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Assassin du Marais (L’)
Catherine Cuenca
Scrineo, roman (France), policier, 375 pages, juin 2019, 16,90€

1849. La Seconde République vient de succéder à la Monarchie de Juillet de Louis-Philippe. Les temps sont troublés, les Journées de Juin ont ensanglanté Paris, et voilà qu’une femme, Jeanne Deroin, veut devenir députée de Paris ! La police, elle, enquête sur des morts suspectes de femmes. Si pour le chevronné Dubon, les victimes étaient « de mauvaise vie » et l’ont sûrement « bien cherché », le jeune inspecteur Alexandre Delage découvre rapidement un lien : les victimes fréquentaient les cercles d’émancipation féminines de Désirée Gay. Le tueur serait donc un conservateur du genre de son supérieur hiérarchique, cantonnant les femmes au foyer, la cuisine et la chambre. Et en aucun cas à l’Assemblée !
Quand son amie Sidonie disparaît, Julie s’inquiète. Elle essuie un refus ferme et poli des forces de l’ordre, qui lui suggère que son amie a rencontré l’homme de sa vie et abandonné aussitôt son emploi de vendeuse à La Belle Mercerie. Pauline se tourne alors vers la femme de son patron, lui aussi introuvable depuis quelques jours. Léa Caron, malgré son rang, a été répudiée par son mari volage pour, c’est un comble, soupçon d’infidélité. La jeune femme, qui pratique le spiritisme avec un vrai don, pourra peut-être l’aider.



La trame policière de Catherine Cuenca est ici très classique : un couple d’enquêteurs rivaux ; des crimes au lien ténu, suggérant un Jack L’Eventreur ; un biais de lecture, au travers des multiples points de vue, qui nous pousse à un premier suspect, trop évident ; une manœuvre qui échoue ; l’enquêteur désavoué qui s’accroche à son enquête envers et contre tout, renouant avec un passé peu reluisant ; une intrigue amoureuse qui complique tout... et une conclusion toute en tension, couteau sous une innocente gorge et doigt tremblant sur la détente. Vraiment, L’assassin du marais est un modèle du genre. Et loin de moi l’idée de l’en blâmer, car si pour les amateurs de roman policier ce déroulé sera sans surprise, pour les ados, public cible, il a le grand mérite de la clarté.
Et au vu de la matière historique que Catherine Cuenca convoque, c’est une qualité supplémentaire.

La Seconde République n’est pas une des périodes les plus longuement étudiées en classe. Ce bref interlude de 4 ans entre la chute de Louis-Philippe et le Second Empire de Napoléon III est pourtant bouillonnant de vie politique et de conquêtes de droits sociaux. Ou de tentatives.
Sujet -hélas- toujours d’actualité, l’égalité hommes-femmes. Si le suffrage est devenu universel (et plus censitaire : seuls les plus fortunés votaient), il ne faut pas oublier « masculin », car il exclut encore la moitié du corps électoral. Au côté des figures féminines et féministes historiques, comme Jeanne Deroin, Désirée Gay, Eugénie Niboyet et Jenny D’Héricourt, Catherine Cuenca nous raconte une nouvelle fois une histoire du point de vue de celles à qui ceux qui commandent ne demandent pas leur avis : les femmes.

Julie Paupelier a laissé derrière elle campagne, famille et mariage arrangé pour tenter sa chance à Paris. Sa rencontre dans le train avec Sidonie, un peu mieux préparée, sera sa chance, et la disparition subite de sa meilleure amie l’affole. Jamais Sidonie ne serait partie sans la prévenir ! Si son amie était moins impliquée qu’elle auprès des cercles de femmes, elle n’est pas non plus naïve au point de croire les mensonges des hommes, y compris de leur chef de rayon à la Belle Mercerie, M. Caron. Apprendre que des femmes sont tuées juste parce qu’elles sont femmes la terrifie pour son amie, et malgré le danger, elle va tout faire pour qu’on la retrouve.

A l’inverse d’une Julie sans grands moyens mais déterminée, on découvre Léa Caron en mauvaise posture. Répudiée, installée avec sa domestique hors du domicile conjugal, elle supporte douloureusement de ne plus voir sa fille. Son éducation plus bourgeoise lui permet de se montrer plus stoïque en public, mais son don de voyance, par simple toucher, éprouve ses nerfs. Un autre meurtre, dans son voisinage, viendra-t-il brouiller les pistes ? Ou au contraire les affaires sont-elles liées ? Dans leurs divergences, les deux héroïnes sont complémentaires.
Toutes deux sont approchées par des hommes. Et si on déplore les techniques de drague urbaine actuelles, l’attitude des hommes du XIXe n’est guère reluisante, le refus de la dame déclenchant souvent violence verbale voire physique. Comme quoi rien ne change. Et quand ce contexte de tueur qui rôde, des femmes comme Julie, conscientes de leur statut de proie, ne se laissent pas faire... à la grande surprise des mâles plus ou moins bien intentionnés. Si le personnage de Gustave Petitjean, le journaliste du journal satirique Charivari, est somme toute classique, tout comme le bougon Dubon, Alexandre Delage, le héros masculin, est un peu plus ambigu, du fait de son passé de voyou. Sa relation avec Léa, bridée par les codes sociaux du XIXe, offre un pendant romantico-tragique au thème qui sous-tend le roman : si des hommes traitent les femmes comme des objets, la société encadre tant les contacts que l’amour semble un mot interdit, une chose impossible.

Pour avoir lu « la Prophétie des Runes » et « la Malédiction de la Pierre de Lune », j’ai retrouvé la patte de l’autre et n’ai pas été surpris par les grandes qualités de ce roman : la richesse du fond historique, la minutie de la trame policière, le souci du détail qui rend cette aventure à la fois palpitante et humaine. Car si l’intrigue attise notre curiosité, c’est l’interaction entre ses personnages qui la nourrit et nous attache à eux le temps de cette histoire.

Catherine Cuenca, sous couvert d’une enquête policière aux accents fantastiques, nous brosse mieux qu’un cours d’Histoire le portrait social et sociétal de Paris au milieu du XIXe siècle. Lutte des classes, conquête des droits, lente évolution des mentalités, précarité de la population, prostitution, hygiène, épidémies (le choléra), rôle de la presse, barrières sociales, rigueur de façade et petits arrangements en coulisses, tout est dans « l’Assassin du Marais »


Titre : L’assassin du Marais
Auteur : Catherine Cuenca
Couverture : Raphaël Gauthey
Éditeur : Scrineo
Collection : 12 ans et +
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 375
Format (en cm) : 21 x 13,5 x 4
Dépôt légal : juin 2019
ISBN : 9782367406633
Prix : 16,90 €



Nicolas Soffray
4 septembre 2019


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