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Malboire
Camille Leboulanger
L’Atalante, roman (France), post-apo, 252 pages, aout 2018, 16,90€

La Malboire, une boue collante, toxique, semble avoir recouvert le monde. Création des hommes du Vieux Temps ou chatiment qui leur a été infligé, on ne sait plus. Certains survivent.
Au début, au plus loin que remontent ses souvenirs, Zizare n’avait même pas consience d’être. Il, ça était de Ceux la boue, horde sans esprit qui errait dans la Malboire. ça s’en est détaché, ça en a été sauvé par Arsen, un vieux fou obnubilé par sa machine. Aux côtés d’Arsen, ça est devenu Zizare. Avec lui, et sa machine, il a découvert de l’eau propre sous la terre, la possibilité de ne pas devoir sa survie aux rares averses. Mais les survivants, à commencer par les habitants de Wassingue, les regardent d’un sale oeil malgré tout. Au village, Zizare rencontre Mivoix, une femme au ban de la communauté, et c’est le coup de foudre dans ce monde d’où a disparu l’amour.
Ils auraient pu vivre heureux, tous les trois, mais Zizare a voulu comprendre. Voir le monde, ou ce qu’il en restait. Aller au Grand Barrage, là où les Planches à Mort retiennent le Grand Clapot - toute cette Eau - en attendant qu’elle se déverse en une vague d’apocalypse qu’ils chevaucheront...



Sous la forme du témoignage, avec tous les effets d’anticipation, d’annonce et de regrets que cela permet, Camille Leboulanger nous rapporte la vie de Zizare, sorti de la boue comme une seconde naissance, la mémoire vierge, les moindres gestes à réapprendre.
Au fil des pages, les origines du désastre se dessinent : une catastrophe écologique, du dérèglement climatique... Un nom, au fronton d’entrepôts rouillés, incarne ce Vieux Temps coupable : Floréal.
La vie continue, bon an mal an. On survit, on s’organise plus ou moins. Comme dans toute bonne anticipation post-apo, des romans de Serge Brussolo (j’ai beaucoup repensé au début d’« Almoha », entre autres) à des œuvres vidéoludiques comme « Fallout », la référence du genre, le personnage croise des groupes, des microsociétés souvent imparfaites, partant parfois d’un bon sentiment, mais sombrant vite, de gré ou de force, dans les pires travers de l’Humanité, au nom de la survie : autarcie absolue et refus de l’Autre à Wassingue, sectarisme religieux au Barrage, doublé d’une misogynie marquée, économie de prédation chez les nomades Batras...
Si les Planches à Mort font un moment penser à de terrifiants « Brice de Nice », toute l’ambiance et la construction du roman, et surtout la fin, évoquent « Fallout » à toute personne qui y aura joué. L’artifice de la perte de mémoire, de cette renaissance à partir de rien, dans la boue, niveau 1... et le ronron de l’hélicoptère, la chute initiale pas seulement métaphorique...

Décortiquée, l’histoire de Camille Leboulanger n’est pas neuve. Mais sa façon de la raconter, la langue, le vocabulaire qu’il déploie, la palette de sensations auxquelles il fait appel rendent son récit profondément immersif et touchant.
Il joue avec toute les ficelles de l’écriture. Cette forme de témoignage, si elle nous garantit la survie de Zizare jusqu’à la fin du texte, permet surtout nombre de détours, de repentirs de son personnage, d’annonces des inévitables conséquences de ce qu’il sait désormais être des mauvais choix. C’est une confession. Mais c’est aussi un regard à double focale que son auteur porte sur les événements, complétant de son savoir futur ses impressions d’alors. Ajoutez-y la connivence entre l’auteur du roman et son lecteur, ces éléments compris d’eux qui échappent au personnage, et le roman prend toute son ampleur.
On peut initialement être surpris par ce parti-pris du témoignage, mais il permet, même aux prémices de l’histoire, dans un moment de pures et basiques sensations, pas encore de pensées cohérentes, de happer le lecteur dans une richesse narrative immédiate, de poser les bases verbales de cet univers et du prisme par lequel nous allons y être plongés.

Post-apo oblige, c’est triste, souvent cruel, malgré l’innocence dont fait preuve Zizare et l’amour solaire qui le lie à Mivoix. Rencontre après rencontre, on désespère, comme les héros, de trouver ailleurs quelqu’un qui mérite de vivre, et pas seulement de survivre dans cet Enfer. Comme si les gens avaient admis qu’ils devaient encore payer pour la faute de leurs ancêtres. Chaque communauté, avec ses dogmes bancals, absolus, est un rappel violent de ce qui attend l’Humanité si elle persiste dans ses travers. Si jamais elle survit à ce qu’elle fait endurer à la Nature.

« Malboire », évident pamphlet écologique, récit crépusculaire, magnifique histoire d’amour. Pas une destination de rêve en apparence, une couverture pas forcément accrocheuse, mais un beau voyage dans un Enfer créé par l’Homme.
Après « Enfin la Nuit » et (dans un registre différent) « Bertram le baladin », Camille Leboulanger confirme son talent pour nous enchanter avec les mots les plus durs.


Titre : Malboire
Auteur : Camille Leboulanger
Couverture : Julie Manescau
Éditeur : L’Atalante
Collection : La dentelle du cygne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 252
Format (en cm) :
Dépôt légal : aout 2018
ISBN : 9782841728695
Prix : 16,90 €



Nicolas Soffray
25 avril 2019


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