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Nature Morte
Patrick Mosconi
La Table Ronde, La Petite Vermillon, roman (France), polar, avril 2019, 216 pages, 7,30€

Vingt ans après l’Algérie, David Detmer est chauffeur de taxi parisien, et tueur à gages. Cela correspond bien à sa misanthropie. Son seul réconfort, sa chatte, Prune, et de la bonne musique, standards du jazz et blues.
Mais voilà que son dernier contrat en date lui cause un dilemme : la cible est le fils de son ancien capitaine, Pradel. Il prévient son officier, par respect, même s’il ne peut reculer, et que le paternel est convaincu de l’innocence de son fils.
Sans l’en informer, Detmer organise une substitution, et Pradel certifie à la police que le cadavre défiguré est bien son fils Thomas.
Mais voilà que Cécile, la plantureuse petite amie, refuse de jouer le jeu si on ne lui explique pas ce qui se passe.
Tandis que Pradel fait jouer ses anciennes relations, Detmer exfiltre Cécile et Thomas, dont il doute toujours de l’innocence, vers les Pyrénées.



Initialement paru en 1988, « Nature morte » fait la part belle aux exactions des services secrets plus ou moins officiels.
La Guerre froide n’en finit plus de décongeler, et les relations avec l’Est sont l’objet de nombreux fantasmes et paranoïas. Thomas Pradel, qui bosse dans l’export avec la Russie, est-il une taupe ?
Detmer, habituellement, ne se pose pas ce genre de questions. Habitué à la mort depuis l’Algérie, il sert d’exécuteur discret à des employeurs dont il ignore tout, sauf la position certainement haut placée, dans l’ombre, et la raison d’Etat qui requiert ses services. Le SAC de De Gaulle n’est jamais nommé.

Deux points articulent ce roman.
D’abord, ce sont les scrupules de Detmer à tuer le fils de son capitaine. Scrupules qui vont conduire à sa perte. Point de gâchis de surprise, le livre s’ouvre sur sa mort, avant de nous renvoyer une semaine plus tôt et de compter les chapitres à rebours. Lui, si froid depuis son installation à Paris, retrouve des sentiments, une humanité justement effilochée depuis son service auprès de Pradel, officier qui a choisi le mauvais camp lors des « Événements ». La présence de la sensuelle Cécile, pas si godiche, réveille en lui des pulsions depuis longtemps endormies. Il se pensait mort-vivant (d’où le Nature morte du titre), il se réveille à la vie quelques heures avant que celle-ci s’achève.
L’autre intérêt du roman, c’est cette peinture des agents de l’ombre des années 1980. Héritage d’un passé peu glorieux, anciens militaires, déçus des choix politiques, petites frappes et fonctionnaires plus ou moins zélés forment un mélange hétérogène. On sera bien en peine de s’attacher à qui que ce soit dans cette histoire. Detmer finit par émouvoir quelque peu, en se dégivrant, mais il reste un tueur froid parmi d’autres. Pradel, en bon père, est prêt à remuer les cendres encore tièdes du passé, avant que des braises lui sautent au visage. Tout n’a pas été réglé, il est temps de payer les dernières dettes, entre officiers fourvoyés et trouffions veules et revanchards.

Il y a quelques facilités dans ces 200 pages. Dans la mouvance néo-polar de l’époque, fièrement brandie par Mosconi (qui, sous son autre casquette, édita Fajardie, Jonquet et Pouy), « Nature morte » est nerveux, épuré à l’os, et psychologique juste ce qu’il faut, quitte à ne brosser les personnages qu’à traits vagues, archétypaux, à nous laisser imaginer le reste, s’il y en a.
Detmer nous invitera un peu dans sa psyché, mais rien n’a de prise sur lui, seule la présence de Prune le distingue d’une ombre. On passera sur l’érotomanie inutile de Cécile, qui à sa première scène ouvre la porte seins nus à ses invités et finit par réclamer une étreinte soudaine d’un simple « Baisez-moi » en plein paysage pyrénéen. Ou la veulerie de Lambert, qui jubilait en tortionnaire tout-puissant mais s’effondre comme une larve sous la menace d’une arme, une attitude pas plus expliquée que cela.
Thomas reste le personnage secondaire le plus intéressant. Cristallisant l’intrigue autour de sa personne - pourquoi ce contrat sur sa tête ? - clamant une innocence mise à mal par sa gestuelle et sa maîtrise des armes et de la situation, il sera le principal moteur des rebondissements, jusqu’aux dernières pages, pour le coup délectables et donnant à « Nature Morte » le peps nécessaire à captiver encore aujourd’hui un lectorat habitué à des intrigues largement plus complexes.

Comme toute cette série « Carte noire à Jérôme Leroy », plonger dans des pépites oubliées du roman noir nécessite un certain recul. « Nature Morte » joue à l’équilibriste entre drame psychologique et embrouille au pays des espions. Detmer incarne le passé, le vide, la mort ; Cécile y est tout le contraire. L’action, surdétaillée (les rues de Paris durant la filature, les armes de l’arsenal, les montagnes), impose froideur et matérialisme, et les quelques moments plus sensibles, humains, n’en sont que davantage appréciables.

Aujourd’hui, sa lecture en une paire d’heures m’a laissé un goût âpre d’inachevé, d’inabouti, de trop léger. L’Algérie est survolée, et sans la préface de Jérôme Leroy on passera facilement à côté des détails qui ne sont de doute façon guère exploités par la suite. La description matérielle des faits l’emporte trop sur la psychologie, et la tension ne tient qu’à leur enchaînement rapide dans une histoire longue d’une poignée de jours. L’écriture de l’auteur, plombée par cet attachement constant à l’action, peine à captiver.
Reste l’observation du fonctionnement de ces services parallèles de l’Etat, dont l’intrigue pointe l’amateurisme (!) à un niveau qui frôle le ridicule.

Le roman a été adapté à la télévision en 1992, sous le titre « Vendredi noir ». Riche en dialogues, et comme dit plus haut porté par l’action, il s’y prête à merveille.


Titre : Nature Morte
Auteur : Patrick Mosconi
Couverture : Stéphane Trapier
Éditeur : La Table Ronde (édition originale : Fleuve Noir, 1988)
Collection : La petite vermillion
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 464
Pages : 216
Format (en cm) : 18 x 12 x 1
Dépôt légal : avril 2019
ISBN : 9782710389972
Prix : 7,30€



Nicolas Soffray
13 avril 2019


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