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Planète des Sept Dormants (La)
Gaël Aymon
Nathan, roman (France), SF, juin 2018, 270 pages, 16,95€

Un temps d’exploration spatiale. La capitaine Melae se rêvait dans les pas des grands découvreurs de planètes, hélas les compromis nécessaires au financement du voyage ont multiplié les factions rivales à bord. Après une mutinerie, c’est un sabotage qui la contraint à se poser sur une planète peu prometteuse. Le vaisseau a souffert. Les lieux sont déserts.
Peinant à imposer une autorité ébranlée par la mutinerie, Melae y croit encore. Les premiers repérages font état de maigres ressources naturelles, mais un site, avec sept stèles figurant un couple clairement humain, laisse espérer... Quand ils rencontrent des indigènes, il faut se conformer au Code. Mais l’Empathe et linguiste du vaisseau, Danco, choisit de ne pas les détromper lorsqu’ils croient avoir affaire aux Dieux de leurs prophéties. Un choix lourd de conséquences...



Il n’y a pas plus classique que la rencontre entre un petit groupe d’explorateurs, plus avancés technologiquement, avec les autochtones, et cette question dont on connaît la réponse depuis la découverte de l’Amérique, Christophe Colomb, Hernan Cortès et Pizarro : faut-il se faire passer pour des dieux si on en a les moyens ? Citons la BD « Thorgal », un exemple parmi des dizaines.
Sur cette base classique, Gael Aymon nous propose un petit bijou. N’ayons pas peur des mots.

D’abord, parce que son histoire est un thriller. L’équipage du vaisseau, plus très nombreux (11) est divisé, l’atmosphère est celle d’un huis-clos. L’autorité de la capitaine est bafouée par une seconde, Nansen, aux ordres de l’Armée, sa chef machiniste An-Mir est une fort-en-gueule et probablement une saboteuse. Le premier lieutenant Amund tente de maintenir le calme. Enfin, Danco, l’Empathe, « l’extra-terrestre », la pièce rapportée dans l’empire galactique, est capable de s’infiltrer dans les esprits, et c’est pour cela qu’on le cantonne à l’opposé du vaisseau. Un meurtre va également ébranlé le groupe. Le coupable est forcément à bord, et la capitaine charge l’Empathe de l’identifier.

En plus de ce rôle d’enquêteur, le jeune homme aux pouvoirs psy va gagner en importance, puisqu’il permettra de communiquer avec les locaux, le peuple Shenini. Sur un coup de dés, confrontés aux Sages de la tribu et surtout à la prêtresse de la religion, il convient mentalement avec elle qu’il serait plus profitable pour tout le monde qu’ils soient les Dormants au réveil tant attendu... Cette décision, personnelle et contraire au Code d’Exploration, va remettre à mal les relations dans l’équipage, certains s’indignant de l’autorité que le linguiste s’arroge, abusant de son rôle et de sa capacité à communiquer qui échappe aux autres.

Un trio est parti en exploration à bord d’un module, et chasse doucement mais sûrement le brouillard de mystère qui entoure cette planète, nous offrant à nous lecteurs des indices qu’eux ne comprennent.
L’auteur va dès lors (vers la 75e page) jouer entre nos hypothèses et les découvertes de Danco sur les Sheninis, leur repli sur leur petite vallée, leur refus de la technologie, de l’écriture.
L’exploration des vestiges, notamment les cavernes des 7 Dormants, et la rencontre avec les Démons tant redoutés nous donneront les clés de ce monde.

Mais c’est tout l’aspect psychologique, les relations entre les différents personnages, explorateurs comme Sheninis (avec luttes de pouvoir et manipulation de foules) qui fait l’intérêt de ce livre. Gaël Aymot confirme qu’aucun règlement, aucun Code ne l’emportent face aux réalité du terrain, aux choix des personnes. Ici, dès les premières lignes, on a la sensation que tout ce qui peut dérailler déraillera, avec les pires conséquences. Dans ce cas, se faire passer pour des Dieux permettra aux personnages de retrouver un semblant de sérénité. Faible, hélas, puisqu’ils demeurent aux aguets, craignant un impair involontaire. La nourriture locale ne réussit pas à tout le monde, et rien que cela rebat les cartes entre eux (difficile d’être autoritaire avec une gastro).
Tandis que Danco se révèle, au travers d’un amour naissant avec Vianne, la jeune prêtresse sensible à son pouvoir, d’autres membres de l’équipage sortent de leur rôle, s’humanisant, dans tous les sens du terme. An-Mir tire son épingle du jeu, et après l’Empathe elle est le personnage le plus captivant : son attitude rebelle et conquérante la rend toujours très ambiguë, et elle sera le moteur des retournements majeurs.

Tandis que la situation s’emballe, échappe à tout contrôle, c’est la nature profonde de chacun qui prend le dessus. Les caractères se révèlent, parfois loin de ce qu’on pouvait imaginer, et au même titre que Danco, on sera jusqu’au bout surpris des actes de chacun et de leurs raisons.

Je ne soufflerais mot des mystères de la planète, ici encore pas forcément très originaux (ce n’est pas le but, au contraire), mais très bien amenés. Le roman offre aux jeunes lecteurs (14 ans, pas moins) des clés classiques de la SF en toile de fond (les faux dieux, la société retombée dans l’archaïsme, la menace des Démons du passé), mais, pour notre bonheur (à tout âge), il emballe cela dans une prose vive, riche en petites ellipses temporelles qui impulsent un rythme supplémentaire et une tension agréable.

Enfin, , qualité indispensable, le roman fait appel à notre intelligence, ne nous donnant les clés des réponses (et encore, pas toutes) qu’après nous avoir laissé les moyens de les trouver par nous-même.
Par exemple : le vaisseau est biomécanique, on le découvre à petites touches (plus ou moins vite selon notre maturité de lecteur), ce qui donne une esthétique très intéressante, une dimension organique très forte, qui marquera certains passages clés.

« La Planète des Sept Dormants » est donc à mettre entre de nombreuses mains, dès l’adolescence. Sa magnifique couverture noir et argent à elle seule capte l’attention.
La jeunesse de Danco lui donne un côté apprentissage, remise en question de ses certitudes, renforcé par le choc des civilisations. Aucun des personnages n’est archétypal, rien n’obéit à un schéma prévisible, tout sonne juste, possible, vrai.


Titre : La Planète des 7 Dormants
Auteur : Gaël Aymon
Couverture : Victorien Aubineau
Éditeur : Nathan
Site Internet : page roman, une interview de l’auteur (site éditeur)
Pages : 270
Format (en cm) :
Dépôt légal : juin 2018
ISBN : 9782092580110
Prix : 16,95€



Nicolas Soffray
28 avril 2019


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