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Du Corps à l’ouvrage
Eric Dussert et Christian Laucou
La Table Ronde, essai, 288 pages, février 2019, 24 €


L’amoureux de livres, le modeste amateur, ou tout simplement le curieux seront séduits d’emblée par cet ouvrage qui mêle le fond et la forme, qui explique et qui pratique en même temps. Car dès la prise en main l’on s’étonne et l’on s’ébaubit : voilà en effet qui n’est pas coutume que de tenir un volume dont le dos, lorsque l’on soulève la jaquette, se dévoile avec une impudeur à la fois rare et bienvenue : ses coutures, ses couleurs dessinent en effet d’autres dos de livres, évoquent à la fois les rayonnages superposés et comblés d’une étagère à livres et leur représentation architecturale, comme celle que l’on voit sur les tours de la Très Grande Bibliothèque de Paris.

Qu’un ouvrage consacré à la typographie et à l’édition fasse d’emblée bonne impression, c’est bien évidemment dans l’ordre des choses. Ce volume qui, selon les auteurs, n’est “ni un dictionnaire, ni une encyclopédie, pas plus qu’un lexique, non plus qu’un compendium, un guide, un traité ou un manuel”, et qui a été pensé comme “une joyeuse collection de mots, de figures et de notions”, ne manque en effet pas de séduire à chaque fois que l’on s’y plonge. On y glane et butine à foison, et on y trouve plus d’une curiosité.

Ainsi, si tout un chacun sait, n’en doutons pas, ce que sont le boustrophedon, le phylactère, l’iliazd, la laize, la nonpareille ou le paralipomène, il en est peut-être qui seront ravis d’apprendre que l’expression « enfant de la balle » ne vient pas de la jonglerie mais de l’imprimerie, que la chiure de mouche (à ne pas confondre avec le pied de mouche) ne désigne pas la même chose dans le domaine de la typographie et dans celui de l’écriture manuscrite, que l’on ne met pas ses ouvrages de référence dans une hémérothèque, et qu’il est possible de déstabiliser son interlocuteur en lui parlant de système hamapolygrammatique plutôt que de simples logos.

Ouvrage d’érudition, indispensable pour qui veut poser des colles ou briller en société, ce « Du Corps à l’ouvrage » apprendra au lecteur la date d’invention de la cédille (1524), mais lui précisera aussi que l’impression à énergie solaire a été pratiquée dès 1882, que si les Soviétiques ont mis au point au vingtième siècle une imprimerie volante pouvant imprimer dix mille affichettes de propagande à l’heure (qui s’écrasa en 1935), l’imprimerie flottante avait été inventée par les Anglais longtemps auparavant, mais que seuls les Français ont eu en capitale une éphémère imprimerie d’altitude, au second étage de la tour Eiffel (1889). Quelques questions subsidiaires, comme le nombre maximal de pages pour une brochure, la définition du grand papier, de la feuille de malheur ou de l’édition préoriginale, permettront, dans les salons, de distinguer les véritables bibliophiles des simples bibliolathes, voire même de ces tristes personnages que sont les biblioschnocks.

Des personnages, ce volume n’en est pas avare avec des inventeurs à la fois sur le plan technique et typographique (Albert Birot, qui inventa la poème-pancarte, le poème paysage et le poème idéographique), des imprimeurs, souvent en familles ou en dynasties, des auteurs, des martyrs (Etienne Dolet, Michel Servet, William Tyndall), des créateurs de polices de caractères, des lexicographes, des libraires, des enlumineurs, et aussi des personnalités dont le patronyme est passé dans le domaine courant, comme Ambrogio Calepino qui donna son nom au calepin ou Jean Claude Galluchat, au XVIIIème, dont on a gardé la mémoire, en perdant un « l », avec le galuchat des reliures.

Caverne aux trésors, donc, ce « Du Corps à l’ouvrage ». Pourtant, une fois parvenu à la dernière page, le lecteur n’aura pas terminé. Il lui sera en effet possible de basculer le volume pour le reprendre depuis le début, en horizontalisant les indications notées verticalement dans les marges : un complément d’érudition sous forme de chronologie, depuis 50 avant Jésus-Christ, date à laquelle Marcus Varron, selon Pline, pourrait avoir inventé l’imprimerie tabellaire, jusqu’aux évènements les plus récents, en passant par l’héliogravure rotative (1875), la création du folio (1457) et mille autres dates. Table des matières nourrie, illustrations, typographies, dessins, partie centrale avec pages thématiques, alternance de couleurs viennent confirmer l’impression initiale : le travail constant sur le fond et la forme font de ce « Du corps à l’ouvrage » un ouvrage qui a du corps, érudit et original, que l’on aura plaisir à déguster et à feuilleter, et que l’on aura tout intérêt à conserver comme ouvrage de référence.
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Titre : Du Corps à l’ouvrage
Auteurs : Éric Dussert et Christian Laucou
Couverture : Christian Laucou
Éditeur : La Table Ronde
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 288
Format (en cm) : 12,5 x 19,5
Dépôt légal : février 2019
ISBN : 9782710380710
Prix : 24 €



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Hilaire Alrune
17 juin 2019


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