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Morts
Philippe Tessier
Leha, roman (France), fantastique décalé, 200 pages, mars 2019, 19€

Joseph se réveille alors qu’il se sait mort, embaumé et enterré. Il se retrouve nez à nez, ou ce qui leur en reste, avec deux squelettes bien diserts, Ambroise P. et Claude B., qui vont le présenter à leur petite communauté souterraine - que des morts célèbres - dont le leader, Charles D.G., dit Le Grand Charles, va lui faire un topo : ils aimeraient sortir à la surface, et « vivre » en bonne intelligence avec les vivants, mais leur allure risque de déclencher des tirs à vue ou des crises cardiaques plutôt que des pourparlers. Joseph, avec son temps frais d’embaumé, est l’ambassadeur idéal.
Sauf que voilà, à la surface, en fait, tout est mort. Les Humains ont finalement réussi à annihiler toute vie, dont la leur. Joseph rencontre la Faucheuse, qui trompe l’ennui en jouant au golf, et elle lui confie une mission : ramener la vie sur Terre.
D’autres morts-vivants se joignent à eux, et avec les plus brillants et défunts esprits, d’Albert E. à Sigmund F. en passant par Karl M., sans obliger les femmes qui militent pour plus de parité, on imagine comment refaire tomber la pluie sur le monde en ruine, avant d’aller chercher des humains dans des réalités parallèles.



Et puis voilà.
C’est tout.

D’un abord engageant, « Morts » nous noie sous les saynètes rigolotes, à chaque rencontre avec un nouveau mort qui vient taper la causette à Joseph. Après la présentation au comité dirigeant, Charles, Winston, Abraham et compagnie, et les responsables d’ateliers « comment bien vivre votre mort éternelle »..., puis cette mission incongrue, le catalogue ne semble jamais s’arrêter.
Philippe Tessier prend un évident plaisir à jouer avec notre culture générale, puisque les morts n’ont qu’un prénom et une initiale, mais il ne faudra pas être grand clerc pour les reconnaître tant les indices, dans leur situation d’apparition, sont évidents. L’auteur joue davantage avec certains, comme Charles, Léonard, Karl ou Sigmund, les autres font une brève apparition, le temps qu’on use d’eux, et puis s’en vont.

Et c’est le gros problème de « Morts ». Ce n’est pas un roman, c’est une succession d’événements, d’actions menées dans un seul but, quelques échecs bateaux et leurs conséquences. Et c’est tout. Mission accomplie, au revoir. Pas d’interactions entre les personnages, pas de péripéties surprenantes, pas de renversement de situation, pas de remise en question.
Pas de vie.
Le néant, comme dans « L’Histoire sans fin », en marche avant, mécanique, sans conscience. Alors même que ça bavasse, ça parlote, ça réfléchit. Ce n’est que du bruit pour meubler le rien.

Si les morts s’interrogent parfois, en papotant avec Joseph, du pourquoi du comment, cela restera superficiel, et le « héros », personnage lambda, a les opinions de M. Tout-le-monde sur l’écologie, internet, la politique, la télé et les jeunes. Bref, rien qui dépasse la philo de comptoir. N’espérez pas non plus en apprendre plus sur lui, car hormis quelques regrets généraux sur sa vie et l’amour perdu, on a zéro information. Y compris sur son identité. Qui est-il ? Un homme de la fin XXe-début XXIe. Et pourquoi a-t-il été embaumé (et pas incinéré, comme tant d’autres à notre époque) ? Et, et, et... ?

Plus on avance, plus s’éloignent les espoirs de réponses, de sens à tout cela. Tessier n’explique aucun de ses postulats de départ, déroule sa galerie sans grand fil conducteur, fait avancer mécaniquement son histoire sans intrigue, aligne les panneaux amusants et les messages grossiers. Le couplet sur le les femmes est tellement caricatural (elles militent pour leurs droits avant d’aller se promener dans les jardins d’André L.N.) qu’on ne pourra taxer l’auteur de féminisme. Peut-être l’importance de l’Art dans la vie ? avec un Salvador D. si envahissant qu’il éclipse tout autre artiste (je ne crois pas avoir vu Pablo P., un patronyme pourtant facilement reconnaissable, comme son style).

En fait, tout est toujours exagéré, comme si dans cet étalage de connaissances il fallait rassurer le lecteur en forçant la connivence, en s’assurant que rien ne lui échappe, ne le frustre. Un exercice périlleux, les deux extrêmes étant rédhibitoires. Je n’ai pas compris, par exemple, d’où sortait le monsieur B. si tatillon sur la paperasse. Mais à ce stade, l’absence d’intrigue et d’intérêt romanesque en général l’avaient déjà emporté. On échappe aussi à l’appendice qui détaillerait le casting complet, cela aurait été majoritairement insultant pour notre intelligence.

Un roman, d’Imaginaire ou autre, doit vous transporter, vous faire vibrer, faire résonner quelque chose en nous. « Morts » ressemble à une succession de sketchs, qui font rire tout en flattant doucement notre culture g., alignant les têtes d’affiche et multipliant les gags peu finauds (la pluie qui noie les souterrains... et change les incinérés en gadoue...c’est ballot. Surtout quand on est capable de réinventer l’ordinateur et d’ouvrir des passages dimensionnels...). Quelque chose qui passerait peut-être bien à l’écran, sous la forme brève de web-série, est ici long, creux et insipide.

La mort n’est pourtant pas le sujet le plus étroit qui soit. A quoi sert de convoquer savants, artistes, politiques, si c’est pour les voir singer leur comportement de leur vivant, les réduire à des archétypes grotesques ? A quoi bon écrire une histoire sur la mort sans chercher à y trouver un sens ? (A son histoire, déjà, avant à la mort elle-même...)
Philippe Tessier ne se donne même pas la peine de produire une fin digne de ce nom, un ultime sursaut de conscience, « Morts » se clôt comme il a commencé, sur du néant, un ubuesque happy end et l’amour possible pour Joseph avec une nouvelle Eve rafistolée et toute couturée sur le squelette de l’autrice Mary S. (vous avez compris la blague ? tout est du même calibre.)

Donc c’est pas désagréable à lire sur le moment, piquant et drôlatique, mais à la longue répétitif et lourdingue. Car une blague de 200 pages de 34 lignes, et sans chute, c’est finalement plus gênant qu’autre chose.
C’est d’autant plus dommage que Philippe Tessier n’est pas un débutant, et que le rôlisme dont il est issu est normalement un terreau fertile aux fictions à peu près bien ficelées, comme on l’a lu dans « Anges Foudroyés » il y a quelques années.

A éviter et oublier bien vite.

Quitte à voir des morts s’agiter comme des vivants, lisez la BD « Zombillenium » (et regardez le film) d’Arthur de Pins, Vous y trouverez une intrigue, des rebondissements, de l’humour drôle, et une solide réflexion sur notre rapport sociétal à la mort et ses représentations contemporaines. Bref tout se qui fait hélas défaut à « Morts »...


Titre : Morts
Auteur : Philippe Tessier
Couverture : Fabrice Angleraud
Éditeur : Editions Leha
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 200
Format (en cm) : 21 x 14,5 x 1,8
Dépôt légal : mars 2019
ISBN : 9791097270339
Prix : 19 €



Nicolas Soffray
9 juin 2019


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