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Rhizome
Nadia Coste
Seuil Jeunesse, roman (France), anticipation écolo, 350 pages, octobre 2018, 14€

2081. Les désastres écologiques ont ravagé la Terre. Les Humains ont construit de grandes tour de verre pour se hisser au-dessus d’un sol inhospitalier. Grâce à une plante terrestre qui a muté dans l’espace, la photosynthèse assure une atmosphère respirable. Mais ces Plantes (tellement indispensable qu’on lui met une majuscule) sont assez invasives, et certains craignent qu’elles finissent par supplanter l’espèce humaine.



Jaro, jeune biologiste talentueux, travaille sur les Plantes dans le labo du professeur Bergeret, dans la sky-city de Mauges. Tandis que son mentor planche sur un herbicide ciblé, Jaro s’intéresse aux plantes non modifiées qui couvrent peu à peu les terres arables du niveau zéro. Lors d’un prélèvement dans une ferme, il inhale un sporange bizarre. Il est évacué en capsule et tous s’inquiètent pour lui, surtout ses parents et Manuela, sa fiancée.
Si les analyses donnent peu de résultats, Jaro se met à entendre des voix. Suspectant d’abord un piratage de son implant com, il cherche une réponse rationnelle avant de devoir admettre qu’une Plante grandit en lui. Cette entité, qui se nomme Semper, lui déclare être un ambassadeur des Plantes vers les Hommes, venu les convaincre de la nécessité de vivre en harmonie plutôt qu’essayer de les détruire. Hélas, sa « naissance » se fera au détriment de la vie de Jaro, qui devra mourir.

Accepteriez-vous de mourir, d’abandonner vos proches, votre amour, un avenir plein de promesses, pour sauver le plus grand nombre ? C’est à cette question très philosophique que Nadia Coste répond au travers de « Rhizome ».
Le roman jette rapidement les bases d’une anticipation écologique, avec un monde qui s’est reconstruit mais dont l’équilibre est fragile, de grosses disparités sociales (symbolisées fort logiquement par votre altitude dans les sky-cities). Les deux personnages principaux, Jaro et Manuela, sont des réfugiés climatiques. La famille de Jaro est originaire du Zimbabwe, et il rêve que ses recherches servent un jour à reverdir ce pays qu’il n’a jamais connu. Manuela et son frère Matt, adoptés enfants par un couple d’hommes, sont arrivés plus récemment. Elle finit des études de médecine et travaille dans un service de personnes en fin de vie, il est reporter et alimente l’infosphère d’images du monde entier. Rien n’est laissé au hasard puisque ces deux éléments sont cruciaux pour la suite.
En effet, une fois le diagnostic compris par Jaro, et ses différents espoirs éteints, pour Manuela le choc est brutal : ce n’est pas un patient anonyme qui va mourir, c’est son Jaro, son amour, avec qui la vie ne vient que de commencer et dont on vient de lui raccourcir les décennies ensemble à une poignée de jours. Toute sa formation s’effondre devant ce drame personnel. D’autant que Jaro, après s’être battu, avoir tenté de négocier avec son parasite, a accepté son sacrifice nécessaire, au nom du bien commun. Manuela, non, et promettre qu’elle aidera Semper à s’acclimater aux Humains lui coûte : il aura l’apparence de Jaro, mais son Jaro sera mort. L’objet de sa douleur bougera à ses côtés, mais celui qu’elle aime sera parti.
Chacun portera le deuil à sa manière, leurs parents, leurs proches. Jaro constatera le malaise, au labo, de le savoir condamné et son travail confié à un autre. Mais la société avant l’individu...

La seconde partie est plus politique. On apprécie les personnages nuancés comme Bergeret, mis devant ses responsabilités par Jaro : son herbicide est la cause du problème. Mais sans ses recherches « nocives », pas de financement pour les projets vitaux comme celui de Jaro. Le professeur jonglera entre les différentes nécessités avant de choisir son camp. Il est donc lui aussi trompé par les puissants qui n’en ont, vous vous en doutez, rien à faire de l’harmonie avec les Plantes. Nadia Coste leur fait incarner à merveille cette part de l’Homme qui préférera toujours l’attaque, l’agression, la domination, à toute idée de partage, d’équilibre. Le profil même de personnes qui ont conduit au désastre, et qui nous gouvernent, favorisant le confort d’une poignée au détriment du plus grand nombre. Avec l’aide de Matt, le scandale va pouvoir éclater, pour offrir un happy end, ou au moins des bribes d’espoir. Ne démoralisons pas la jeune génération si nous voulons qu’elle change ces avenirs sombres qu’on nous annonce...

Il y a une foule de petites choses qui enrichissent cette histoire. Des détails technologiques, implants comm, trams hyperloops, cités de verre... Une agréable réflexion, dans la famille de Jaro, autour de l’animisme, qui trouve donc un écho dans cette conscience des Plantes. L’acceptation de l’homosexualité dans la société, puisque la cellule familiale n’est plus concentrée sur la reproduction. Des relents de racisme, aussi, que ressent Jaro.
Enfin, la conscience collective des Plantes, reliées à un même rhizome, tellement complexe à comprendre pour les humains, pourtant reliés en permanence par leurs réseaux comm. Semper, qui se sépare peu à peu de cette conscience pour devenir un individu, vit le choc en sens inverse et endure cette perte, pour son « peuple », un sacrifice équivalent à celui qu’il demande à Jaro.

C’est encore une très belle anticipation signée Nadia Coste, qui au-delà d’un thème parfaitement d’actualité, sait nous emmener sur des pistes philosophiques aussi inattendues que bienvenues. Une nouvelle pépite à son actif après « Le Premier », « L’Empire des Auras » ou encore « Les Élémentaires ».


Titre : Rhizome
Auteur : Nadia Coste
Couverture :
Éditeur : Seuil
Collection : Jeunesse
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 350
Format (en cm) :
Dépôt légal : octobre 2018
ISBN : 9791023510508
Prix : 14 €



Nicolas Soffray
24 janvier 2019


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