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Ile aux Mensonges (L’)
Frances Hardinge
Gallimard Jeunesse, roman (Grande-Bretagne), chornique sociale / fantastique, 392 pages, mai 2017, 18,50€

1860. Faith est la fille aînée du pasteur Sunderly, éminent naturaliste. Des soupçons de faux dans ses découvertes le contraignent à s’éloigner de la communauté scientifique de Londres, et a accepter l’invitation d’un notable de l’île de Vane, Mr Lambent, féru d’archéologie. Il emporte avec lui ses précieux échantillons de plantes et des spécimens de fossiles, mais aussi femme et enfants.
Faith espère que cet exil la rapprochera de son père et lui permettra de trouver sa place à ses côtés. La jeune fille, intelligente et instruite, rêve plus haut que sa condition de femme du XIXe. Et ses espoirs seront vite douchés par la froideur de son père, mystérieux et taciturne, puis la découverte de son cadavre.
Malgré son deuil, Faith est déterminée à lever tous les secrets de l’île, à commencer par les conditions de la mort de son père, probablement liée à cette étrange plante ramenée d’Asie qu’il lui a demandé de cacher dans une des grottes de la côte.



Auréolé du prix Costa, soit le meilleur livre de l’année en Angleterre, une première pour un livre jeunesse depuis Philip Pullman, « L’Île aux Mensonges » est un ouvrage aussi complet que complexe, mais un vrai plaisir de lecture.

Son héroïne, Faith, souhaiterait s’émanciper. Hélas, elle vit en 1860, et la place des femmes est auprès de leur père puis de leur mari. Encore cantonnée à l’éducation de son petit frère Edward, l’héritier mâle, chétif et trop couvé, elle redoute les élans de sa mère Myrtle de lui inculquer ce qui fera d’elle une jeune femme bonne à marier. Plus ou moins délaissée, livrée à elle-même, elle s’est instruite en puisant dans les livres de son père, et rêve de pouvoir faire ses preuves devant le grand homme.
Ce moment où il vacille pourrait être décisif, hélas les événements récents semblent l’avoir profondément atteint, et l’isolement de Vane accentue sa déchéance. Lorsqu’il saisit l’offre de sa fille de l’aider, c’est pour une mystérieuse mission en mer : aller cacher cette plante qu’il conserve jalousement. Le lendemain, il est retrouvé mort, et les autorités penchent pour un suicide, ajoutant à son discrédit récent l’opprobre d’une mort indigne.

Un nouveau combat s’offre à Faith : laver l’honneur de son père face à une communauté où tous leur sont hostiles. A cette occasion, elle découvrira que les minauderies perpétuelles de sa mère sont sa propre façon de tracer sa voie, de s’élever dans la société. Myrtle la pipelette, dans leur deuil, revêt des atours de stratège prête à beaucoup pour ne pas perdre le peu qu’il leur reste. Aux antipodes de l’approche trop frontale de sa fille, elle joue avec les règles sociales. Mais la bataille est par trop inégale. Le refus d’enterrer son époux en terre consacrée, l’opportunisme de son frère d’accaparer les biens du défunt au prétexte de les préserver, le rejet de ses semblables, femmes de notable, de lui tendre une main secourable, tout cela la pousse dans de terribles extrémités, jusqu’à faire de l’oeil au médecin et au vicaire de l’île, malgré son veuvage très récent, pour s’assurer un avenir et éviter la déchéance sociale.
On le voit donc, la peinture de la place des femmes est centrale dans le roman, et sera très instructive pour les jeunes lecteurs, garçons comme filles, sur le chemin parcouru depuis, et celui qui reste...

Rebelle assumée, Faith enquête, certaine que son père a été assassiné. Et que la plante est le mobile. Dérobant les carnets du défunt, elle découvre que cette plante est un arbre à mensonges. D’après les notes du pasteur, elle craint fortement la lumière, et se nourrit de mensonges. Elle produit alors un fruit qui apporte la connaissance. Faith, y croyant à moitié, s’emploie à donner corps à une rumeur : le fantôme de son père hanterait l’île. Plus que la maturation d’un fruit magique, elle découvre le pouvoir fascinant de la rumeur, qui s’amplifie au fil des bouches par lesquelles elle passe. Surtout dans une communauté close comme une île. Et ses effets ne tardent pas, permettant à Faith de progresser dans son enquête.

Peu à peu, au prix de quelques imprudences, pour sa vie comme pour son honneur de jeune fille, Faith croit découvrir la vérité. Certaines révélations sont douloureuses, car personne, pas même le défunt, n’est tout blanc dans cette affaire. Faith réalise la noirceur, consciente ou non, qui enserre le cœur des hommes. Et le pouvoir qu’elle peut exercer sur certains, par les mots, surtout ceux qui ne sont pas dits, et les gestes, ambigus, qui affolent leur sang. Même le jeune fils du pasteur, auquel elle espérait se lier, succombe à ses premières expériences de charme féminin.

Mais Faith n’est pas omnisciente, elle n’est qu’une adolescente, pétrie de certitudes, pas totalement dessillée par ses découvertes et les ravages de ses rumeurs. Sa tentative de confondre les coupables tourne aigre, révélant le véritable meurtrier, dont l’identité rajoute une couche sombre au message distillé par le roman : les femmes sont plus puissantes que les hommes ne l’imaginent, et bien plus dangereuses.

Magnifique peinture de la société du XIXe, des femmes dans leurs carcans comme leurs libertés, « L’île aux mensonges » mérite amplement son succès, et est à mettre entre toutes les mains, ados comme adultes, garçons comme filles. Comme les autres romans de Frances Hardinge, à découvrir sans attendre.


Titre : L’Île aux mensonges (Tree of Lies, 2017)
Auteur : Frances Hardinge
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Philippe Giraudon
Couverture : Antonin Faure
Éditeur : Gallimard Jeunesse
Collection : Grand Format
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 392
Format (en cm) :
Dépôt légal : mai 2017
ISBN : 9782075076777
Prix : 18,50 €



Nicolas Soffray
14 juin 2019


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