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Résurrection du dragon (La)
Romain d’Huissier
Gallimard, FolioSF, n°618, fantasy, 393 pages, octobre 2018, 8,30€

Nous l’avions découvert dans« Les quatre-vingt-un frères » : Johnny Kwan, exorciste taoïste Hong-Kongais, aux prises avec des hommes de main, des fantômes, des démons et autres entités du folklore asiatique. Il s’en sortait bien, souvent éclopé, mais guérissant suffisamment vite pour enchaîner investigations et combats. Sur la fin du premier volume de ses aventures, il en finissait avec les redoutables « Quatre-vingt-un frères » Hmong. Mais, on s’en doute, dans le domaine du fantastique, les méchants ne sont jamais tout à fait morts.



C’est donc reparti pour vingt-sept chapitres riches en sorts et en hantises, en combats en en fusillades, avec une pointe d’humour, un soupçon de romance, et la quantité syndicale d’érotisme pour élargir le public. On retrouve avec plaisir ce Hong-Kong contemporain que l’on peut découvrir en y faisant du tourisme – ce à quoi les aventures de Johnny Kwan invitent le lecteur en lui faisant découvrir les mille et une facette du territoire – pimenté par tout ce qui se dissimule dans ses interstices, pas seulement ses triades et autres pouvoirs humains officieux, mais plutôt ses créatures surnaturelles et ses pouvoir occultes, qui, s’ils n’apparaissent pas de manière criante aux yeux du commun des mortels, ne sont jamais très loin derrière les apparences et déterminent bien plus la vie des humains que les non-initiés pourraient le croire.

Alors qu’après les horions récoltés dans ses aventures précédentes Johnny Kwan se refait une santé en expertisant des objets de collection pour la fondation du richissime mécène Anthony Chau, il se trouve incapable, sollicité par la triade du Dragon Florissant, de refuser une nouvelle investigation surnaturelle, puis de donner son avis sur un rarissime œuf de jade dont pourrait sortir un dragon capable de redonner du lustre à cette triade en perte de prestige et d’influence. Deux avis qui l’emmèneront bien plus loin bien plus loin qu’il ne le souhaitait, au cœur d’une guerre des gangs et d’entités fantastiques, en compagnie d’une moine-combattante et d’un autre jeune exorciste, qui fort heureusement, aura lui aussi plus d’un tour dans sa besace. Ça va donc castagner et défourailler comme dans un bon film asiatique d’action (l’auteur cite, en passant, un métrages tels que « La Trente-sixième chambre de Shaolin ») et s’acheminer vers un finale une nouvelle fois explosif.

Comme dans « Les quatre-vingt-un frères », Romain d’Huissier parvient à marier harmonieusement l’ancien et le nouveau, le high-tech et le traditionnel, en un univers ludique où se superposent, s’imbriquent, se recouvrent tour à tour monde réel et monde fantasmé. On retrouve une nouvelle fois cette fusion symbolisée par des artefacts fort utiles tels que le compteur Geiger modifié de manière à détecter les champs énergétiques néfastes ou le caméscope infusé dans les feuilles de saules permettant de dévoiler la véritable nature des êtres et des choses, ou par des lieux composites tels que l’officine d’une empoisonneuse où se mêlent matériel de pointe sur paillasses immaculées et vieux herbiers à la manière des siècles passés.

Des qualités, donc, mais aussi, hélas, des défauts. Nous avions signalé dans la chronique du premier défaut des découpages très cinématographiques. Qui n’a jamais été irrité, dans des séries ou des longs métrages d’action, par ces scènes où l’on arrose de balles le véhicule d’un individu en fuite qu’il faut absolument capturer vivant ? Que les scénaristes prennent les spectateurs pour des attardés mentaux n’oblige pas les écrivains à en faire autant. L’auteur a hélas choisi de se calquer sans discernement sur le rythme et les poncifs cinématographiques, reprenant jusqu’aux plus médiocres d’entre eux : aussi les ennemis mitraillent-ils sans vergogne aucune la camionnette transportant le très fragile objet de toutes les convoitises, l’énorme et précieux « œuf de dragon ». Le séquençage des scènes d’action est tout autant discutable que dans le premier volume. En pleine bataille, le narrateur s’arrête pour faire une autopsie et élaborer un nouveau sort ; en plein combat singulier, acharné, mortel, contre le pire des tueurs, estimant que l’on combat mieux quand on a moins mal, il fait une pause pour avaler une fiole d’antalgiques (le lecteur ne sait pas du tout ce que fait son adversaire durant ce temps-là, et l’auteur n’a en manifestement lui-même aucune idée). Bref, si l’on veut apprécier pleinement les péripéties, il est préférable d’abandonner derrière soi tout esprit critique. Autre défaut, si l’on conçoit très bien, pour un roman publié par épisodes, comme cela se faisait dans la tradition feuilletonnesque, un « résumé des chapitres précédents » pour ceux qui auraient manqué un numéro, la manie, dans un roman publié en un seul volume, d’insérer ici et là, et manifestement au petit bonheur la chance, des résumés de ce qui s’est passé peu de temps auparavant, outre une insupportable impression de tirage à la ligne, donne le sentiment – une fois encore – que Romain d’Huissier prend ses lecteurs pour des déficients mentaux, à moins que le roman n’ait été écrit au départ pour une collection de très jeunes lecteurs.

Quel bilan au final ? On reste assez réservé sur certains aspects de cet ouvrage qui à notre sens aurait pu bénéficier d’une écriture plus rigoureuse et d’une meilleure relecture (on relève plus d’une impropriété lexicale et plus d’une approximation, par exemple, contrairement à ce qui est écrit, ni araignées, ni scorpions, ni scolopendres ne sont des insectes), et qui par moments ressemble plus à une novellisation de long métrage d’action ou de bande dessinée qu’à un véritable roman. Restent d’indéniables qualités qui feront de « La Résurrection du dragon  » une lecture de plage agréable, avec une inventivité et un rythme certains. L’univers coloré et animé de Hong-Kong, joliment rendu par l’auteur, fait un cadre original, et la manière dont dieux, démons, fantômes et autres créatures du folklore asiatiques sont intégrés et dissimulés sous la moindre de ses surfaces en est assurément le point fort. Un univers intéressant et des protagonistes peu ordinaires qui inviteront plus d’un lecteur à suivre Johnny Kwan dans « Les Gardiens célestes », troisième volume de ses aventures et point d’orgue de cette première trilogie.


Titre : La Résurrection du dragon
Auteur : Romain d’Huissier
Couverture : Alain Brion
Éditeur : Folio (édition originale : Critic, 2016)
Série : Les chroniques de l’étrange, tome II
Collection : Folio SF
Site Internet : page roman
Numéro :618
Pages : 393
Format (en cm) : 11x18
Dépôt légal : octobre 2018
ISBN : 9782072732300
Prix : 8,30 €



Hilaire Alrune
21 janvier 2019


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