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Prisonniers de la Nuit (Les)
Johan Heliot
Seuil, Jeunesse, roman (France), anticipation, 300 pages, mars 2018, 16€

Jon n’a pas envie d’aller en camp d’été avec d’autres ados de la Vallée, la communauté où ils vivent à l’abri. Mais ses parents ne lui laissent pas le choix. Dès le départ du bus, la diversité sociale saute aux yeux : Anders, Loane et lui, enfants de chercheurs, sont isolés, tandis que les fils et filles des cades intermédiaires et des petites mains sont plus ouverts et sociables. Jon écope d’un compagne de voyage bien plus jeune, dégourdie et délurée que lui, la rousse Suzie.
Au camp, rien ne se passe comme attendu. Le chauffeur les abandonne dans des locaux déserts et en partie clos. Il leur faut très vite se débrouiller seuls, prendre des décisions. Jon puise dans ses milliers d’heures de son jeu vidéo, Strategik, des trucs utile comme démarrer un feu.
Mais il ressent surtout le danger de l’attitude d’Anders, qui parle fort et impose à tous de le suivre, sans craindre d’user de violence. Soutenu par un petit groupe fidèle, Jon saura-t-il tempérer son emprise dictatoriale sur le groupe ?
Les révélations confiées par Loane ne sont pas pour le rassurer : Anders, plus âgé des enfants de la Vallée, serait le fruit de manipulations génétiques.
Et comme si cela ne suffisait pas, une nuit d’encre, sans fin, s’est abattue sur eux.



On ne présente plus le prolifique Johan Héliot. Si les plus exigeants d’entre nous tiquent sur certains de ses romans adultes, pas tous du calibre de sa « Trilogie de la Lune », sa production jeunesse est toujours très appréciable et appréciée.
Dans ses « Prisonniers de la Nuit », il reprend une trame classique : celle de « Sa Majesté des Mouches », de William Golding (pour citer un archi-classique que vous devez absolument lire), et de plein d’autres romans depuis (comme « The Generations » de Scott Sigler, récemment). Des ados qui ne se connaissent peu ou pas sont projetés hors de leur zone de confort, en territoire inconnu, et doivent se débrouiller. L’expérience révèle le caractère de chacun, parfois à l’opposé de l’attitude qu’il affichait. Ici, le timide Jon prend de l’assurance, et son calme et sa mesure vont en faire un leader sage face au violent et tyrannique Anders. Il sait aussi s’entourer de solides alliés, attirés par ses qualités, et sa capacité à écouter leurs avis comme à devoir trancher entre leurs propositions sera prépondérante.

Là où Johan Héliot est malin (on en attendait pas moins de lui), c’est que cette expérience sociale est en fait (attention spoiler) totalement volontaire. Les plus âgés le devineront assez vite, entre l’extrême emprise d’Anders sur une majorité moutonne et indifférenciée, et la formation pratique de Jon grâce à son jeu vidéo, qui a fait de lui un dirigeant compétent et averti des complexités du pouvoir (une méthode pédagogique qui rappelle « La Stratégie Ender »). Tout cela faisait partie d’un plan (cf « The Dark Knight »). Comme Jon le réalise doucement, ils ont tous été formés à quelque chose, et lui c’est à commander. Mais pour le réaliser, il faut un déclencheur, et c’est Anders, antagoniste par excellence, qui va provoquer cette prise de conscience, changer un ado timide en chef.

En mettant son groupe face à la nuit, noire, absolue, inexpliquée, l’auteur confronte également ses personnages à une peur atavique de l’être humain. Cette nuit est à l’opposé de ce qui attend les ados dans la seconde partie, une balade sur une Terre ravagée par les rayons solaires.
Mais cette nuit, c’est aussi celle de l’ignorance, celle dans laquelle les ados ont été maintenus, à propos de leur avenir comme du passé de la Terre. Johan Héliot saupoudre quelques indices, comme la difficulté à lire, la rareté des livres, les lacunes profondes en histoire et géographie... Ils ont grandi dans du coton, captifs inconscients une prison dorée, et plus que le soleil, c’est la compréhension de l’état du monde qui va les aveugler.

L’expérience terminée avant que ses pièges, un peu trop gros, ne deviennent aussi évidents aux protagonistes qu’aux lecteurs les plus mûrs, et après les explications d’usage, le roman change donc de dimension dans une seconde partie un rien mince (120 pages contre 170), élargissant l’horizon, changeant le huis-clos en odyssée de la dernière chance.
Si les événements bousculent un peu le programme prévu, la fin, certes un peu rapide, est plutôt satisfaisante. Le happy end, là encore à destination des néophytes, ne surprendra personne.

Les plus jeunes trouveront leur bonheur dans ce roman d’apprentissage, les plus grands apprécieront le basculement de point de vue sur la Vallée et le reste du monde : la communauté a survécu, mais à quel prix ? Et comment s’est décidé qui méritait de survivre ?

De mon point de vue adulte, le roman est quelque peu déséquilibré, et souffre d’un empressement qui nuit quelque peu à l’expérience : 170 pages pour présenter les éléments, la situation et conduire au choix décisif final, c’est court, et toute l’attitude d’Anders parait empressée. Certes, le temps du récit est rythmé par des impératifs physiologiques (faire du feu, trouver de l’eau, de la nourriture), et le suspense est prenant, mais certains éléments sont rapidement évacués (comme le devenir des séides d’Anders, dont la seule qualité est de suivre aveuglément leur chef sans discuter). On reste centré sur Jon et Anders, et les filles (Loane et Suzy) peinent à jouer un rôle autre que purement mécanique, et c’est dommage.
Idem pour la seconde partie : le voyage, l’assaut du bunker, la résolution « magique » des problèmes, même tempérée par le sacrifice d’un personnage qui aura finalement changé de camp, aurait mérité sans mal quelques chapitres de plus.

Néanmoins, en 300 pages, Johan Héliot livre un plutôt bon condensé des littératures post-effondrement. Partant de thématiques très actuelles (l’incapacité du consensus mondial sur le devenir de notre planète), et sur la base d’une solution classique (la mise à l’abri d’une élite et de la main d’œuvre nécessaire à la renaissance de la vie) il déroule habilement le schéma de la construction d’une société de survivants : là où la loi du plus fort, inégalitaire, n’aurait fonctionné qu’à très court terme, la solidarité née de l’opposition à cette force brute crée un groupe uni, soudé, plus juste, où chacun trouve sa place.
Celle à laquelle il ou elle a été préparé(e).
On pourra bien entendu y voir le défaut d’une reproduction des inégalités sociales, dénoncées par Suzie notamment, et sourire aux bonnes intentions dont Jon est pétri et certaines décisions contradictoires, dictées par ses pulsions d’ados (et le désir de briller aux yeux de Loane). Mais « Les Prisonniers de la Nuit » invite ainsi à découvrir d’autres anticipations, plus totalitaires ou plus sociales, et s’avère un bon pied à l’étrier pour les jeunes ados.

Mention à la couverture très accrocheuse de Nelson Goncalves.


Titre : Les Prisonniers de la Nuit
Auteur : Johan Héliot
Couverture : Nelson Goncalves
Éditeur : Seuil
Collection : Jeunesse
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages :
Format (en cm) : 20,5 x 14 x 2,2
Dépôt légal : mars 2018
ISBN : 9791023508802
Prix : 16 €



Nicolas Soffray
12 mai 2019


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