Les cieux sont bien sombres : Michelle Lancien morte, c’est donc le sanguin Fiori, le louchébem du triumvirat initial, qui accède au pouvoir. Mais l’esprit possédé par Vérité, il n’est qu’un pantin. Et sa garde pourpre, qui l’escorte en permanence et a tous pouvoirs en ville, dissimule en réalité les Frères du Sang. Maxime Sévère est en fuite, et pourchassé par les alliés français de Vérité. La chape de plomb s’alourdit sur Larispem, les Jeux du Siècle sont oubliés, mais pas les merveilleuses machines qu’on y a découvert, leur usage militaire étant désormais explicite. Tout comme les projets de Vérité : déclencher un conflit entre la France et le Reich, et fournir aux premiers leur technologie mécanique.
Le sort des trois pays repose sur nos jeunes héros, qui n’ont guère confiance en les adultes. Et ils n’ont pas tort, tant ceux-ci sont à la peine. Les bouchers s’organisent en résistance derrière maître Couteau, mais leur pondération cache mal leurs instincts sanglants. Félix Vaulièvre, le père de Nathanael, n’est pas un homme très courageux, même si rencontrer son fils le pousse à se surpasser. Maxime Sévère, en bon soldat, n’apprécie pas de suivre les ordres de l’ex-orphelin et fils de sa présidente, même si son devoir passe avant tout.
Nathanael et Vérité, de leur côté, et malgré leur répugnance, sont contraints de faire usage de leur pouvoir. Isabella est beaucoup moins prude. Tous goûtent l’amertume de la nécessité.
Mais le personnage central de ce dernier tome, c’est Vérité de Maugardin. La jeune femme dirige les Frères et Soeurs du Sang. Usant de son pouvoir sur Fiori, elle fait évader ses complices de la Petite Roquette sous les uniformes de la Garde Pourpre, les plaçant tous aux portes du pouvoir. Mais alors que le docteur Delisle décrypte la formule de l’élixir ultime, il nous semble très vite évident qu’elle ne compte pas le partager avec cette bande d’arrivistes un peu mous, et garder le pouvoir absolu pour elle seule. Via le plan des louchébems, on en apprend plus sur son passé, et notamment les années où elle a travaillé dans le « café » de M. Bontemps, qui la prostituait. Le personnage est assez détestable, et le voir en clef de voûte du plan des louchébems en révulse plus d’un. Aux yeux du lecteur, Vérité acquiert ainsi des circonstances atténuantes. Son mobile n’est plus l’ambition seule, mais aussi la vengeance, contre ces hommes puissants qui se sont servi d’elle. Si Larispem avait des accents égalitaristes, certaines choses ne changent jamais, et les femmes qui ne brandissent pas des couteaux doivent souvent baisser la tête. Sans pour autant tout lui pardonner (elle s’apprête quand même à déclencher une guerre), on a désormais un portrait de Vérité plus nuancé.
J’ai fait l’impasse ici sur les nombreuses péripéties qui agitent ce troisième volume, qui le rendent haletant. L’alternance des points de vue, technique désormais classique du page-turner, au prétexte de la concomitance des événements, m’a semblé un peu poussive dans le premier tiers, la faute à la dispersion de nos héros. Une sensation toute personnelle, accrue sans doute par l’intervalle avec ma lecture du tome précédent et les pages nécessaires à me replonger dans l’histoire. Le roman nous emporte jusqu’à une fin un peu attendue (un happy end de bon aloi) mais à la dramaturgie minutieuse et efficace.
En donnant davantage d’épaisseur à la méchante de l’histoire, évoquant ses blessures passées tandis qu’elle nous montre les ravages de son ambition vengeresse, l’autrice donne à ce dernier volet de son uchronie une noirceur supplémentaire bienvenue. L’entrelacs de pouvoir magique de persuasion avec les enjeux politiques et économiques du déclenchement d’un conflit majeur est parfaitement amené, et nous ferait presque douter de sa possibilité. Rassurons-nous, tout cela n’est que de la fiction. N’est-ce pas ?
Pour sa première trilogie, Lucie Pierrat-Pajot s’en sort avec plus que les honneurs : son Histoire alternative est sombre et intrigante, son univers cohérent dans l’ensemble. Ses personnages sont sa grande force, et on prend plaisir à s’attacher à eux et les voir évoluer, Liberté, Carmine et Nathanaël dans « Les Jeux du Siècle », Vérité dans ce dernier tome. Si en tant qu’adulte (et gros lecteur) quelques petits points me laissent un peu sur ma faim, les adolescents y trouveront leur dose d’aventure, de sentiments, d’émotions et de frissons. Tout cela dans un monde qui change assez radicalement de la fantasy ou du post-apo archi-représentés en librairies.
Titre : L’élixir ultime
Série : Les Mystères de Larispem, tome 3
Auteur : Lucie Pierrat-Pajot
Couverture : Donatien Mary
Éditeur : Gallimard Jeunesse
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 358
Format (en cm) : 22,5 x 15,5 x 2,5
Dépôt légal : octobre 2018
ISBN : 9782075093361
Prix : 17 €
Les Mystères de Larispem :
Tome 1 : Le sang jamais n’oublie
Tome 2 : Les Jeux du Siècle
Tome 3 : L’élixir Ultime