bien barrée de Laurent Whale. Roi de la métaphore burlesque, inattendue et parfois un peu épicée, il s’ingénie dans un premier temps à prendre à contre-pied la bible qu’on lui a mise entre les mains. La femme fatale s’avère sa logeuse nympho, et son client alien l’en délivre pour mieux le contraindre à accepter une mission qui va prendre un tour planétaire, avec menace d’apocalypse, de vitrification de la banlieue parisienne dans un rayon allant jusqu’au Cap, et même des méchants Russes à sous-marin nucléaire. C’est beaucoup pour un petit privé de tout, mais on lui rajoute, en cerise, une IA capricieuse modélisée d’après ses pensées, qui tournent souvent autour des pin-ups. “L’affaire du FBG” est d’ampleur, également au niveau du texte (140 pages là où les autres n’en font que 70-80), et tant par sa gouaille que son esprit tordant et tordu, Laurent Whale n’a aucun mal à nous tenir en haleine, cravachant une intrigue certes parfois nébuleuse avec la frénésie d’un diabétique enfermé dans une confiserie.

La novella n’est pas encore un exercice courant en France, et les univers partagés, même bons, ont connu des échecs douloureux (une pensée au Club Van Helsing). Pour parfaitement savourer ces trois histoires, mieux vaut donc ne pas les enchainer, ni les comparer. L’académisme des uns pâtirait de la folie d’un autre, et vice-versa selon les goûts des lecteurs. Néanmoins, pour une somme modique, c’est une expérience littéraire encore trop rare pour ne pas être appréciée, et l’occasion de découvrir des plumes qui vous auraient jusqu’alors échappé.

Titre : Crimes, Aliens & Châtiments
Nouvelles & Auteurs :
 Jennifer a disparu, de Laurent Genefort
 Où es-tu, mon Choo ?, de Pierre Bordage
 L’affaire du FBG, de Laurent Whale
Couverture : Diego Tripodi / Atelier Octobre rouge - Kitchengarage
Éditeur : ActuSF(édition originale pour Jennifer a disparu : Walrus, 2016)
Collection : Hélios
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 77
Pages : 298
Format (en cm) : 18 x 11 x 1,3
Dépôt légal : juin 2017
ISBN : 9782366298437
Prix : 8 €